La situation actuelle des finances publiques révélée jeudi 26 septembre 2024 par le Premier ministre Ousmane Sonko lors de sa conférence de presse sur la gouvernance du régime de Macky Sall et de son inclinaison à tripatouiller et maquiller les chiffres appelle non seulement des mesures, mais fait craindre en plus des lendemains difficiles pour les ménages et entreprises .
POLITIQUE – Le temps de la politique n’est pas celui de l’économie même si en règle générale la politique, qui est l’art de gérer la cité, se doit d’avoir un regard systémique et systématique sur l’économie qu’elle encadre, consolide et renforcer dans un système qu’elle met en place.
Après tout ce qui a été dit sur la « gabegie », le « carnage organisé » des finances publiques, les « détournements de deniers publics » au profit d’hommes politiques, de membres de leurs familles et d’opérateurs privés peu scrupuleux, les questions nous amènent à nous demander comment les nouvelles autorités vont-elles rétablir l’équilibre budgétaire, relancer l’économie qui vit une tension depuis plusieurs mois maintenant, restaurer la confiance des partenaires au développement qui se sont vus « trompés » par les « chiffres erronés » de l’ancien pouvoir, celle du marché qui a immédiatement réagi défavorablement avec la baisse des obligations en dollars du Sénégal annoncée quelques heures après par l’agence Reuters et enfin restaurer la confiance des acteurs économiques internationaux et nationaux pour lesquels, en particulier ces derniers, l’Etat doit enfin tenir un discours cohérent et sans appel pour appeler à l’unité des associations patronales dont le grand nombre dénote de la réalité sénégalaise.
Le nouveau représentant-résident du Fonds monétaire international (FMI), Majdi Debbich soutenait dans un entretien paru le jeudi 26 septembre 2024 dans le quotidien Le SoleiL que le redressement des finances publiques passait par deux voies : « l’amélioration des recettes et une maîtrise plus rigoureuse des dépenses ».
Pour le fonctionnaire international, l’amélioration des recettes passe par la reconsidération de certaines dépenses fiscales comme par exemple les exonérations de TVA qui ont atteint 952 milliards FCFA en 2021, selon le dernier rapport disponible. Sous le régime Macky Sall, de nombreuses exonérations ont bénéficié à des secteurs qui poursuivraient leurs activités même en l’absence de ces allégements fiscaux.
Majdi Debbich conseille par conséquent aux nouvelles autorités de revoir la fiscalité dans lesdits secteurs parce qu’ils continueraient de fonctionner du fait de l’impact limité que la révision fiscale aura sur leur fonctionnement. Le Premier ministre a abondé dans le même sens jeudi dernier, précisant qu’il ne s’agit pas pour les autorités d’accroitre la pression fiscale sur les contribuables, mais d’élargir plutôt l’assiette fiscale en poussant les Sénégalais à la citoyenneté fiscale.
Mais, c’est l’autre réforme, celle portant notamment sur les subventions de l’énergie qui risque d’avoir une incidence à forte pression sur les ménages du fait de la cherté déjà du coût de l’électricité au Sénégal.
Selon M. Debbich, cette charge budgétaire a coûté près de 2000 milliards ces trois dernières années. Des subventions qui, selon lui, profitent davantage aux ménages les plus aisés, ce qui reste à prouver. Comment la réforme souhaitée pour ne pas dire expressément demandée par le FMI aux régimes de Me Wade, Macky Sall et maintenant à Diomaye Faye va-t-elle épargner les populations les plus vulnérables et ne pas freiner l’activité économique plombée par les factures de l’électricité chères payées ?
Il s’y ajoute la maîtrise des dépenses courantes, « surtout la gestion de la masse salariale » qui a explosé en janvier 2024 sous le magistère de Macky Sall, passant de 130 milliards FCFA par mois fin 2023 à plus de 170 milliards FCFA en janvier 2024.
Les propos du nouveau représentant-résident du Fonds monétaire international (FMI), Majdi Debbich sont de nature à laisser croire que les accords que le Sénégal pourrait avoir avec le FMI et les institutions internationales, telle la Banque mondiale, pour bénéficier d’un soutien financier, voire technique. Ce dernier aspect n’est pas à écarter parce qu’il nous semble évident que les dites institutions internationales voudront voir de plus près nos finances publiques après les chiffres erronés de l’ancien régime.
En plus de cette assistance technique qu’elles pourraient exiger, les nouvelles autorités pourraient voir les aides de ces institutions être conditionnées à des réformes structurelles strictes avec un impact social non négligeable. Et ça ce n’était pas attendu. Les Sénégalais ne l’ont pas vu depuis Abdou Diouf, l’ajustement structurelle.
Assainissement budgétaire
L’assainissent budgétaire qui passe par la réduction des dépenses publique se constate déjà avec le gel des activités et le blocage des comptes du Conseil économique, social et environnemental (CESE) et du Haut conseil des collectivités territoriales (HCCT). Mais il semble évident que le gouvernement Sonko va s’engager à réduire les dépenses non essentielles.
