L’humilité manque aux hommes et femmes du gouvernement – L’ivresse du pouvoir fait son lit et une certaine arrogance s’étale sous nos yeux – Le minimum attendu des élites au pouvoir est une marque d’attention.
Par Madiambal DIAGNE
“Quelles alertes ou mises en garde pourrait-on encore faire, sinon que de se rappeler la bonne maxime : «L’arrogance précède la ruine, l’orgueil précède la chute.» Le ressenti des populations, à l’endroit de la gouvernance menée par le régime du Président Macky Sall, devient de plus en plus négatif.
A tort ou à raison, les citoyens trouvent des motifs d’exaspération, des raisons pour se mettre en colère. C’est sans doute le lot naturel de l’exercice du pouvoir qui reste assez ingrat, car les citoyens aspirent toujours à un mieux-être. Au demeurant, le minimum attendu des élites au pouvoir est une marque d’attention ou de considération. Il s’agit donc de se mettre à la disposition des populations et de leur prouver être à leur service, à leur écoute. Cette humilité manque aux hommes et femmes du gouvernement. Il n’est pas exagéré dans certaines situations d’avoir le sentiment que l’ivresse du pouvoir fait son lit et qu’une certaine arrogance perceptible s’étale sous nos yeux.
Cette situation n’est certainement pas nouvelle. L’équipe du Président Macky Sall a très vite donné l’air de parvenus arrivés au pouvoir. Déjà, dans une chronique en date du 23 mai 2012, juste deux mois après l’élection de Macky Sall, le 25 mars 2012, nous étions heurtés par les travers de ses partisans qui se révélaient comme des ploucs à la tête de l’Etat.
Nous soulignions notamment : «Tout cela fait désordre, surtout qu’il n’y a eu aucune voix pour recadrer les uns et les autres, leur imposer une certaine tenue. Nombreux sont les citoyens qui se sont indignés de ces attitudes (…) Choqués, nous sommes nombreux à l’être.»
L’euphorie de la victoire et les nouvelles sinécures que leur procure l’exercice du pouvoir, les avaient pratiquement persuadés que tout leur était dû et que rien ne pouvait leur arriver. La dynamique victorieuse faisait que le camp du Président Macky Sall remportait systématiquement les grandes élections. La déconvenue enregistrée aux élections locales de 2014 dans certaines grandes villes comme Dakar, Thiès, Ziguinchor ou Podor, ne pouvait constituer une alerte.
Ainsi, au risque de passer pour cassandre, nous avions tiré la sonnette d’alarme, le 4 août 2015, pour observer que l’attitude des acteurs politiques au pouvoir traduirait «une tentation du suicide collectif». Mieux, nous étions plus direct, dans un texte intitulé «Vous risquez la colère du Peuple», en date du 8 mai 2017, en regrettant : «On aura beau hurler, alerter et tirer la sonnette d’alarme, nos amis de l’Alliance pour la république (Apr) restent butés et ne veulent pas comprendre qu’ils s’exposent et exposent leur pouvoir qui risque ainsi de leur filer entre les mains. Ils insultent et invectivent leurs adversaires politiques et ne s’épargnent plus eux-mêmes. Ils se montrent les plus féroces les uns contre les autres. Ils ne semblent même pas aimer leur propre personne pour se combattre mutuellement de la sorte et risquer de compromettre leur pouvoir.»
N’empêche, le Président Macky Sall a été réélu de fort belle manière en février 2019. Ils ont peut-être fini par se dire qu’ils ont une certaine baraka, que rien ne peut leur arriver, que tout leur glisse à la peau. Le Président Macky Sall a donc semblé ranger dans les tiroirs toutes ses grandes résolutions pour mettre de l’ordre dans son camp, alors qu’il faudrait être autiste, muet et aveugle à la fois, pour ne pas réaliser que les choses vont de mal en pis et qu’il urge d’élever la voix.
Les petits ruisseaux font les grandes rivières
Le mouvement Nio Lank, refusant la hausse du prix de l’électricité, a pu faire une forte mobilisation lors de sa dernière marche du vendredi 31 janvier 2020. C’est un moment d’une expression démocratique dont tout le Sénégal devrait se féliciter. Toutefois, cette marche mérite réflexion pour le Président Sall et ses collaborateurs.
Les organisateurs ont eu la bonne idée de ratisser large, non seulement par le choix d’un itinéraire de la marche, mais aussi en fédérant des revendications éparses et mobilisatrices. Les organisateurs des marches ont appris la leçon. Nous le disions dans une chronique du 5 août 2019, intitulée «Comment peuvent-ils s’étonner que les populations ne viennent pas à leurs marches ?», que les populations sénégalaises ne s’associeront pas à des actions de provocation.
En définitive, chaque participant à la dernière manifestation de Nio Lank y était pour une raison particulière, allant de la défense des libertés fondamentales à la protestation contre la hausse du coût de la vie ou contre les conditions de vie des étudiants mais surtout contre l’attitude, de tous les jours, des tenants du pouvoir.
Le 17 juin 2019, nous protestions dans : «Quand vont-ils s’interdire d’interdire les marches de l’opposition ?» En effet, il nous semblait aberrant qu’à «chaque fois, des leaders sont arrêtés, gardés à vue pendant plusieurs heures, avant d’être relâchés sans aucune autre forme de procès. Une telle façon de faire est attentatoire aux libertés publiques».
Malheureusement, le gouvernement a persisté dans sa fuite en avant, poussant le bouchon jusqu’à se mettre à arrêter des distributeurs de «flyers» dans la rue, qui dénonçaient le prix cher de l’électricité.
Depuis quand distribuer des «flyers» est devenu un délit dans ce pays pour que des citoyens soient raflés, malmenés par la police et gardés pendant plusieurs heures dans des conditions révoltantes pour être finalement relâchés ?
