La pandémie à Coronavirus a fortement touché les fidèles chrétiens qui avaient l’habitude de vivre en communion la foi en Christ à travers des messes populaires célébrées dans les Eglises.
RELIGION-Ce, depuis que les autorités étatiques ont décrété le 23 mars 2020, l’état d’urgence suivi du couvre-feu interdisant les rassemblements dans les lieux publics pour freiner la propagation du Covid-19 au Sénégal. «L’Obs» est allé à la rencontre des fidèles pour percer les secrets de la pratique de leur foi en période du Coronavirus.
Entre paroissiens, dimanche est un jour très attendu. Une journée de prière avec les enfants, parents, amis et connaissances. Des rites initiaux à l’autel du sacrifice eucharistique, en passant par l’ambon de la Parole, les fidèles donnent toute la ferveur nécessaire au Christ. De cette béatitude, l’assemblée s’abandonne dans l’abjuration jusqu’aux rites de conclusions où elle se voit bénie et envoyée en mission par le célébrant. Des habitudes rompues depuis un bon moment maintenant. Depuis que l’Eglise a décidé de suspendre les messes publiques afin de se coller aux décisions de l’autorité étatique d’interdire tout rassemblement dans les lieux publics comme privés, le 23 mars 2020, avec l’état d’urgence assorti du couvre-feu décrété. La propagation de la pandémie à Coronavirus au Sénégal a fini par changer les pratiques habituelles des fidèles catholiques. Qui aimaient à vivre leur foi en Christ en communion lors des messes publiques célébrées dans les Eglises.
«La prière en famille pour maintenir la foi»
Voilà cinq (5) mois que Antoine Mendy ne vit plus cette communion. Cette ferveur religieuse manque terriblement à ce père de trois enfants, dont une fille, tous domiciliés au quartier Sor dans le faubourg de la ville de Saint-Louis. Un portrait du Christ en croix suspendu au mur vole l’attention de tout visiteur qui franchit le seuil de la maison des Mendy. Un bâtiment R+, revêtu d’une peinture chaudron, dont les portes et fenêtres sont badigeonnées en brou de noix. Un domicile au corridor embelli par des clichés de la Sainte Vierge Marie. La demeure attire encore plus dans son intérieur par le silence qui y règne. Pas de babils de petits, ni de gazouillis de bébé. C’est parce que dans cette famille, le cadet fêtera le mois prochain ses 16 balais. Papy semble n’avoir cure de ce qui se passe autour de lui. Les oreilles bouchées par une paire de casques, l’ado semble happé par sa partie de football virtuelle. Au moment où sa grande sœur, étudiante au département d’Anglais de l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) de Dakar, épaule la bonne dans la cuisine. Tout comme Anne Marie, Frédérick, le troisième enfant, lui aussi étudiant à l’Ucad, est rentré de Dakar depuis la suspension des cours dans l’enseignement supérieur. Et cela donne un peu de vie à ce foyer, avoue le père. Et des âmes de plus pour les prières. «Puisque les messes sont suspendues, nous faisons la prière à domicile», dit-il. Le maître de céans est de type vénérable, souffreteux d’apparence, la mine calme, le timbre posé. A peine sa phrase finie, Mendy se lève, d’un geste apathique, et laisse paraître une taille en dessous de la moyenne, silhouette mince et frêle dans une mise nullement négligée. Bien qu’elle soit loin d’être impeccable. L’écorce noir dissimulé sous un pantalon super cent gris surmonté d’une chemise en wax bigarré, le vieux a le regard clair, la barbiche blanche du patriarche dont il avait l’aspect et l’âge canonique. Chaque soir, il assure le rappel des troupes. Les membres de cette famille se retrouvent sans exception dans un espace exclusivement aménagé pour la prière. Nul n’a le droit de manquer l’heure de rendez-vous. Une alternative décidée par le chef de famille pour maintenir la foi des fidèles qui sont sous son autorité. «Si je ne le fais pas, les enfants auront tendance à se concentrer sur autre chose. Tout comme les messes du dimanche étaient une habitude et une obligation chez eux, les prières quotidiennes organisées à la maison le sont devenues», ajoute le sexagénaire.