Ira-t-il toutefois jusqu’à geler les salaires de certains fonctionnaires et plonger des familles entières dans la vulnérabilité ? Par ailleurs, la possibilité pour le gouvernement Sonko de réformer les programmes de protection sociale telle la Sécurité sociale ou le Programme nationale de bourse de sécurité familiale du PSE n’est pas à écarter pour alléger le fardeau budgétaire.
Et pour assurer l’amélioration de l’efficacité des services publics sur lequel il y a beaucoup à dire et redire, – il faut que les fonctionnaires acceptent de servir et d’admettre que la richesse appartient à ceux qui en héritent ou qui prennent des risques dans leur vie -, il importe pour les nouvelles autorités de d’éviter les gaspillage sans plonger les travailleurs dans des conditions de travail inopportunes, mais encore d’améliorer la productivité des administrations publiques et Dieu sait qu’il y a beaucoup á faire.
Réformes fiscales
Il est vrai que le Premier ministre a cherché à rassurer les contribuables lors de sa conférence de presse, soutenant qu’il ne s’agira pas pour son gouvernement d’accroitre la pression fiscale sur les contribuables, mais d’élargir l’assiette fiscale en poussant les Sénégalais à payer leurs impôts.
Il reste que cette démarche qui entend une collecte d’informations sur les imposables et non-imposables et le processus de digitalisation vont prendre du temps. Cette finalité inévitable s’inscrit dans le moyen, voire long terme.
La question est de savoir qu’est-ce qui va être fait dans le cours terme, en conformité avec l’UEMOA, sans ralentir l’activité économique qui tousse fortement. Si l’augmentation de la TVA obéit à des critères de l’Union, celle des impôts sur le revenu, sur les sociétés se présentent comme une opportunité pour augmenter les recettes publiques à court terme.
Difficile de voir comment les nouvelles autorités vont-elles parer à la situation des finances publiques si elles ne procèdent pas de la sorte, ce d’autant qu’elles sont bien placées pour savoir que toute nouvelle mesure dans le sens des réformes fiscales doit s’évertuer à être équilibrée pour éviter justement de freiner la croissance économique. La marge de manœuvre est mince, ce d’autant que le Sénégal n’est pas un pays de transformation.
Le gouvernement de Sonko a cependant, dans le cadre de l’élargissement de l’assiette fiscale, la possibilité de mieux lutter contre l’évasion fiscale. De ce point de vue, les Sénégalais devraient pouvoir se féliciter bientôt d’avoir non pas le pays le plus mais le mieux fiscalisé de l’Afrique subsaharienne. N’oublions pas que le Président de la République comme le Premier ministre et d’autres cadres de l’appareil sont des inspecteurs des impôts.
Comme l’a dit le Premier ministre, les nouvelles autorités devraient pouvoir intégrer le secteur informel dans le cadre fiscal pour augmenter les revenus sans pour autant augmenter les taux d’imposition. Il suffit de former un personnel affecté à cet effet et de le doter de collecteurs et lecteurs d’informations pour que l’identification, l’enregistrement et le paiement remplissent la base de données fiscales.
Privatisations
L’autre possibilité qui s’offre aux nouvelles autorités relève des privatisations d’entreprises publiques qu’elles peuvent envisager ou alors la vente d’actifs publics afin de générer des liquidités à court terme. Cela pourrait être difficile à accepter pour un pouvoir que l’on voit plutôt à gauche, le discours du Président Bassirou Diomaye Faye à la tribune des Nation unies à l’occasion de la 79e Assemblée générale de l’Onu en atteste.
Cette possibilité peut s’exécuter en parfaite intelligence avec le secteur privé national qui a là une réelle opportunité de peser enfin lourdement sur la balance. Mais faudrait-il encore que l’Etat mette de l’ordre et rappelle aux différentes organisations patronales la nécessité de se regrouper autour d’une seule instance qui deviendra le seul interlocuteur de l’Etat. On parlera de droit à la création d’association, mais au point où on en est !
Trop de choses sont en jeu avec beaucoup trop d’enjeux aussi stratégiques que vitaux pour que les nouvelles autorités qui vantent et vendent le « Jub Jubal Jubanti » (droiture, probité, exemplarité) ne se l’appliquent à elles-mêmes et dans dans un secteur économique stratégique pour l’Etat. Le gouvernement doit mettre de l’ordre et arrêter cette mascarade des chapelles patronales.
Car toute privatisation qu’il fera dans le sens du rétablissement des finances publiques devra être réalisée avec prudence pour, d’une part, éviter de céder des actifs stratégiques à bas prix et d’autre part, traiter avec des associations qui ne s’inscriraient pas dans la logique unificatrice.
Stimulation de la croissance économique
L’unification des associations patronales, l’identification des PME s’avèrent essentielles parce qu’elles peuvent avoir un impact favorable sur le choix des nouvelles autorités de stimuler la croissance économique par l’entremise des investissements privés ou publics-privés, dans des secteurs productifs, notamment les infrastructures, les innovations, l’éducation, la santé pour relancer la croissance économique et assurer l’augmentation des recettes fiscales à moyen terme.
