Victorine Sarr, est une afropolitaine, sénégalaise avec un parcours international, et fondatrice de Lyvv Cosmetics en 2015, une ligne de rouges et encres à lèvres made in Africa et Bio.
Pourriez vous vous présenter en quelques lignes (origine, études, famille, travail)?
Je suis Victorine Sarr, je suis sénégalaise d’origine et je vis actuellement à Accra au Ghana. Je suis née à Dakar et j’ai fait mes études là-bas jusqu’à mon Bachelor en management à l’institut africain de management. J’ai pris la décision de continuer mes études supérieures en France juste après et j’y suis restée 6 ans. Après l’obtention de mon Master en École de Commerce à l’ISG Paris, j’ai été recrutée par Apple puis après près de 4 ans je suis allée chez L’Oréal où j’ai fait 3 ans.
Vous êtes la CEO et fondatrice de Lyvv cosmetics, pouvez vous nous parler de ce qui vous a motivée ou inspirée à sa création ?
Pendant que je travaillais pour L’Oréal, j’ai vraiment pu voir la taille du marché de la cosmétique dans le monde et plus spécialement en Afrique. Par la même voie, j’ai vu à quel point il y avait un gap entre offre et demande surtout pour les femmes de couleur. Aussi quand j’étais plus petite, j’ai souvent été victime de commentaires assez négatifs concernant ma couleur de peau, étant assez foncée je me suis rarement sentie super jolie. Pour moi, cette aventure entrepreneuriale devenait aussi un peu comme une revanche personnelle sur la vie.
Comment votre entourage (famille, amis, collègues) a accueilli votre décision de vous lancer dans l’entrepreneuriat avec les risques et difficultés que cela représente ?
Donc en fin 2015, je démissionnais de mon job chez L’Oréal pour démarrer Lyvv Cosmetics. Vous pouvez imaginer la consternation de ma famille et de mes amis. Mes parents étaient les plus effarés. Ils n’ont pas compris ce changement de carrière qui n’était pas dans les plans.
Ils ont eu peur que je me plante mais moi la fonceuse j’étais sûre de moi. Peu de personnes dans mon entourage ont cru en moi et au projet que je nourrissais. La traversée du désert commençait pour moi. Avec le recul maintenant, je peux aisément dire que c’était l’une des périodes les plus dures de toute ma vie.
J’ai toujours été très proche de ma famille et je n’aurai jamais pensé qu’ils seraient absents de cette période charnière de ma vie. Je suis assez bornée au fait, c’est l’un de mes défauts ou qualités dépendant de comment on décide de voir la chose parce que malgré tout , je me suis lancée.
Pouvez vous nous raconter vos premiers pas dans l’entrepreneuriat ?
Alors, après les études de marché que j’ai eu à faire pour m’assurer avec des chiffres et données à l’appui que le marché était réel et viable, j’ai dû chercher des fournisseurs pour la fabrication de nos produits. Une fois cela décidé, des tests ont dû être faits pour être sûrs de la qualité des produits que nous voulions mettre sur le marché.
Ce processus nous a pris 1 an quasiment. En octobre 2015, nos prototypes étaient fin prêts et il fallait maintenant procéder à notre premier recrutement. Pour se construire une réputation crédible dans un marché assez saturé, je savais qu’il fallait qu’on ait de notre côté un professionnel des relations publiques et c’est pourquoi nous avons recruté celle qui est jusqu’à aujourd’hui notre attachée presse.
Janvier 2016 marqua le début de nos opérations avec comme premier client, une chaîne de beauté en Afrique du Sud qui a bien voulu miser sur une jeune marque comme la nôtre.
Comment avez vous pu allier les obligations du poste que vous occupiez à l’époque avec les démarches et initiatives qu’exigeaient la création de Lyvv ?
Concrètement je faisais des heures supplémentaires. Dès que j’avais des minutes de libres, je bossais sur le projet Lyvv en soirée et tous mes week-ends y passaient aussi. Mon seul hobby du temps était écouter de la musique et danser dans ma voiture puisque je n’avais quasiment plus le temps de faire autre chose que bosser.
Quel accueil avez vous reçu de la part des acteurs du secteur des cosmétiques (investisseurs, distributeurs, marketing, etc…)?
Je m’attendais à des débuts difficiles dans un marché aussi peuplé. On savait que ça allait nécessiter beaucoup de travail et de sueur avant qu’on ne nous donne notre chance. Dans mon pays d’origine par exemple, je pensais que les choses allaient être plus simples mais ça a été le contraire.
Tous les potentiels clients démarchés nous avaient claqué la porte et nous riaient au nez. Beaucoup de rendez vous qui n’ont pas donné grand chose. Côté investisseur, c’était encore beaucoup plus glacial. Qui va vouloir investir dans un projet qui est certes prometteur mais qui n’a pas de garantie à 100% ? J’ai du commencer avec mes propres économies faites lors de mes 7/8 ans d’expérience professionnelle avant mes débuts d’entrepreneur.
Avez vous rencontré des difficultés lors des démarches administratives ?
Pas vraiment. J’ai fait appel à un notaire pour les démarches administratives d’enregistrement de la société et le tout s’est fait en moins d’une semaine.
Nos challenges se sont trouvés être ailleurs, en l’occurrence la partie logistique. Lyvv Cosmetics est basé à Dakar mais opérait en Afrique du sud dans un premier temps donc on a eu à payer beaucoup de frais de douane pour nos exportations.
Comment avez vous obtenu les premiers financements ? Étaient ils sur fonds propres, business angels, ou programme pour l’entrepreneuriat ?
