Comme en Hexagone où une réforme des retraites amène le Syndicat de la magistrature à dénoncer la répression du gouvernement visant à « bâillonner l’expression de la contestation en réprimant avec brutalité le mouvement social », le Sénégal s’émeut, dans presque tous les segments, note aussi que l’autorité judiciaire n’est pas au service de la répression du mouvement social.
POLITIQUE – Le fait est assez notable pour être souligné, même si dans la forme, des différences sont à relever entre l’hexagone et le lion, avec notamment la perte de vies humaines et d’importants dégâts matériels occasionnés par les manifestations du 16 mars dernier á Dakar et dans plusieurs régions du pays.
Au Sénégal, les manifestations relèvent plutôt de la conjonction politico-juridique, avec deux procès impliquant l’opposant le plus en vue, voire le plus populaire de l’histoire politique du pays, en l’occurrence Ousmane Sonko, d’abord pour « viol » et « menaces de mort » à travers une accusation introduite par une jeune masseuse du nom d’Adji Sarr, depuis début février 2021, ensuite, une autre introduite par le ministre du Tourisme Mame Mbaye Niang, qu’il a accusé d’avoir détourné 29 milliards FCFA destinés au Programme national des domaines agricoles communautaires (PRODAC).
Toutefois, ils étaient des milliers de Sénégalais à sortir en mars 2021 pour empêcher l’incarcération d’Ousmane Sonko, leader de PASTEF-LES PATRIOTES. Quatorze personnes ont perdu la vie et les dégâts matériels ont été estimés à plusieurs milliards FCFA, essentiellement enregistrés dans la distribution et stations d’essence à enseignes françaises – Auchan et Total Énergies.
Dans un contexte de confinement dû à l’escalade du Covid 19, des milliers de Sénégalais s’étaient montrés solidaires d’Ousmane Sonko. En effet, our la première fois dans l’histoire politique du Sénégal, des citoyens sont sortis en masse, pour empêcher l’incarcération d’un opposant. Ni Mamadou Dia en décembre 1962, ni Idrissa Seck en juillet 2015, Karim Wade en avril 2013 et Ababacar Khalifa Sall en mars 2017 n’ont obtenu ce bouclier des Sénégalais.
Inculpé et placé sous contrôle judiciaire, le 8 mars 2021, Ousmane Sonko a renoncé à son appel à la marche, le même jour à 15H00, sur demande de Touba. Seul Dieu sait ce à quoi a échappé le Sénégal. Depuis, le pays vit sur les braises, avec un durcissement noté dans les camps du pouvoir et de la coalition Yewwi Askan Wi, une fracture socio-politique, une escalade sur les réseaux sociaux et un durcissement de la répression.
Les interpellations se multiplient, les garde-à-vue s’enchainent, les prisons se sur-remplissent. Plusieurs segments de la société sont touchés. Dans le domaine de la santé, l’arrestation du Dr Babacar Niang, médecin urgentiste et promoteur d’une célèbre clinique dakaroise – SUMA ASSISTANCE – fait grincer les dents. Les organisations de la Santé dénoncent de « graves entraves á l’exercice de la médecine au Sénégal ». Le SAMES, le SYMEPS, la SOSEAR, l’Association des cliniques privées du Sénégal (ACPS) ruent dans les brancards et alertent l’opinion publique nationale et internationale sur « le forcing » de l’autorité centrale.
La Direction générale des impôts et domaines (DGID) est aussi frappée par l’arrestation de l’un de ses « meilleurs éléments », Waly Diouf Bodiang directeur adjoint de la législation et de la coopération internationale, par ailleurs membre de PASTEF et membre du protocole d’Ousmane Sonko. Ses pairs de la DGID soutiennent que sa compétence est « établie » et fait en plus « partie de l’histoire de la maison ». « Il a fait du centre de Pikine, le meilleur centre des recettes après celui des entreprises. C’est un travailleur extraordinaire, tous les centres dont il a eu la responsabilité le disent. Il n’a rien à faire en prison ».
Le Syndicat des agents des impôts et des domaines (SAID) prévient sur son état de santé et alerte sur les « violences physiques » dont il a fait l’objet lors de son arrestation. « L’attitude inqualifiable des autorités visant à jeter le déshonneur sur ce haut fonctionnaire et par ricochet, la précarisation du statut d’agent des impôts et des domaines », ne saurait prospérer dit le syndicat qui a décidé de commettre un avocat pour sa défense.
Le même syndicat donne d’ailleurs rendez-vous le 29 mars prochain, pour la tenue d’une assemblée générale extraordinaire, aux fins d’information et d’adoption d’une stratégie pour sa libération. Une grève n’est pas exclue, selon un inspecteur à Maderpost, soulignant que ce sont des dizaines de milliards que l’État pourra perdre en quelques heures.
« Les seules ressources qui font vivre le Sénégal à travers les salaires, la politique d’aide sociale et garantissent les emprunts sont les recettes fiscales et douanières. Nous n’avons pas encore l’argent du pétrole et du gaz pour nous en priver. Ne jouons pas alors avec », dit un inspecteur qui souhaite un « tassement de la tension et la paix dans ce corps indispensable pour le pays qu’est la DGID trop politisée » à son avis.
Pour en revenir à Paris, les magistrats constatent que l’interdiction de la manifestation sur la place de la Concorde le 18 mars dernier s’est « soldée par une multitude de placements en garde-à-vue, sans éléments pour caractériser une infraction, Sur 292 interpellations, 283 ont ainsi donné lieu à un classement sans suite. Cette utilisation dévoyée de la garde-à-vue illustre les dérives du maintien de l’ordre, qui détourne l’appareil judiciaire pour le mettre entièrement à son service ».
« Nous condamnons cette politique de répression du mouvement social et toutes les violences policières illégales qui seraient survenues au cours des derniers jours, et appelons à ce qu’elles ne demeurent pas sans suite, sans attendre de nouveaux drames », dit le Syndicat des magistrats français.
Poursuivant : « Dans ce contexte inquiétant qui s’étend au-delà de la capitale et révèle une crise sociale d’ampleur, nous appelons le pouvoir exécutif, dans le strict respect de la séparation des pouvoirs, à laisser l’autorité judiciaire exercer son office de protection de la liberté individuelle, sans ingérence ni instrumentalisation ».
Le parallèle est fait avec Dakar et plus largement le Sénégal qui vit des heures lourdes de tension à moins d’un an d’une présidentielle plus que jamais complexe.
Maderpost