S’il est une constante dont on peut convenir, à moins d’être de la famille des pastéfiens, est que le leader charismatique du parti et non moins Premier ministre Ousmane Sonko s’est mis à dos la presse lors de sa conférence publique du dimanche 9 juin 2024, permettant aussi à certains membres de l’opposition jusqu’ici groggy de se rebiffer et de le tutoyer sans ménagement.
POLITIQUE – « Arrêtons-le à temps ! Parce que sans solution pour la jeunesse, le Premier ministre verse dans la menace contre les libertés, les médias et les magistrats. Arrêtons ce Pm avant qu’il ne soit trop tard. Qu’il se le tienne pour dit : le peuple sera toujours debout pour dire non ! », a réagi dans la foulée le journaliste Mamoudou Ibra Kane (MIK) reconverti homme politique avec son mouvement « Demain c’est maintenant », par ailleurs souteneur de l’ancien Premier ministre Amadou Ba candidat malheureux de Macky Sall à la présidentielle du 24 mars 2024.
Une réaction de MIK qui n’aurait pu manquer ce d’autant que l’opportunité de ruer dans les brancards de l’homme providence de Pastef lui était offerte par le leader en chef lui-même. Il est connu de tous qu’en politique la meilleure offre de l’adversaire est quand il vous hisse lui-même à son niveau. Et dans ces cas, il faut savoir se saisir de l’opportunité pour exister et profiter de l’opportunité donnée.
C’est ce que le faiseur de maires, de président de la République a réussi dimanche avec brio. Se mettre à dos les médias, réveiller l’opposition qui errait Ko debout dans le désert, rameuter la société civile qui n’en demandait pas tant pour se rappeler aux bons souvenirs du pouvoir. Sans compter les partenaires au développement, les institutions de Bretton Wood, ONG et organisations internationales silencieux qui voient toujours d’un mauvais œil le pouvoir taper sur les médias et l’opposition.
La leçon Mame Mbaye Niang
Sans attendre, MIK en a profité pour sortir l’artillerie lourde. « Sonko moy Diomaye ou Diomaye moy Sonko, la magie sur la jeunesse n’opère plus. Un vrai mélodrame qui paralyse déjà le Sénégal. Les jeunes sont sûrement déçus par la prestation ». On l’a dit plus haut, il faut savoir exister. Le journaliste devenu homme politique connait la leçon, tout comme l’ancien ministre de la Jeunesse Pape Malick Ndour dont on connait la rancoeur pour l’homme providence de Pastef. « Dans une République, quand la plus haute institution est reléguée à un rôle de représentation et de figuration et se fait appeler Serigne Ngoudou, sévit alors gravement une crise d’autorité. »
Ou encore l’ancien député Thierno Bocoum, connu pourtant pour sa tempérance, son discours mesuré. « Le Premier ministre Ousmane Sonko est en retard. Le plan d’action gouvernemental qu’il annonce pour bientôt lui a été demandé depuis très longtemps », dit-il sur sa page Facebook. Pour Bocoum, El phénoméno devenu PM est allé trop loin en s’attaquant à une opposition qui ne peut être réduite à « sa plus simple expression » comme l’avait juré Macky Sall.
Non ! Pas d’Ousmane Sonko quand même qui en a souffert avant qu’un supposé ou annoncé protocole de Cap Manuel ne débouche sur une amnistie. « S’attaquer à une opposition qui a décidé de laisser le temps de l’observation est une belle preuve d’incapacité face aux nouvelles charges étatiques (…) L’ingénieuse prouesse a été de trouver le temps de faire de la politique politicienne après avoir demandé du temps pour faire des résultats (…) Qu’il sache que ceux qui ne sont pas dans le soutien aveugle, le fanatisme et la recherche de sinécures connaissent bien ce proverbe qui dit que bien dire fait rire, bien faire fait taire. » Bocoum ne fait pas dans le chou.
Enfin le Synpics, pour ne pas étaler la liste y est allé de son courroux. « Nous avons suivi comme tous les Sénégalais la conférence publique d’Ousmane Sonko au Grand Théâtre. Mais ce qui nous a le plus surpris, c’est qu’il semble pointer du doigt la presse sénégalaise, en tout cas les journalistes de manière générale. Il profère, malheureusement, des menaces à l’encontre des journalistes », dixit Maguette Ndong.
La boucle est bouclée. Si les pastéfiens, voire d’autres ont applaudi à tout rompre le discours de l’emblématique Ousmane Sonko, d’autres, droits dans leurs bottes, ont tenu à dire leurs vérités. Ce n’est pas en menaçant ou en étant belliqueux qu’on pliera la presse, certains hommes et femmes politiques. Au contraire, il s’en trouvera toujours certains qui défendront la corporation, la démocratie. De ce point de vue, la réaction n’a pas tardé. Les magistrats rompus aux obligations de réserve n’ont pas encore pipé mot. Mais …
Ayant connu l’expérience Mame Mbaye Niang, (dont il affirme avoir un dossier le concernant sur son bureau), qui avait sauté sur l’occasion pour se mesurer au patron de Pastef et faire oublier le dualité Macky/Sonko, on se demande si le Premier ministre a retenu la leçon pour ne plus tomber dans ses travers facilités par ses prises de parole en public en toute liberté, souvent sans fil conducteur. Parce que si l’effet escompté était de dresser contre lui médias, acteurs politiques et certains pans de la société civile alors qu’il surfe sur un quotidien moribond de l’opposition, on peut dire qu’il a réussi. A moins qu’il n’ait été question de déclarer la guerre aux journalistes ! Pourquoi ? Dans quel but ? Pourtant, ce ne sont pas des vérités qui manquent dans le discours de Sonko.