C’est à peu près le même scénario qui se passe tous les soirs, chez les Bassène, au quartier Médina Courses. Sauf qu’ici, l’heure est décalée d’un tour d’horloge. Toute la famille se retrouve à 22 heures pour prier. Une heure non fortuitement choisie. C’est pour permettre à la famille d’être au complet. Ainsi, même ceux qui avaient l’habitude de rentrer à la maison à des heures tardives s’efforcent d’être là à 22 heures. Pour Marie Angélique Bassène, femme à la peau noire, la tête ornée par un tissage frisé, et membre de la fratrie, loin de l’effriter, cette situation imposée par le Covid-19 a augmenté sa foi. «Quand on priait à la maison c’est trois ou quatre qui se retrouvaient. Maintenant, toute la famille prie ensemble à 22 heures à la maison», affirme la dame sapée d’un pantalon jean et d’un tee-shirt gris. Parce que la foi, dit Valéry Samuel Hodonu, habitant de Sicap Karak (Dakar) et fidèle de la paroisse Saint Pierre des Baobab, on l’a tellement forte que cette suspension des messes populaires ne peut l’altérer.
«Ce n’est pas parce que les messes publiques sont suspendues qu’on va cesser de vivre notre foi»
A l’image de Marie Angélique Bassène, Grégoire Diouf était un habitué de la paroisse Notre Dame située au quartier Balacoss du faubourg du Sor. Il juge la situation «un peu» compliquée. Puisqu’aucun autre choix ne s’offre à lui, il se plie à la décision. «On est dans l’obligation morale et spirituelle d’être derrière nos guides. S’ils ont pris cette décision, c’est pour le bien de tout le monde», souligne ce jeune entrepreneur s’activant dans le domaine de l’automobile et de l’électronique. Vautré dans un canapé installé dans une pièce du presbytère du Curé de Notre Dame, Diouf, vêtu d’un pantalon Kaki et d’un tee-shirt marron clair, prend un pot avec son oncle, le viaire. La suspension des messes publiques n’est pas à même d’imposer un relâchement aux fidèles, signale-t-il. D’autant plus que les églises ne sont pas fermées. Les fidèles viennent se confesser et prier individuellement, nous dit-on. «Il est vrai que la prière en communauté est souhaitable, mais cette absence de communion ne peut changer notre foi. Nous restons fidèles à Dieu», confie ce trentenaire originaire de Grand-Dakar et domicilié au quartier Cité Ndiakh de Saint-Louis. Même si, reconnaît le jeune homme, terrassé parfois par la fatigue infligée par une journée laborieuse, il lui arrive de s’endormir sans prier. Mais il ne rate jamais la prière du matin. «Nous ne pouvons plus nous retrouver à l’Eglise, ni pour des répétitions de chorale, encore moins autour des mouvements d’action catholique», ajoute-t-il de sa voix basse.
«Les célébrations eucharistiques nous manquent…»
Les célébrations eucharistiques manquent aussi «énormément» à Yves Tendeng. Ce n’est néanmoins pas une occasion de déserter les maisons de Dieu. Ce journaliste domicilié à la Corniche se rend toujours à l’Eglise pour se recueillir. La pandémie l’a plus rapproché de Dieu, de sa foi en Lui et en Jésus Christ, témoigne-t-il. «Nous prions beaucoup à la maison en famille. Également, nous suivons les messes de dimanche en ligne à travers les réseaux sociaux. Car lorsque les messes furent suspendues à cause du Covid-19, certains prêtres se sont proposés à en célébrer dans les réseaux sociaux et c’est comme si nous étions dans une Eglise. Cela nous a énormément aidés jusque-là», ajoute ce père de deux (2) enfants.
La suspension des messes a décuplé les intentions de prière de François Diouf. Ce fidèle de la paroisse Saint François D’Assise domicilié à Keur Massar, dans la banlieue Dakaroise, n’assistait d’habitude qu’aux messes dominicales. «Mais depuis, je suis scotché devant l’écran, en direct sur KTO (une chaîne de télévision catholique française), chaque matin, les lundi, mardi, jeudi, vendredi et dimanche matin», dit-il. Le Covid-19 lui a permis de se recentrer sur l’essentiel : la prière, le travail et la famille. «Je consacre le plus de mon temps aux prières, les différentes Neuvaines et la Divine miséricorde (une prière qui se tient quotidiennement à partir de 15h). Pour vous dire que le rapport à Dieu est personnel. Ce n’est pas parce que les messes publiques sont suspendues qu’on va cesser de vivre notre foi. L’un n’empêche pas l’autre. Car c’est à pareil instant qu’on a plus besoin de la miséricorde du bon Dieu», ajoute François Diouf.
«Les relations de communion altérées»
Carrure tranquille, air bonasse, peau claire, le visage jeune renseignant d’emblée sur ses 17 piges, Barthémy Diop, est d’avis que la suspension des messes publiques peut jouer sur la relation de communion entre fidèles. Cet élève au lycée Charles De Gaulle en veut pour preuve les rencontres organisées entre jeunes de sa génération pour échanger sur des sujets religieux et d’actualité en général.