Une telle attitude procède d’une dérive dictatoriale qui n’honore véritablement pas le Sénégal, surtout que dans le même temps, d’autres distributeurs de «flyers», favorables au Président Macky Sall, ont libre cours dans la rue. Des personnes ont bien pu se mobilier pour protéger la liberté d’expression qui est un acquis démocratique qu’on peut considérer comme irréversible au Sénégal.
Seulement, ils doivent être nombreux les marcheurs qui n’ont pas accepté que le gouvernement snobe les cris des populations contre la hausse de l’électricité et celle annoncée de la plupart des denrées de première nécessité.
Depuis plusieurs mois que les factures d’électricité se sont révélées encore plus brûlantes pour les consommateurs, il ne s’est pas trouvé une autorité étatique pour chercher à parler pour apaiser les populations.
Bien au contraire, la communication gouvernementale, qui était naguère triomphante pour parler de la réussite des politiques dans le secteur énergétique, s’est montrée méprisante devant les revendications et protestations des populations.
Le gouvernement n’a fait aucun effort pour montrer une volonté ou une capacité d’écoute. Quand certaines franges du mouvement de protestation Nio Lank ont utilisé divers canaux pour exprimer une volonté de dialogue et de discussion avec le gouvernement, les portes leur ont été fermées. Le préalable à toute discussion, posé par certains responsables de ce mouvement, a suffi par braquer le gouvernement qui refusera toute parlotte.
Cette attitude traduit une suffisance coupable d’autant qu’ils sont nombreux dans les allées du pouvoir à considérer les leaders de ce mouvement de protestation comme n’étant pas assez populaires ou représentatifs.
Qu’à cela ne tienne, la mobilisation des foules peut être déclenchée par un leadership charismatique comme toute cause peut faire sortir des gens, sans leader, dans la rue et c’est là où les risques seraient plus grands pour un gouvernement.
L’agrégation de frustrations est une des recettes pour donner à tout entrepreneur politique une légitimité. L’histoire récente du monde en est pleine d’exemples.
Il faudrait également prendre garde au phénomène de «l’égocratie» que décrivait Michel Foucault, c’est-à-dire la «société dirigée par l’orgueil des élus».
Ainsi, le chef sera rétif à la contradiction et son ego est sublimé au point de lui faire croire qu’il n’a pas d’alter-ego chez ses contempteurs, que l’opposition est un ramassis de frustrés et d’aigris qui ne sauraient lui arriver à la cheville. Il serait encore dangereux de chercher à croire que dans ce Sénégal «tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes». Le Président Macky Sall commettrait une grave erreur en donnant du crédit à de pareilles flagorneries. Il devrait le refuser.
Un peu de pudeur Messieurs, vous parlez de nos deniers
Au risque de se répéter, on ne dira jamais assez «qu’il appartient au Président Macky Sall de reprendre en main son parti et son camp politique. Le chef de l’Etat a souvent manqué d’occasions pour imposer la discipline et l’ordre dans son camp, au point de recevoir comme un boomerang les mauvaises attitudes de ses proches collaborateurs».
Seulement, la grande urgence pour le chef de l’Etat est de rassurer sur les raisons fondamentales pour lesquelles il avait été élu en mars 2012. C’est le credo de la bonne gouvernance qu’il avait en bandoulière. Il faut dire que tous les paramètres établissent indubitablement une nette amélioration de la gestion des affaires publiques mais on peut augurer que le régime de Macky Sall devrait et pourrait mieux faire sur ce registre.
La lutte contre la corruption a fait de réels progrès mais on ne peut nier que l’hydre de la corruption a encore de beaux jours dans ce pays. Il s’y ajoute un phénomène gravement nocif pour l’image de la gouvernance de Macky Sall. Ce sont des membres de l’élite politique et administrative, qui se donnent en spectacle, s’invectivent publiquement et s’accusent ouvertement de prévarication de ressources publiques portant sur de grosses sommes.
Les autres citoyens ne peuvent qu’être révulsés que ceux qui sont au pouvoir jouent au jeu du «tu me tiens, je te tiens…».
C’est une impudeur coupable aux yeux des citoyens dont il est question de leurs deniers et ressources publics. Sorties après sorties, déclarations après déclarations, le sentiment le mieux partagé par l’opinion est que le Président Macky Sall n’est vraiment pas aidé par les luttes fratricides de ses alliés et collaborateurs.
Le ressenti se révèle encore plus amer si c’est le chef de l’Etat qui cherche à revêtir une toge pour laver à grande eau ses collaborateurs. Le chef est prêt à défendre toute sa suite, mais il est regrettable que ses protégés ne cessent de le mettre dans l’embarras. Ne se mettrait-il pas lui-même dans une situation délicate s’il se met à donner des promotions à des personnes épinglées par les corps de contrôle de l’Etat ou gravement poursuivies par la clameur publique ?
La bonne posture d’un président de la République n’est pas de défendre ou d’absoudre un collaborateur dont la gestion est incriminée par les corps de contrôle de l’Etat. Au contraire, le chef de l’Etat a le devoir de tirer toutes les situations au clair, pour l’intérêt exclusif de la Nation.
Le Sénégal a plus que jamais besoin d’une remise en cause pour ne pas dire d’une catharsis et, assurément, le Président Sall a encore toute la latitude et le temps de corriger les travers et dysfonctionnements. Autrement, il apparaîtra comme un conducteur au volant d’une voiture qui fonce tout droit dans le mur, klaxon aux vents et tous feux allumés. Dieu sait qu’il a de la marge pour redresser la course de son véhicule et définir un cap clair aux Sénégalais qui lui ont fait confiance.