Comme dit plus haut, j’ai démarré en fonds propres puis j’ai eu la chance de rencontrer un angel investisseur qui a mis 10,000$ et qui est sorti du business après 18 mois avec un taux d’intérêt bien sûr.
Aucune dette jusqu’à présent, on a fait ce qu’on appelle dans le jargon du boot strapping. Ce n’est clairement pas facile à gérer au niveau de la trésorerie mais c’est la meilleure stratégie quand on démarre en tant que start up. Ça permet d’être plus flexible dans les actions du quotidien et de se sentir plus libre de faire des erreurs sans avoir la pression de l’investisseur.
Comment vos expériences professionnelles précédentes ont pu vous aider dans la création de Lyvv ?
Quand j’étais dans le monde de l’entreprise, j’ai appris à recruter du personnel et à le gérer en l’occurrence. Aussi, j’ai eu à monter beaucoup de projets donc pas mal d’interactions avec des compétences diverses et variées qui m’ont permis de m’ouvrir et d’en connaître plus sur les autres aspects corporate de la vie en entreprise. Tout ça me sert aujourd’hui dans ma société puisque je le vis. La seule différence est qu’il y a beaucoup plus d‘enjeux aujourd’hui puisque c’est ma société.
Vous avez fait partie du Mandela Washington Fellowship, pouvez vous nous présenter ce programme et nous dire comment il a pu vous aider dans votre parcours d’entrepreneur ?
J’ai été sélectionnée en 2015 pour faire partie du Mandela Washington Fellowship, programme phare du YALI : Young African Leadership Initiative du président Barack Obama. C’est un programme qui a non seulement catapulté mes connaissances en entrepreneuriat mais aussi amélioré mes softs skills à un tel point qu’à la fin du programme j’étais prête à me lancer dans cette aventure aussi folle qu’excitante.
Ce programme m’a non seulement aidé à en savoir plus sur comment monter et gérer une compagnie mais m’a aussi permis d’étoffer mon réseau international ce qui n’est pas à négliger surtout quand on décide d’être entrepreneur et qu’on a des ambitions assez élevées.
Quelle a été votre expérience dans la recherche de points de vente ?
Pas facile du tout parce que nos marchés africains fonctionnent encore très lentement et on est encore à l’époque du qui tu connais est plus important que la qualité de ce que tu proposes. Mais c’est aussi une des parties les plus fun de toute cette aventure. Savoir vendre son produit, défendre ses avantages est un pur plaisir. Devoir faire face à la réjection est inévitable, même si c’est très difficile à avaler, cela demeure un élément primordial à l’amélioration personnelle de soit son discours, soit des spécificités même du produit qu’on cherche à vendre.
Lyvv est disponible dans combien de pays aujourd’hui?
Aujourd’hui Lyvv est disponible dans 6 pays : Sénégal, Ghana, Cote d’Ivoire, USA, Canada, France. Cela dit, nous faisons de la livraison partout dans le monde.
Avec le recul, quels conseils donnez vous aux « jeunes » entrepreneurs?
Le conseil que je donne toujours est d’oser. Mais oser avec beaucoup de travail derrière. Il faut être prêt à se sacrifier pour ce qu’on veut. Avant de se lancer dans quelque projet que ce soit, prenez la peine de faire des recherches sur votre marché, votre cible, ayez en gros des données fiables. C’est la base !
Après, l’entourage est crucial. Vous avez beau être super smart, avec la meilleure idée et tous les moyens du monde, si vous êtes mal entourés, tout sera peine perdue. Faites très attention! Et pour finir, prenez du plaisir parce que c’est bien pour ça qu’on fait tout ça. Si avec toutes les difficultés que nous rencontrons, nous n’aimons pas ce que nous faisons, c’est la porte ouverte à la dépression les amis ! Work and have fun !
Vous tenez aussi un podcast où vous partagez vos expériences en tant que femme et chef d’entreprise, pouvez vous nous en parler ainsi que de vos motivations ?
J’ai pensé que démarrer un podcast sur ma vie d’entrepreneur couplée avec ma vie de femme, d’épouse et de mère pourrait être intéressante. Vu que quand j’ai regardé, il y en avait pas beaucoup qui proposaient ce genre de contenu avec une expérience comme la mienne. J’ai décidé de l’appeler Franglo by Ms VEE parce que je suis bilingue entièrement. Je suis francophone à la base mais aujourd’hui je suis mariée à un ghanéen et je vis à Accra. Une autre valeur ajoutée à ce podcast !
Au fil des années, je me suis rendue compte que partager mes expériences professionnelles et personnelles ont été très bénéfiques, autant à moi qu’à d’autres personnes connues comme méconnues, ce qui me motive forcément beaucoup plus.
Pour le moment j’en fais un par semaine et au début je parle de mon parcours du Sénégal passant par la France et le monde anglophone pour finir aujourd’hui au Ghana. Tout en naviguant ma vie quand j’étais en entreprise jusqu’à ce que j’aie décidé de monter LYVV.
De plus, je raconte les challenges auxquels je dois faire face avec 2 enfants à charge, un mari et vivant dans un pays étranger. Tout un programme je vous dis ! Nous étions en break pour les fêtes de fin d’année mais nous avons commencé une série avec des invités toutes les semaines, le grand retour est pour bientôt. Pour le moment , le podcast est disponible sur toutes les plate-formes : Apple , Spotify , Anchor.
Quelle est votre/vos réalisation/s qui vous rend/ent le plus fière?
Incontestablement démarrer Lyvv, la faire évoluer aujourd’hui jusqu’au point où c’en est. Aujourd’hui nous sommes en pleine croissance et je suis optimiste pour le futur.
- Un mot pour la fin?
Go for your dreams. I can assure you that they are valid.
Maderpost / Oserlafrique