Le retour de l’enfant prodige n’aura plus lieu, pas pour cette année encore. Senghor et sa famille vont continuer à reposer à Dakar. Le rapatriement de leurs restes n’ayant pas enchanté sa famille maternelle. Une frustration des joaliens qui attendaient ce moment.
JOAL – Ce vendredi 17 décembre 2021, un calme règne à Joal. La brise de mer caresse les visages. Mais l’atmosphère est polluée par l’odeur fraîche du poisson qui empeste les narines. Les effluves de poissons fumés distillées au bord de la lagune, située à quelques encablures du pont, embaument la stratosphère. Après quelques minutes de route, le collège de Joal ouvre grandement ses bras, pour nous accueillir. La Cour est brillante. Normal : c’est l’heure de la récréation. Les potaches connaissent bien l’histoire du défunt Président. Certains n’hésitent pas à réciter ses poèmes.
Léopold Sédar Senghor, décédé le 20 décembre 2001, est inhumé le 28 du même mois de la même année, au cimetière catholique de Bel-Air, à Dakar. Ce qui n’était pas du goût de certains de ses proches qui demandaient qu’ils soient enterrés dans son village natal, Joal. 20 ans après la disparition du défunt président-poète, ces derniers continuent toujours de réclamer le rapatriement des restes de Senghor qui, du reste, s’avère impossible.
Disciple du défunt poète, Amadou Lamine Sall, précise sur I-radio : « Toutes les conditions étaient réunies pour que le corps de Senghor soit ramené à Joal le 19 décembre. Et le premier anniversaire le 20 décembre à Joal. Mais nous sommes obligés de dire au monde entier- puisque c’est le monde entier qui se préparait pour venir accompagner Senghor à Joal- qu’une partie de sa famille en a décidé autrement. Nous nous en arrêterons là pour le moment. » Sans doute une déception de sa part que le vœu du premier président de la République du Sénégal d’être inhumé dans son village natal ne soit pas réalisé.
« La famille de son papa a discuté avec nous, a été en phase avec nous, et nous avons travaillé ensemble sur la cérémonie de rapatriement des trois corps à Joal. La famille maternelle a pensé qu’il ne fallait pas l’amener à Joal et a donné ses raisons. Les choses étant ce qu’elles sont, nous ne pouvons que constater la posture de la famille maternelle et nous le disons avec beaucoup de respect », a acté Amadou Lamine Sall.
Ce sentiment de déception par rapport au refus de rapatriement des restes de Senghor est partagé à Joal. Certains en sont même scandalisés. Un tour dans les quartiers permet de mesurer l’enthousiasme de recevoir le fils qui régnait ces jours. Hommes, femmes, vieux comme jeunes étudiants, tous étaient en train de préparer cet événement. Mieux, une série d’évènements était prévue le 19 décembre, date qui a été retenue pour le rapatriement.
Aline, Paul, Aminata, sont des élèves de ce collège. Ils se disent tous scandalisés du refus de rapatrier les restes du corps de Senghor et ceux de sa famille. « Il voulait qu’on l’enterre ici. Il avait déjà préparé son caveau », a déclaré une mareyeuse, la quarantaine. Elle enchaîne : « Son souhait, c’était qu’il soit enterré ici auprès de ses proches et tant que cela n’est pas réalisé, il ne va jamais se reposer pas en paix. » Artiste chanteur, Gérald Ndiaye embouche la même trompette. C’est avec tristesse qu’il a fait part de son amertume. Selon lui, toute la communauté de Joal était en train de préparer l’arrivée des restes des Senghor : Collette, Philippe et Léopold. « C’est un événement que nous attendions mais, malheureusement, on ignore les raisons de ce report. On est très déçu. Senghor ne mérite pas cela », regrette-t-il. Il renseigne même avoir concocté une chanson dans laquelle il évoque la nostalgie que le cimetière de Joal a pour Léopold Sédar Senghor. A l’instar des autres, le vieux Savané ne trouve pas les mots pour regretter ce report. « Je suis déçu. Ce n’est pas normal de reporter le rapatriement. Nous étions enthousiastes mais, hélas, c’est la déception depuis que nous avons appris que ce rapatriement n’aura plus lieu », a-t-il fait savoir. Et il accuse les politiques d’être derrière cette décision. « Avec ce rapatriement, Joal allait encore être plus attractif, Senghor va reposer en paix, c’était son souhait », renchérit le guide Gerald Albert Diokh.
Apparemment la question sensible. Et le maire de Joal, Boucar Diouf préfère la prudence. « A notre niveau, nous sommes dans l’attente d’une décision prise par la famille », a-t-il dit. Le rapatriement sera pour une autre fois. Ou peut-être jamais !
Maderpost / Emedia