Pour Roger Dino Mendoza, un fidèle de la Paroisse Saint Joseph de Médina, cette suspension des offices religieux à caractère public a changé les habitudes. «Les gens ne se voient quasiment plus», lâche cet habitant du quartier Fass de Dakar.
Valéry Samuel Hodonu a le cœur rempli de tristesse à chaque fois qu’il laisse sa famille et ses voisins derrière lui pour retrouver une Eglise quasi vide d’êtres. Monsieur Hodonu participe toujours aux messes du dimanche à la paroisse Saint Pierre des Baobab en tant que choriste. La prière est diffusée sur la page facebook de la paroisse. «J’avais l’habitude de voir une Eglise pleine. On chantait, on louait le Seigneur comme il se doit. Maintenant, il n’y a qu’une dizaine. Deux ou trois prêtres, 3 choristes, deux lecteurs et quelques fidèles», souligne-t-il. Il rembobine : «Lors de la fête pastorale, le 28 juin, on a fait une messe. Et au sortir de l’Eglise, les gens couraient chercher une place dans la cour. Cette fois-ci, on était plutôt silencieux et l’un d’entre nous a dit : Oh ! la fête de Saint Pierre, on est là avec une cour vide».
«On a l’habitude d’accompagner nos morts par des chants et prières, ce qui n’est plus possible»
Ce qui peine plutôt Edouard Sambou, domicilié au quartier Fass de Dakar, c’est le fait de ne plus pouvoir prier en communion pour les défunts, partager la douleur avec leurs familles, avant leur enterrement. «On a l’habitude d’accompagner nos morts par des chants et prières», lance-t-il. Le journaliste Yves Tendeng et membre de la chorale de cette paroisse, affirme que le Covid-19 a beaucoup affecté leurs activités, notamment les répétitions. «Cette situation de la pandémie du Covid-19 a beaucoup affecté nos relations de communion entre fidèles chrétiens. Elle a installé en nos seins une certaine méfiance à cause de la peur de choper la maladie du Coronavirus. Du coup, personne ne va plus rendre visite à son voisin et cela n’arrange pas grand-chose sur les relations fraternelles que nous avions auparavant», soutient-il. «Je ressens un manque. Nous avions l’habitude de nous rencontrer tous les dimanches. Les mercredis, notre entité dénommée «Le renouveau charismatique» se rencontrait à Saint Joseph. Il y avait tellement d’ambiance et d’union dans la prière. Cette union des cœurs dans la prière nous manque», ajoute Roger Dino Mendoza.
Alliance virtuelle
Marie Angélique Bassène et ses consœurs et confrères n’ont pas gelé leurs activités. Un réaménagement s’est juste imposé dans le programme de leur groupe de renouveau charismatique dénommé «Fleur du Désir» pour se coller aux mesures de protection afin de limiter la propagation du Coronavirus. Pour respecter les instructions, le groupe a été réduit. Seuls les responsables se rencontrent pour maintenir l’esprit de l’initiative. «On se retrouvait d’habitude, les mercredis de 18 à 20h. Maintenant, on ne se rencontre que les vendredis à 15h pour la prière de la divine miséricorde. Et nous ne sommes que 4 ou 5 à y participer», explique la trentenaire.
A défaut de la vivre en direct, certains fidèles vivent cette communion de manière virtuelle. «Nous avons un groupe WhatsApp et une page Facebook. Le virtuel est là pour combler le gap», renchérit François Diouf. «On échange et s’envoie la parole de Dieu à travers notre groupe WhatsApp appelé «Jeune espérance», poursuit Marie Angélique Bassène.
Edouard Sambou fréquente la Paroisse Saint Joseph de Médina (Dakar). Lui aurait aimé se retrouver dans une Eglise pour prier afin que Dieu stoppe la propagation de la pandémie. Parce que selon lui, sans la foi, le Covid-19 ne pourra pas quitter le monde. «Il faut nous souder dans la prière pour éliminer le Coronavirus. La prière individuelle est bonne, mais celle collective est meilleure. Chacun donnera toute sa foi pour prier». Les messes populaires pourraient se tenir dans le respect des mesures barrières, recommande-t-il. «On pouvait augmenter le nombre de messes afin de limiter les effectifs pour chaque prière. Au lieu d’accepter 100 fidèles ou plus, on va délimiter les messes par groupes de 50, de ce fait, la distanciation sera respectée». De temps à autre, Sambou invite ses amis pour réciter le chapelet, car c’est dans la foi que des solutions pourront être trouvées pour vaincre cette infection respiratoire. «On doit retourner à Dieu pour faire face à cette pandémie !»
Maderpost / IGFM