Et si le film du report de l’élection présidentielle du 25 février 2024, et ses conséquences sur le mandat du Président de la République était joué d’avance? En effet, une analyse froide du feuilleton politico-juridique auquel nous assistons depuis le 3 février 2023, couplée au décryptage du comportement des principaux acteurs depuis le début, rend malheureusement improbable une passation de pouvoir entre le Président Macky Sall et son successeur le 02 Avril 2023. Il suffit pour s’en convaincre de revisiter les différents épisodes du feuilleton.
CHRONIQUE – Épisode 1: Acter le report ensemble, sans donner l’impression de s’entendre! Le décret présidentiel abrogeant celui convoquant le corps électoral et la proposition de loi constitutionnelle portant report de l’élection présidentielle sont des actes purement politiques.
Après avoir été pris par leurs auteurs (le Président de la République et l’Assemblée Nationale), ils ont ensuite été sanctionnés par un acte juridictionnel (décision du Conseil constitutionnel) qui les a neutralisés. Mais cette sanction neutralisation n’est en réalité que d’apparence puisque son auteur (le Conseil Constitutionnel) finit par constater, voire entériner, le report de fait de l’élection présidentielle en considérant que la date du 25 février n’était plus tenable.
Il s’en arrête là et n’en tire aucune conséquence en termes d’obligation de résultat à la charge des autorités compétentes. Il se contente, au contraire, d’ imposer une obligation de moyens, à savoir organiser les élections “dans les meilleurs délais”.
Le comportement des acteurs dans cette première séquence du feuilleton permet de tirer les conclusions suivantes: – Les auteurs des actes politiques (Le Président Macky Sall et l’Assemblée Nationale) ont atteint leur objectif de départ: obtenir le report! La seule chose qui a changé c’est le chemin pour y parvenir, le report légal (loi constitutionnelle) ayant cédé la place à un report juridictionnel de fait. –
L’auteur de l’acte juridictionnel (le Conseil Constitutionnel) a également atteint son but: redorer son blason écorné par une grave accusation de corruption de juges, ce en disant le droit, et rien que le droit, au prix même d’un revirement jurisprudentiel. Cet objectif devait toutefois se concilier avec la précaution de ne pas égratigner la volonté des pouvoirs exécutif et législatif dans le fond, au nom de la séparation des pouvoirs.
En outre, le Conseil Constitutionnel a réussi à annuler les actes politiques sans les priver de l’effet recherché puisqu’il entérine lui-même le principe du report en déclarant que l’élection ne peut plus être organisée le 25 février 2024. Cette convergence des acteurs vers la même direction montre qu’il n’y a jamais eu de crise institutionnelle au Sénégal.
Au contraire, on assiste à une parfaite entente institutionnelle, dans le respect de la séparation des pouvoirs. La cessation de la commission d’enquête parlementaire au profit d’une prise en main de l’enquête par le judiciaire n’est que confirmation de ce fait.
Épisode 2: Dialoguer, pour fixer ensemble la nouvelle date de l’élection. En demandant d’organiser les élections dans “les meilleurs délais”, le Conseil Constitutionnel renvoie la balle au pouvoir exécutif et au Président de la République en premier.
En effet, le droit ayant été dessaisi avec le vide juridique créé par le report, et le Conseil Constitutionnel étant pris au piège de son incompétence à fixer de son propre chef une nouvelle date pour l’élection, la balle venait ainsi d’être renvoyée à nouveau aux acteurs politiques.
De ce fait, les initiateurs du report ont réussi un coup de maître en faisant “une pierre deux coups”: obtenir non seulement le report, mais également obliger les acteurs à se retrouver autour de la table face à l’impuissance du droit à régir la nouvelle situation.
En effet, il ne semble y avoir aucune autre issue que d’arrêter la nouvelle date de l’élection de manière collégiale, puisqu’on voit mal comment le Président de la République pourrait s’autoriser à fixer de manière unilatérale cette date, au risque de contrevenir (à nouveau?) aux dispositions de la loi électorale.
En effet, au stade où nous en sommes du processus et du calendrier, tout nouveau décret de convocation du corps électoral pris unilatéralement à l’effet d’assurer une passation de service le 2 avril 2024 violera d’autres obligations légales, y compris, entre autres, celle relative à la durée de la campagne électorale du premier tour. En conclusion, le principal enseignement à tirer de cet épisode, c’est que sous l’apparence d’avoir été désavoué par le Conseil Constitutionnel, le Président de la République a en vérité réussi à obliger les acteurs à dialoguer afin de tirer les conséquences de la nouvelle situation qu’il a lui-même créée.
Épisode 3: Passation de pouvoir le 2 avril 2024 ? Cet épisode n’a pas encore été joué! Mais la bande annonce est prometteuse! Si l’épisode 2 se déroule comme prévu, avec à la clé une nouvelle date d’élection retenue de manière collégiale, il y’aura une dernière scène à jouer: la passation de pouvoir! Est-ce qu’elle aura lieu le 2 Avril?
Théoriquement elle devrait! Puisque le mandat de 5 ans du Président Macky Sall sera épuisé et il n’est pas candidat à sa propre succession. Mais il subsistera la question de savoir qui va le remplacer, vu que le déroulement de l’épisode 2 comme prévu aura montré l’impossibilité matérielle de lui trouver un successeur avant le 2 avril 2024. La piste du Président de l’Assemblée nationale est à priori exclue si aucun des cas de vacance de pouvoir prévue par la constitution ne se réalise. Qui d’autre alors pour lui succéder ?
Le casting s’arrête visiblement là, et tout porte à croire que le Président Macky Sall, pourrait, par la force des choses, rester au pouvoir jusqu’à l’installation de son successeur tel que semble le prévoir l’article 36 de la constitution (“Le Président reste en fonction jusqu’à la prise de fonction de son successeur”).
Maintien au pouvoir malgré un mandat épuisé : le comble de l’inédit ! Voilà, en trois épisodes, comment les actes politiques posés par le Président de la République et l’Assemblée nationale respectivement le 3 et le 5 février, et sanctionnés par le Conseil Constitutionnel le 15 février, ont conduit successivement au report de l’élection, à l’impératif de dialoguer, et à la probabilité du maintien en fonction d’un Président de la République sans mandat, ce jusqu’à l’élection de son successeur dont les acteurs de l’épisode 2 voudront bien fixer la date.
Cet épisode sera visiblement le tournant du film “Report de l’Election” !
Mouhamadou Madana KANE Docteur en droit Président de la Coalition Dundu
Maderpost