Ces patrons de presse qui ne paient pas l’impôt…
« Tu écris à la Une de ton journal que tel a détourné, tel a été épinglé par tel rapport et toi, on te donne, d’ailleurs tu l’imputes dans les salaires de tes employés en leur disant que c’est de l’impôt, je dois l’amener dans la caisse de l’Etat et tu retournes pour le manger. Çà, c’est un détournement de deniers publics. Est-ce que vous savez ce que dit le Code de l’impôt sur cela, on doit te poursuivre pénalement », a dit un Ousmane Sonko en verve, comme pour prévenir une descente prochaine d’agents des impôts dans les rédactions et bureaux feutrés de certains patrons de presse, pour fouiller dans les affaires afin de voir s’il n’y a pas d’abus de biens sociaux.
Si tel est le cas, on peut voir d’ici quelques tressaillements et tremblement de Parkinson anticiper certains gros titres de la place, mais faudrait-il encore qu’ils en existent qui bouffent ripailles là où leurs employés négocient des strapontins dans les car-rapides cercueils quand ils ne sont pas connus aussi pour arrondir leur fin de mois en faisant le pied de grue à Orange Money ou Wave.
Ce qui n’est pas mieux et encore moins une belle image, dévalorisant étant le terme approprié pour les journalistes en cette veille de Tabaski qui risque d’être pauvrissime. Il y a des choses à revoir, à corriger et à parfaire, voire sanctionner au besoin, sans pour autant rendre précaires les emplois, à moins que le but ne soit de mettre la presse sous le paillasson ou au pas, en la réduisant « à sa plus simple expression ».
Ce qui serait une terrible erreur de la part des nouvelles autorités. Vouloir fabriquer un média consentant surfant sur la propagande médiatique en démocratie comme le laissent entendre Noam Chomsky et Hedward Herman n’est pas ce qu’il y a de mieux, surtout dans en cette ère de l’IA. Cela dit, les journalistes que nous sommes, sont plus que jamais conviés à décrypter les enjeux politiques nationaux, la géopolitique et la géostratégique dont le Sénégal ne peut être étranger. Des voix s’étonnent par exemple dans le Sud du silence de la presse sur des événements malheureux survenus il y a peu, très peu en Casamance.
… Un général Kandé encombrant
La nomination du Général Souleymane Kandé comme « Attaché de défense et de sécurité » à New Delhi, en Inde, par décret présidentiel, a fait couler beaucoup d’encre, amenant une partie de la presse à s’engager tête baissée dans la reprise d’un article publié par Afrique Confidentielle, à différencier de Confidentiel Afrique de notre confrère Ismaïla Aïdara. Les jugements plus ou moins exprimés dans cette nomination jugée « humiliante », parce qu’il est perçu au Sénégal qu’un général est nommé au moins « ambassadeur » ou « ministre », ont conduit à des prises de position dangereuses pour le pays.
La fonction d’attaché militaire qui dépend du ministère des Forces armées (au Sénégal) et du ministère des Affaires étrangères est souvent pour ne pas dire presque toujours exercée par un officier supérieur (lieutenant-colonel, colonel), voire un officier général. Dans certains pays, l’attaché militaire est appelé attaché de défense. A Washington, aux Etats-Unis, le général de brigade d’aviation Mike Deobel, officier de l’Air Force, assume depuis 2011, la fonction d’attaché de défense. Où est donc le problème pour ce qui concerne le Sénégal ?
Il faut peut-être aller chercher du côté de la Casamance, notamment en 2021, pour se faire une idée. A l’époque colonel et commandant de la zone militaire Numéro 5, Kandé avait invité la presse régionale, nationale et internationale à une visite des suites de bombardements des zones occupées laissées en l’état par les bandes armées et combattant du MFDC. Tout le monde s’était félicité des descentes et bombardements en règle de ces bases.
Mais au regard des photos de kalashnikov, grenades et fusils laissés sur place, certains s’étaient demandés si la réponse n’avait pas été disproportionnée par rapport à la menace où en ce qu’elle représentait en termes d’informations militaires. Des voix parlent à voix basse, normal.
La grande muette sénégalaise est connue pour son silence, mais aussi pour sa philosophie. Elle analyse d’abord et procède aux tirs ensuite. Le Sénégal n’est pas … à Gaza. On n’ira pas plus loin, cependant, il est difficile de voir le Président Bassirou Diomaye Faye prendre des décisions concertant la nomination du général Kandé sans échanges avec le ministre des Forces armées, le Général Birame Diop, du reste ancien CEMGA et patron en 2021 du colonel Kandé, fait général, patron de l’Armée de terre et coordonnateur des Opérations spéciales en octobre 2022 par Macky Sall.
De ce point de vue, il est aisé de comprendre la sortie au vitriol du Premier ministre qui est monté au créneau pour défendre des principes fiscaux et sécurité nationale avec certes plus de casse au final qu’il ne l’aurait certainement souhaité. Mais s’il est une chose qui est claire, c’est que le changement de paradigme est en marche et que c’est en se connaissant et se comprenant que l’on ira à l’essentiel et ensemble.
Charles FAYE