Incontestablement, le dernier communiqué de la Présidence de la République en date du 16 février 2024 vient confirmer l’intention du Président Macky Sall d’organiser le scrutin dans les plus brefs délais [DLPBD]. Très probablement autour de la mi-mars, environ sept millions d’électeurs seront convoqués aux urnes. Conformément à l’article 33 de la Constitution, le scrutin devra tomber sur « un dimanche ». C’est dans ce contexte que Dr Cheikh Omar Diallo, Docteur en Sciences Juridiques et Politiques a publié une étude technique des 20 candidats en lice. Cela vaut le détour.
PRESIDENTIELLE 2024 – 1. Amadou Ba : L’homme que son propre camp veut abattre
Amadou Ba est un animal blessé. Il faut donc s’en méfier malgré la défiance et la méfiance en son endroit. Porté par une grande mais faible coalition politique, le dernier chef de gouvernement de Macky Sall se trouve dans une position complexe et délicate. Jamais dans l’histoire politique du Sénégal, un Premier ministre n’a été aussi affaibli par son propre camp ; défié par ses ministres ; humilié par les députés de la majorité et sous-estimé par son mentor. L’aventure ambigüe de Macky Sall et des caciques du parti présidentiel (APR) le hissera très difficilement au sommet. Mieux, le risque de vote-sanction est fort élevé dans ses propres rangs.
Pour se révéler définitivement aux Sénégalais, Amadou Ba doit s’émanciper de la tutelle de Macky Sall.
Malgré le bilan matériel avantageux par endroits et les progrès économiques, le Sénégal est toujours en proie à des inégalités tenaces, une pauvreté criarde et des problèmes sociaux brûlants tels que la cherté de la vie, le chômage galopant et l’émigration clandestine. Se positionnant comme le principal acteur du changement dans la continuité, il doit convaincre les couches populaires défavorisées qu’il est à même d’apporter de profondes corrections et d’importants ajustements. Tout un programme !
Équation électorale
L’adoubement timide de Macky Sall et les accusations de corruption de deux membres du conseil constitutionnel constituent un chemin de croix pour lui. Alors comment faire la balance entre l’élargissement de l’électorat et la menace de vote-sanction ? Telle est la problématique de Ba.
Stratégie politique
Elle consiste à s’affranchir de la tutelle Macky Sall pour mieux affirmer sa propre identité politique. Ce qui passe par des propositions concrètes sur des préoccupations nationales telles que la cherté de la vie, le chômage endémique, l’emploi des jeunes et l’émigration clandestine.
Angle de communication
En se libérant des discours classiques et en dé-standardisant son écriture politico-médiatique, Amadou Ba peut espérer conquérir de nouveaux bastions et atténuer le risque de vote-sanction. Son défi communicationnel tient en une phrase : savoir ce que les électeurs veulent entendre et comment ils aimeraient qu’on le dise.
2. Bassirou Président, Sonko Premier ministre
À défaut d’être candidat, le champion de l’opposition Ousmane Sonko a servi une masterclass en faisant valider trois candidatures : Bassirou Diomaye Faye le favori, Habib Sy et Cheikh Tidiane Dieye. Un avantage et plusieurs inconvénients. C’est vrai, ils sont perçus comme des hommes intègres et des patriotes. Mieux, leur ligne politique ne souffre d’aucune ambigüité ; elle est axée sur le souverainisme, l’indépendance et la préférence nationale.
Au surplus, le soutien sans équivoque d’Ousmane Sonko à son lieutenant Bassirou Diomaye Faye entrainera la mobilisation des centaines de milliers d’électeurs, constituant ainsi un bassin électoral. Mais, il serait judicieux que les autres candidats fassent profil bas pour éviter l’émiettement des voix. Dans cette élection, une seule voix peut faire la différence.
Équation électorale
Elle repose sur la nécessité pour le prisonnier politique Sonko de rassembler les voix des électeurs partageant les mêmes préoccupations autour de son candidat en détention Bassirou Diomaye Faye. Alors comment faire pour éviter l’émiettement des voix ? Telle est l’équation majeure du masterchef de l’opposition.
Stratégie politique
Les candidats pro-Sonko devraient surligner leur maîtrise des préoccupations de la jeunesse en proposant des solutions innovantes afin de mobiliser une masse critique d’électeurs.
La décision tactique de certains candidats de faire profil bas au profit du candidat officiel sera déterminante. Encore faudrait-il dès le premier tour une union sacrée.
Angle de communication :
L’axe principal sera la libération de Sonko grâce à un bulletin de vote. Ensuite, il faudra gagner la bataille des thèmes cruciaux que sont l’emploi des jeunes, la lutte contre la corruption et le combat pour l’égalité des chances.
Si Bassirou Diomaye Faye est vainqueur, Ousmane Sonko sera le premier ministre le plus puissant d’Afrique et donc le véritable chef de l’Exécutif pendant 5 ans.
