FISCALITE – La réforme du prélèvement à la source prévue à l’article 38 du projet de loi de finances pour 2017 entrera en vigueur le 1er janvier 2019, avec son lot de complications pour les contribuables et les entreprises.
Sans rentrer dans les détails, la réforme consacre un nouveau mode de recouvrement de l’impôt sur le revenu. Celui-ci ne sera en théorie plus prélevé sur les revenus du contribuable en année N-1 comme aujourd’hui, mais sur ses revenus au moment où ils lui sont versés.
Le paiement de l’impôt sera désormais mensuel de façon à supprimer le décalage entre le moment où les revenus sont encaissés et le moment où l’impôt est payé.
La réforme est ainsi censée résoudre la question des 7 millions de personnes qui voient leurs revenus fluctuer de plus de 30% dans l’année, auxquels l’impôt sur le revenu ne s’adapte pas.
Que l’on ne s’y trompe pas, tous les revenus compris dans l’assiette de l’impôt sur le revenu sont concernés par la réforme. En fonction de leur nature, ils feront désormais intervenir un tiers payeur pour le recouvrement de l’impôt sur le revenu.
Si le contribuable est salarié, c’est son employeur qui sera chargé de prélever l’impôt sur le revenu et de le reverser à l’administration fiscale. S’il est retraité, c’est la caisse de retraite qui s’en chargera. S’il est demandeur d’emploi, Pôle Emploi assumera le rôle. Et pour les professions indépendantes[1] ou les revenus fonciers, c’est l’administration fiscale qui prélèvera à la source.
Dans la plupart des cas donc, l’employeur devient le collecteur de l’impôt sur le revenu en lieu et place de l’administration fiscale.
C’est par la DSN (Déclaration Sociale Nominative) – qu’il utilise déjà pour déclarer toutes ses charges sociales – que l’employeur transmettra désormais à l’administration fiscale le salaire net imposable de l’employé.
En retour, la DGFIP lui communiquera le taux de prélèvement à appliquer sur le salaire net.
En fonction des déclarations transmises par l’employeur, le taux de prélèvement pourra donc être actualisé par l’administration fiscale en cours d’année lorsque la situation personnelle du salarié évolue.
Disons le tout de suite, la réforme n’implique aucune simplification du système de l’impôt sur le revenu, il suffit de se plonger dans le calcul du taux de prélèvement pour s’en rendre compte.
Déjà, la déclaration annuelle n’est pas supprimée et les contribuables devront toujours s’y pencher. En effet, le taux global d’imposition du contribuable – qui sera donc ensuite retenu à la source – sera toujours calculé à partir de la déclaration des revenus de l’année précédente.
Cette déclaration des revenus concernera toujours l’entier foyer fiscal, en tenant compte comme aujourd’hui de la situation familiale du contribuable : on lui applique un taux « personnalisé ». L’impôt sur le revenu ne devient donc pas individuel, la France constitue à cet égard parmi les seules exceptions européennes.
Bien évidemment, le maintien du système en l’état implique la transmission des informations de l’ensemble du foyer fiscal au tiers payeur. En principe donc, l’employeur pourra donc connaître le niveau de revenus global du foyer fiscal du salarié concerné : cela soulève des questions de confidentialité et de respect du droit à la vie privée déjà largement commentées.
Pour ne pas communiquer à son employeur d’éventuels revenus annexes personnels ou complémentaires du foyer, le salarié pourra décider d’opter pour un taux neutre qui sera déterminé uniquement sur la base du salaire net versé. Ainsi l’employeur ne pourra connaître le taux réel d’imposition du salarié, mais en retour, le contribuable sera soumis à des démarches supplémentaires puisqu’il devra lui-même verser chaque mois un complément d’impôt directement au fisc.
Les couples normalement soumis à une imposition commune et qui auraient dû se voir appliquer le même taux de prélèvement auront par ailleurs le choix d’un taux individualisé pour leurs revenus personnels. Mais là encore, le système se complique puisque les revenus communs du couple eux, resteront soumis au taux personnalisé.
Dans le cas d’un couple imposé communément, trois taux différents peuvent donc venir se chevaucher ou s’alterner : le taux personnalisé calculé sur les revenus de l’ensemble du foyer, le taux non personnalisé calculé en fonction de leurs seuls salaires, le taux individualisé calculé sur leurs revenus respectifs : un véritable micmac, que les contribuables ont jusqu’au 15 septembre prochain pour tenter de comprendre !
Quant aux réductions et crédits d’impôt, le système n’est pas simplifié puisqu’ils devront être avancés par les contribuables l’année N des prélèvements à la source, puis remboursés par l’administration fiscale l’année suivante N+1.
Pour les entreprises qui deviennent tiers payeurs, aucune chance que la mesure soit neutre, leurs craintes sont justifiées : surcoûts liés à la gestion du personnel, à la surcharge de travail, aux tarifs des experts comptables, responsabilité quant aux interrogations des salariés et aux cas complexes (employés travaillant à l’étranger…). Les difficultés techniques risquent d’être insupportables pour nombre d’entre elles.
Alors qu’elles doivent déjà digérer les quelques 30 décrets des ordonnances travail et le nouveau Règlement Général européen sur la Protection des Données, ce sont encore une fois les TPE et les PME qui subiront davantage le prix de cette nouvelle réforme : entre 26 et 50 euros en moyenne par salarié, cinq fois le coût assumé par les grandes entreprises.
Aucune mesure de compensation n’est prévue bien sûr !
Et pour les contribuables ? Le risque d’en comprendre encore moins sur l’imposition de leurs revenus et de se sentir lésés.
Encore une fois, c’est à l’envers que le problème a été pris : l’impôt sur le revenu français est le plus complexe d’Europe, il est devenu illisible et pire, il est injuste car ne concerne plus que 46% des français.
Il fallait donc réformer en profondeur l’impôt sur le revenu avant de s’attaquer à ses modalités de recouvrement !
Sans cela, le prélèvement à la source complexifie encore davantage le système et écarte un peu plus les contribuables de l’acceptation de l’impôt.
Manon LAPORTE
Avocate
Conseillère régionale d’Ile-de-France
Déléguée spéciale aux actions culturelles et artistiques dans les lycées