Le Chef de l’Etat s’est prononcé solennellement hier soir en affirmant que même si la Constitution lui en donne le droit, il s’interdit de solliciter un 3e mandat. Il a rappelé qu’il avait toujours gardé dans un coin de sa mémoire, ce à quoi il s’était explicitement engagé dans son dernier ouvrage, « le Sénégal au cœur », avec la ferme volonté de « préserver sa dignité et sa parole », à savoir : « le mandat de 2019 est mon second et dernier mandat ».
TRIBUNE – Une décision pleine de sagesse qui ouvre enfin une nouvelle séquence puisque, pour la première fois de notre histoire démocratique, la prochaine élection présidentielle va se dérouler sans le chef d’Etat sortant qui en sera pourtant l’organisateur. En clair, la « fenêtre dégagiste » ainsi fermée, les électeurs sénégalais pourront enfin se prononcer pour tel ou tel autre candidat.
Le président a certainement compris que le pays avait assez souffert et ne pouvait se payer le luxe de poursuivre sa descente aux enfers au détriment des attentes urgentes qui taraudent ses habitants. D’abord, parce qu’une telle flambée de violence ne pourra se prévaloir d’aucune comparaison possible avec les manifestations de juin 2011.
Ces dernières, faut-il le rappeler, avaient éclaté en guise de protestation contre un projet de loi scélérate dont l’objet était non seulement d’instaurer l’élection simultanée du Président de la République et de son Vice-président mais surtout d’installer, par ce biais, le fils dans le fauteuil du père, consacrant de facto une dévolution monarchique du pouvoir. Sans compter que cette réforme constitutionnelle souhaitée par l’ancien chef de l’Etat, Me Abdoulaye Wade, ambitionnait d’abaisser à 25% le seuil minimum des voix nécessaires au premier tour pour élire un « ticket présidentiel ».
A travers cette opération, il s’agissait donc de tripatouiller une fois de plus la Constitution à des fins purement politiciennes et égoïstes, ce qui était évidemment inacceptable.
Après deux alternances politiques issues des urnes, une Assemblée nationale où opposition et majorité sont au coude-à-coude, où au niveau local toutes les grandes villes du pays dont la capitale sont passées sous le contrôle de l’opposition, l’on ne peut que constater la fiabilité voire la performance du système électoral sénégalais. Quoi que puissent en dire les Cassandre, si prompts à se nourrir de suspicions de toutes sortes sans apporter la moindre once de preuve.
Il s’agit maintenant de réfléchir à quels mécanismes mettre en place pour que la politique cesse ainsi d’être dévoyée en s’érigeant en instrument d’enrichissement personnel, familial et clanique. Le chef de l’Etat auquel nous aspirons va-t-il continuer de perpétuer l’hyper-présidentialisme, d’être chef de parti ? Va-t-il continuer de nommer qui il veut, comme il veut, aux postes de Directeurs généraux de Sociétés nationales en lieu et places d’appels à candidatures ? Que fera-t-il de la reddition des comptes ? Les organes de contrôle pourront-ils mener leur mission à bout en toute autonomie ? Quelle place sera faite aux jeunes, aux femmes ? Quelle évaluation sera réservée aux conclusions des Assises nationales, ce grand moment de concertation qui s’est structurée autour de toutes les forces vives du pays ?
En tout état de cause, il reviendra aux populations de contraindre les dirigeants politiques à être à leur service avec des obligations de résultats.
A ce moment de notre histoire, il n’est point besoin de messie encore moins de gourou à qui obéir au doigt et à l’œil. Le spectacle qui s’est offert à nos yeux ébahis en mai et juin derniers doivent plutôt nous interpeller. Surtout que les jeunes que nous avons vu déferler dans les villes et campagnes étaient loin de revêtir les habits de militants galvanisés par un idéal. Ils ressemblaient plutôt à des émeutiers de la faim voire du désespoir, tenaillés par la pression des urgences du quotidien. A les voir ainsi dévaliser littéralement les magasins d’électroniques, les banques, supermarchés, boutiques de quartiers, il y avait de quoi s’interroger.
Point n’est besoin d’être devin pour savoir que toute affaire cessante, nombre de ces gens-là auraient cessé le carnage auquel ils s’adonnaient pour se précipiter sur le port de Dakar, s’ils venaient à apprendre qu’un bateau y avait jeté l’ancre et s’apprêtait à embarquer des candidats à l’émigration en Occident tant décrié pourtant, ou vers tout autre « eldorado » supposé. Et cela, sans daigner faire un tour à leurs domiciles respectifs pour boucler leurs valises, dire au revoir aux parents et recueillir leurs bénédictions. Portés tout simplement par l’urgence de ne point rater une telle opportunité.
Le seul fait qu’un tel scénario soit plausible rend compte du niveau de désespérance qui travaille la jeunesse. Un segment capital pourtant puisqu’il le demain de la société.
Une telle perspective est révélatrice de l’état de désespérance d’une jeunesse déboussolée et accrochée à son rêve de réussite. Il va falloir s’occuper de cette jeunesse qui constitue l’écrasante majorité de la population en la responsabilisant autour de valeurs fondatrices que sont le travail, l’honnêteté.
Le temps n’est donc pas au « Gatsa-Gatsa », au « Mortal Kombat », au « Thioki Fin ». Il est plutôt venu le moment de fortifier la vitalité démocratique en respectant scrupuleusement la Constitution et les institutions, en tournant le dos à tout ce qui peut l’affaiblir.
Vieux Savané, Directeur de publication de Sud Quotidien