Menés par le général Mohamed Hamdane Daglo, dit “Hemedti”, les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) ont revendiqué la prise du Palais présidentiel d’Abdel Fattah al-Burhane, à Khartoum. Qui sont-ils et quelles sont leurs revendications ?
KHARTOUM – Ce dimanche 16 avril, les rues de la capitale resteront vides. Cloitrés chez eux, les habitants ont été remplacés par des militaires en treillis, armes à la main. Les bruits de la ville, eux, ont laissé la place à ceux des explosions. Fusils, artillerie, avions de combat, depuis hier, militaires et paramilitaires s’affrontent violemment dans la capitale qui disparaît peu à peu sous un écran de fumée désormais permanent.
Le conflit couvait depuis des semaines, il a dégénéré ce samedi 15 avril. Depuis deux jours consécutifs, militaires et paramilitaires s’affrontent violemment à Khartoum et dans plusieurs localités du pays.
“Il s’agit là de quelque chose qui était attendu, un conflit latent et insoluble entre l’armée, d’un côté et de l’autre les Forces de soutien rapide (FSR), les deux étant en concurrence pour le pouvoir d’une part, mais surtout pour la prédation des ressources du Soudan, qui vont en diminuant”, explique Marc Lavergne, directeur de recherche émérite au CNRS, géopolitologue et spécialiste du Moyen-Orient et de la Corne de l’Afrique.
Il ajoute : “L’armée est une force prédatrice et les FSR en sont une autre. Leurs ressources sont différentes. Il s’agit donc de prendre le pouvoir et d’écarter l’autre. Les FSR ont voulu s’autonomiser, elles ont pour cela refusé d’être digérées dans l’armée car leur chef, Hemedti, ne s’en cache pas : il veut le pouvoir et tout le pouvoir”.
Qui sont les FSR ?
À l’origine de ces violences, une lutte de pouvoir oppose les deux généraux aux commandes du Soudan depuis leur putsch en 2021 : Abdel Fattah al-Burhane, le chef de l’armée au pouvoir et le général Mohamed Hamdane Daglo, à la tête des Forces de soutien rapide (FSR). Lors du coup d’État de 2021, les deux hommes avaient pourtant fait front commun et avaient ainsi évincé les civils du pouvoir. Dénonçant quelques temps plus tard le coup d’État, Mohamed Hamdane Daglo s’est finalement rangé du côté des civils et donc contre l’armée.
Les FSR sont composées des enfants de Janjawid et plus largement de nombreux déplacés dans les camps au Darfour.
Marc Lavergne, directeur de recherche émérite au CNRS
“Contrairement à al-Buhrane qui a fait l’armée, possède un titre militaire etc, Hemedti, même si on l’appelle aujourd’hui général Hemedti, n’en est pas du tout un. Il n’a aucun titre militaire”, précise Marc Lavergne.
“Il n’a aucun sens de ce que le Soudan pourrait ou devrait être. Or, c’est la question fondamentale. Son aire d’action demain ce sera la Centrafrique, le Tchad ou encore le Niger. Il fait partie de cette nouvelle engeance qui prend en main le Sahel actuellement. Finalement, il ne doit rien au Soudan et le Soudan ne lui doit rien”, ajoute-t-il.
Hemedti est aujourd’hui à la tête des FSR, composées de milliers d’ex-miliciens de la guerre du Darfour devenus supplétifs de l’armée. Avec eux, Hemedti souhaite aujourd’hui déloger l’armée du pouvoir. “Les FSR sont composées des enfants de Janjawid et plus largement de nombreux déplacés dans les camps au Darfour”, explique le directeur de recherches émérite au CNRS (ils seraient aujourd’hui près de 2,5 millions, ndlr).
“Hemedti est lui-même l’héritier des Janjawid et il a recruté leurs enfants. Les parents sont d’ailleurs heureux qu’ils soient recrutés comme mercenaires pour aller se battre au Yémen ou en Libye, tout simplement parce qu’il n’y a pas beaucoup d’options pour les jeunes aujourd’hui. Finalement, ce sont de pauvres gamins que nous retrouvons aujourd’hui dans tout le Sahel. Quand certains pays ont besoin de main-d’œuvre, ils piochent dans ce vivier de jeunes qui n’ont pas d’avenir et qui reçoivent 1000$ par mois quand ils sont mercenaires.”
Quelle issue ?
D’un côté comme de l’autre, les revendications de prises vont bon train. Samedi par exemple, les FSR avaient annoncé avoir pris l’aéroport en quelques heures, ce que l’armée a démenti. Les FSR ont également dit tenir le palais présidentiel. Nouveau démenti de l’armée qui assure tenir le QG de son état-major, l’un des principaux complexes du pouvoir à Khartoum. Au sujet de la télévision d’État, l’un comme l’autre assure l’avoir prise.
Chacun va penser ses blessures, se rabibocher, partager des postes. Cela ne résout pas pour autant le problème économique et financier ni le problème politique évident qui est : qu’est-ce que le Soudan doit être ?
Marc Lavergne, directeur de recherche émérite au CNRS
Les affrontements se font également par médias interposés. Samedi 15 avril, Hemedti a enchaîné les interviews aux chaînes de télévisions du Golfe, dont plusieurs États sont ses grands alliés. Il y a multiplié les injures contre son rival, le général Burhane, resté quant à lui discret. Hemedti n’a cessé de réclamer le départ de “Burhane le criminel”, alors que l’armée, elle, publiait sur son compte Facebook un “avis de recherche” contre lui. À la chaîne qatarie Al-Jazeera, le chef des FSR a assuré que ses combattants “ne s’arrêteraient pas avant d’avoir pris le contrôle de l’ensemble des bases militaires”.
Alors que le pays tente depuis 2019, en vain, d’organiser ses premières élections libres après 30 ans de dictature islamo-militaire, le conflit risque d’empêcher toute solution politique et retarde davantage sa transition démocratique. Marc Lavergne nuance toutefois.
“Il existe aujourd’hui au Soudan des forces qui sont capables d’incarner et de faire fonctionner l’État. Les Forces de la liberté et du changement par exemple, composées de jeunes, d’étudiants, de fonctionnaires, d’hommes d’affaires, etc. Elles ont un sens aigu de l’État. Ces personnes considèrent effectivement que le Soudan est une sorte de mosaïque mais estiment que ce qui doit unir tout le monde, c’est le sentiment d’un pays ancré dans l’histoire et doit trouver le moyen que tout le monde vive à l’aise”.
Le directeur de recherche ne se veut pas pour autant optimiste, même en cas d’accord entre les deux parties. “Nous sommes dans un système où ce sont ceux qui ont les armes qui ont la parole. Il y aura des accords, comme toujours au Soudan entre Hemedti et l’armée. Chacun va penser ses blessures, se rabibocher, partager des postes. Cela ne résout pas pour autant le problème économique, financier et politique évident qui est : qu’est-ce que le Soudan doit être ?”, conclut-il.
Selon les chiffres des médecins prodémocratie, au moins 56 personnes ont perdu la vie parmi les civils, des “dizaines” parmi les forces de sécurité, ainsi qu’environ 600 blessés en seulement 24H. D’après une information de l’ONU, trois de ses humanitaires auraient également perdu la vie au Darfour. L’armée et les paramilitaires ont annoncé ouvrir dimanche à 14H00 GMT, des “couloirs humanitaires” pour évacuer les blessés “pendant trois heures”, se gardant des deux côtés un “droit de riposte en cas de violation” de l’accord.
Maderpost / Tv5 Monde