3. Idrissa Seck : Dos au mur, face à son destin
Idrissa Seck se distingue par une expérience inégalée des arcanes des campagnes électorales, faisant de lui le seul candidat à détenir un tel record. Malgré les récents défis pour surmonter les obstacles du parrainage, sa détermination et son engagement sont intacts.
Leader charismatique et orateur hors pair, il conserve une éloquence torrentielle. En dépit des controverses sur ses choix politiques déroutants, l’ancien Premier ministre reste un acteur incontournable de la scène politique et porte malheur à ceux qui le négligent. En cas de non-élection, il pourrait être un faiseur de roi au second tour.
Équation électorale
Elle repose sur l’équilibre entre son expérience politique, ses choix controversés et la nécessité de délivrer un discours qui transcende les ambigüités de son passé. Ses tergiversations et ses alliances surprenantes ont pu limiter sa capacité à mobiliser les électeurs lors des précédentes campagnes.
Stratégie politique
Il doit trouver la bonne connexion avec l’électorat jeune. La clé de succès réside dans sa capacité à conjuguer son parcours politique complexe avec une communication inspirante et accessible.
Angle de communication
La construction d’un discours politique accessible qui touche les cœurs et frappe les esprits. En un mot, il devra parler peuple au… peuple.
4. Khalifa Sall : Un faiseur de roi
Dans une campagne électorale aussi incertaine qu’inédite, Khalifa Ababacar Sall se distingue par une riche expérience politique, ayant occupé divers postes au sein de l’exécutif local et national. Ancien maire de Dakar, il a acquis une expertise significative dans la gestion municipale bénéficiant ainsi d’une popularité urbaine. En outre, il a démontré une attention particulière sur des questions sociales et celles du bien-être des citoyens.
Équation électorale
Malgré son crédit indéniable en matière d’expérience locale, il n’a pas encore prouvé son envergure nationale, suscitant des interrogations sur sa véritable capacité électorale.
Sa participation au dialogue politique a pu laisser croire qu’il est en intelligence avec « le système », car ce raout a clairement facilité sa candidature. Ce compromis a fini de l’éloigner de la frange la plus radicale de l’opposition.
Stratégie politique
La stratégie de l’ancien maire de Dakar coordonnée par son directeur de campagne, l’actuel maire de Dakar Barthélémy Dias sera exclusivement axée sur le marketing politique et territorial à travers une plateforme inclusive. Un immense défi… A défaut, il sera le grand faiseur de roi.
Angle de communication
Communiquer de manière transparente sur les bénéfices concrets de sa participation au dialogue politique pour la population. Cela pourrait dans une moindre mesure contribuer à dissiper les suspicions et à établir sa légitimité en tant que candidat capable de transcender les divisions politiques pour le bien du pays.
5. Mahammed Boun Abdallah Dionne : Tout pour être président mais…
Il y a quelques heures, il comptait appeler les 19 autres candidats à boycotter la présidentielle de mars. Il est peu probable qu’il soit entendu. Cela voudrait dire qu’il n’est pas prêt. Or, sa remarquable expérience en tant que chef de gouvernement combinée à sa compréhension approfondie des arcanes de l’Etat, se révèle être un atout crucial pour la gestion du pays. En tant que candidat tourné vers le redressement il doit exposer une vision distincte du Plan Sénégal émergence pour mieux se démarquer de ses concurrents.
Cependant, l’absence d’une base politique clairement définie représente un défi majeur pour Mahammed Dionne en matière de mobilisation électorale. Son revirement par rapport au choix du candidat de Macky Sall, en l’occurrence Amadou Ba, suscite encore des interrogations.
Équation électorale
Les chances de Dionne et de ses principaux soutiens reposent sur l’équilibre entre sa capacité à construire un électorat massif et les défis liés à l’absence de fiefs politiques. Il a tout pour être président mais se trouve sans lieutenants forts capables d’apporter des voix.
Stratégie électorale
Il doit capitaliser son expérience politique sans être catalogué comme un candidat révolté par le choix du chef. Son challenge sera de rendre le second tour irréversible.
Angle de communication
L’enjeu réside dans sa capacité à communiquer une vision latérale de l’émergence version Macky-Ba pour capter l’attention des électeurs insatisfaits. Pour cela, il doit projeter une image de leader engagé et déterminé pour un changement profond et profitable à tous.
Vent debout contre Amadou Ba, les autres dissidents [qui se veulent légitimistes] sont l’ancien ministre de l’Intérieur et actuel maire de Linguère Aly Ngouille Ndiaye, bon connaisseur de la géographie électorale du pays. Il faudra également compter avec le maire de Kolda l’inspecteur des Impôts et Domaines El Hadji Mamadou Diao. Ces deux-là se trouvent textuellement dans la même configuration politique que Mahammed Boun Abdallah Dionne. Au premier tour, ils cultiveront dans le même champ électoral qu’Amadou Ba. Et, logiquement, la grande partie de leur électorat pourrait retourner à la rivière « APR-BBY », en cas de second tour.