Des investissements conséquents dans le secteur portuaire avec une optimisation de l’exploitation des voies maritimes connexes, routières et ferroviaires, les innovations dans les services pouvant faire du Sénégal un hub de service et d’éducation boosteront non seulement la destination Sénégal mais créeront encore des milliers d’emplois.
La stimulation de la croissance économique pourrait se renforcer aussi avec un soutien soutenu aux PME et à l’entrepreneuriat, cheval de bataille de l’ancien régime. La question est de savoir si les autorités sont en mesure de favoriser davantage l’accès au financement pour les PME, de stimuler l’innovation pour dynamiser la croissance économique. La situation est grave, mais elle n’est pas critique a tenu à rassurer Ousmane Sonko
Réformes structurelles
La situation économique du pays et la situation des finances publiques devraient entrainer des réformes sur le marché du travail. Cela se sent déjà avec la fermeture de plusieurs entreprises privées prisent dans l’étau fiscal et asphyxiés par le gel des conventions pour la presse et non-paiement des factures.
Cette situation conjoncturelle pourrait s’aggraver et devenir structurelle au point de saper les rendements et gonfler le chomage. Les nouvelles autorités qui ne l’ont pas dit, iront-elles jusqu’à envisager certaines réformes du marché du travail à savoir la simplification des licenciements ou des embauches, pour améliorer la flexibilité et la productivité ? Nous ne sommes pas loin de l’époque dioufienne.
L’ancien et deuxième président du Sénégal s’était vu obligé de faire des réformes drastiques, privatisations et réforme du marché du travail. Difficile pour un socialiste, mais la dévaluation du FCFA, l’ajustement structurel et l’austérité étaient passés par là, perturbant 10 ans de règne Diouf.
Nous n’en sommes pas loin, au point où il nous faut même envisager des réformes des systèmes de retraite et de protection sociale en vue de garantir leur viabilité à long terme et permettre de réduire le déficit futur. Le mal est plus profond qu’on ne le croit et c’est pour cela qu’il est important de poser les bonnes questions pour avoir les bonnes réponses et amener les nouvelles autorités à nous parler davantage, ce qu’elles ont du reste promis de faire.
Renégociation de la dette
Les Sénégalais et pas qu’eux d’ailleurs sont certainement tombés à la renverse jeudi dernier à la suite des déclarations du Premier ministre et du ministre de l’Économie, du Plan et de la Coopération, Dr Abdourahmane Sarr.
La dette publique qui ne se situe pas à 73% du PIB, mais à 83% soit plus de 15 000 milliards FCFA sur les 21 000 FCFA du PIB est devenue si insoutenable qu’il est plus que nécessaire pour les nouvelles autorités de renégocier les conditions de remboursement avec les créanciers ou alors de chercher à obtenir des moratoires, voire des annulations partielles de la dette.
Cela s’est déjà opéré sous l’ère Wade et cela peut se refaire, ce d’autant que la lancinante question de migration qui fait les choux gras de l’extrême droite européenne devient un cheval de bataille, non seulement pour négocier mais encore renforcer les programmes existants dans le cadre de la migration ou en créer d’autres.
Il s’y ajoute le statut pétrolier et gazier du Sénégal sur lequel a surfé Macky Sall pour accroitre l’endettement. N’oublions pas l’or dont on apprend que des milliers de kilos ont quitté illégalement le Sénégal. Des possibilités existent. Rien n’a été dit dans sur le renégociation de la dette, mais cette possibilité qui n’est pas à écarter est aussi à partager avec les populations sénégalaises si elle doit se faire. C’est un minimum.
Lutte contre la corruption et politiques de justice sociales
S’il est une chose dont nous que nous pouvons accorder aux nouvelles autorités c’est la lutte contre la corruption et la mauvaise gouvernance. Leur début le laisse croire et espérer.
L’assainissement des finances publiques passe inéluctablement par une lutte affirmée, soutenue et renforcée contre la corruption, une plus grande transparence des comptes publics et une meilleure gouvernance. La restauration de la confiance des partenaires financiers et investisseurs est à ce prix.
Les nouvelles pressions économiques et sociales ne manqueront pas de crouler sur les nouvelles autorités dont le but est aussi de protéger les populations vulnérables pendant les réformes économiques qui seront prises. Ce qui passe par des programmes d’aide ciblée en vue d’éviter une aggravation de la pauvreté et des inégalités. La chose s’annonce d’autant ardue que la classe moyenne qui s’était signalée souffre aussi.
Si l’on ne sait encore quelles réformes ou actions fera le gouvernement, on peut espérer qu’il veillera à l’équilibre entre austérité, relance économique et justice sociale. Notre génération qui a vécu des tranches des belles années senghoriennes avant de tomber dans l’austérité dioufienne, ne peut que prier que celle fayenne ne nous ramène pas aux années de braise 1990 et nous fasse vivre des répercussions politiques, économiques et sociales négatives dont on se serait bien passé.
Maderpost / Charles Faye