6. Boubacar Camara : Le technico-politique
Réformateur respecté, Boubacar Camara bénéficie d’un avantage indéniable, illustrant des compétences professionnelles et techniques pointues et une compréhension approfondie des enjeux économiques et administratifs. En outre, sa capacité à compter facilement les parrainages nécessaires pour valider sa candidature fait de lui un candidat digne d’intérêt.
Équation électorale
Fort de son profil d’homme d’idées, le techno-politique Boubacar Camara devra se servir de cet atout pour gagner la confiance des électeurs. La mobilisation autour de lui indique un soutien initial, mais une équation demeure : comment transformer cette base affective en un électorat massif et diversifié ?
Stratégie de campagne
Sa feuille de route complète englobant des domaines cruciaux tels que l’éducation, la santé, l’économie et la gestion des ressources naturelles, constitue une porte d’entrée pour une campagne axée sur des problématiques-clés. La stratégie devrait se concentrer sur une communication audacieuse de son projet de société, démontrant ainsi sa crédibilité en tant que machine à solutions.
Angle de communication
À coup sûr, il mettra en exergue sa force de propositions. En outre, sa communication devra adresser de manière proactive la question des ressources financières limitées du candidat qu’il est…
7. Déthie Fall : L’outsider
Déthié Fall se présente comme le médiateur incontournable (middle-man) au sein de l’opposition, tirant sa force de sa capacité à construire des alliances.
Sa présence prépondérante au sein de YAW et son rôle central dans l’alliance avec la coalition Wallu Sénégal mettent clairement en lumière son expertise dans la création d’alliances stratégiques. Par conséquent, il est perçu comme un stratège ancré dans l’opposition. Sa proximité avec Ousmane Sonko, son intelligence politique et la bonne image auprès de la jeunesse ajoutent à son capital-sympathie. Il pourrait être la révélation de cette campagne électorale.
Équation électorale
En tant que middle-man de l’opposition, il capitalisera sa capacité à construire des alliances. Mais, la multitude de candidatures au sein de l’opposition crée une forte concurrence qui nécessite des stratégies pour se démarquer et capter le plus grand nombre d’électeurs. L’équation n’est pas simple : comment puiser dans l’électorat du chef de file de l’opposition alors que Sonko a déjà lancé ses propres lieutenants dans la course ?
Stratégie de campagne
La lutte contre la cherté de la vie, le chômage endémique, l’émigration clandestine, la mal-gouvernance et l’équitable répartition des richesses pétrolières et gazières seront les axes prioritaires. En fond de scène, sa stratégie sera basée sur la libération d’Ousmane Sonko.
Angle de communication
Il insistera sur ses qualités de leader moderne, crédible et compétent, prêt à unir l’opposition pour relever les nombreux défis du Sénégal. En outre, il exploitera sa proximité intellectuelle, politique et affective avec Ousmane Sonko.
8. Les non-alignés
Les non-alignés que sont Mamadou Lamine Diallo (il a obtenu 0,4% en 2007), Aliou Mamadou Dia (son parti est constamment crédité de 3 à 4%) ; le député Pape Djibril Fall, auteur d’un sans-faute électoral ; l’industrielle Anta Babacar Ngom, le serial-entrepreneur Serigne Mboup, ainsi que le professeur de médecine Daouda Ndiaye et la très grosse épine de Rose Wardini ne figurent pas parmi les poids lourds de ce scrutin. Mais sous-estimer leur apport serait une erreur stratégique. Leur rôle ne sera pas négligeable en cas de deuxième tour ; les gouttes de pluie, à la longue, remplissent le réservoir.
Équation électorale
Les non-alignés tenteront de mener une bonne campagne tout en conservant une neutralité apparente. Ils se positionneront à équidistance entre les multiples candidats du système et ceux de l’anti-système. L’équation consiste à trouver un juste milieu sans s’aliéner dès le départ.
Stratégie de campagne
Conscients que le second tour sera décisif pour leur survie politique, ils entendent négocier des alliances stratégiques pour obtenir des avantages en échange de leur soutien. C’est pourquoi, ils éviteront de prendre des positions tranchées qui limiteront leur capacité à négocier. Et, tout au long de la campagne, ils identifieront des points de convergence avec les deux candidats susceptibles de se qualifier.
Angle de communication
Dans la première moitié de la campagne, ils insisteront sur leur volonté de travailler pour l’intérêt général et le refus de s’engager dans des luttes partisanes. Dans la seconde, ils prépareront le deuxième tour en soulignant que leur priorité est le Sénégal d’abord.
Maderpost