Le débat sur la présence des femmes au sein des instances décisionnelles a ressurgi après la publication de la liste des membres du nouveau gouvernement du Premier ministre Ousmane Sonko. Des organisations féminines et plus de 250 femmes ont signé une pétition pour inclure les femmes dans les instances de prise de décision pour une gouvernance véritablement démocratique. Une occasion pour la rédaction de fouiller sur la participation et la représentation politique des femmes dans le champ politique sénégalais. Une sphère où la majorité des partis politiques est dirigée par des hommes.
POLITIQUE – Selon le quotidien national « le Soleil » du 26 mai 2023, 151 partis politiques ont vu le jour sous le régime de l’ancien président Macky Sall. Un chiffre qui ramène le nombre de formations politiques en 2023 à 339 depuis 1959. Parmi ces partis politiques, il est difficile de connaître le chiffre officiel des partis politiques dirigés par des femmes. C’est dire que la gent féminine n’est pas encore assez représentée dans le champ politique sénégalais.
Mais pourquoi cette faible participation des femmes en politique ? Dans un entretien publié en 2021 sur le site Wathi, la sociologue Daba Dione Bèye se prononçait sur la représentation politique des femmes. « Les femmes ont peur d’être au-devant de la scène. Dans les partis politiques, peu de femmes sont chefs de parti. Les femmes qui sont dans les partis politiques, quels sont les postes qu’elles occupent ? Et il faut le dire quand même, dès qu’on parle de femme et de politique, on pense à la mobilisation. Donc, c’est leur premier rôle dans la conscience populaire et malheureusement, les femmes s’y plaisent bien », a expliqué Mme Bèye.
Hélène Marie Tine née Ndione, femme politique a milité à l’Alliance des forces de progrès (AFP) de 1999 à 2012. L’actuelle coordonnatrice du Mouvement pour un Sénégal d’éthique et de travail (MSET) a gravi les échelons de l’Afp au niveau local dans la région de Thiès. Membre du Caucus des femmes leaders du Sénégal, Elene Tine a été la coordonnatrice du parti dans la région de Thiès et porte-parole national. Pour la parlementaire de la 12e législature, « les femmes sont majoritairement représentées comme membres au sein des partis politiques. Mais elles sont souvent marginalisées. Elles ont beaucoup de difficultés à accéder aux instances de décision ». Pour celles qui arrivent à émerger, les contraintes socioculturelles impactent leur agenda de femme leader. « C’est difficile pour elles compte tenu de toutes les charges sociales qui les incombent. Ce n’est pas toujours évident », déplore Mme Tine.
Cependant, Babacar Ndiaye, analyste politique, estime que « cela ne doit pas être un élément qui doit faire qu’on ne voit pas beaucoup de femmes à la tête des partis politiques. Je crois qu’il faut plus de représentativité au sein des partis classiques », dit le directeur de recherche au Think Thank Wathi.
Selon une enquête publiée par Afro Barometer, au Sénégal, 79% des répondants estiment qu’il « est probable qu’une femme qui est candidate à un poste électif voit sa famille gagner en notoriété. Toutefois, beaucoup pensent qu’elle serait critiquée ou harcelée (50%) ou bien qu’elle aurait des problèmes familiaux (44%) ».
Professeur agrégée titulaire de classe exceptionnelle en sciences juridiques et cheffe de parti politique, Amsatou Sow Sidibé est l’une des rares femmes leaders de parti politique au Sénégal. Créé en 2010, son parti, dénommé Mouvement citoyen convergence des acteurs pour la défense des valeurs républicaines/Car Leneen a obtenu une reconnaissance juridique à l’entre-deux tours de la présidentielle de 2012. La défenseure des droits de la femme reste de marbre contre certains stéréotypes du genre. « Je ne sens jamais qu’on me regarde avec un œil discriminant. Je considère que c’est ça le leadership et la prise de conscience des valeurs intrinsèques. J’ai toujours eu à incarner les valeurs que je défends. J’ai créé ce parti. Des hommes et des femmes m’ont rejoint », a déclaré la juriste.
« Il est difficile de faire de la politique. C’est énormément d’argent »
La principale contrainte de diriger un parti politique reste l’aspect financier. Et cette contrainte n’est pas exclusive aux femmes. « Les contraintes que je déplore sont celles liées aux finances. Il est difficile de faire de la politique. C’est énormément d’argent. Quand on est une personne intègre qui n’use pas de certains subterfuges pour avoir des fonds, ce n’est pas facile », a affirmé la première femme candidate à l’élection présidentielle dans l’histoire politique du Sénégal.
Diriger un parti politique demande ainsi beaucoup de moyens. Pour la conseillère technique du Programme WPP (Women Political Participation), Hélène Tine, quand les femmes décident de créer leur propre parti, elles se heurtent au manque de ressources. « C’est difficile d’avoir les ressources nécessaires pour que leurs partis puissent émerger réellement même si elles ont le leadership, elles ne disposent pas souvent de ressources financières et matérielles ».
De façon générale en Afrique et au Sénégal, les partis politiques sont financés d’abord par le leader, ensuite les militants cotisent, selon l’analyste politique Babacar Ndiaye. « On a cette figure très forte du leader qui gère et qui nomme ses collaborateurs. Il faut voir s’il faut changer cette méthode de financement ».
Cependant, au risque d’une dissolution, l’article 3 de la loi n° 81-17 du 6 mai 1981 relative aux partis politiques, modifiée par la loi n° 89-36 du 12 octobre 1989, indiquent que les partis politiques ne peuvent bénéficier d’autres ressources que celles provenant des cotisations, dons et legs de leurs adhérents et sympathisants nationaux et des bénéfices réalisés à l’occasion de manifestation.
Les travaux du Caucus des femmes leaders du Sénégal
Mis en place depuis 2010, le Caucus des femmes leaders a porté le projet de la loi sur la parité qui s’applique aux institutions électives et semi électives au Sénégal. Des études ont été réalisées pour identifier les contraintes à la participation politique des femmes. L’organisation suggère en ce sens, une présence des femmes politiques dans le champ médiatique pour les « aider à rester visible sur le champ politique ». Lors des élections locales de 2022, les membres du Caucus ont mené « une campagne auprès des leaders politiques afin de renforcer la participation politique des femmes dans les élections locales avec 146 femmes candidates. Ce qui a boosté le nombre de femmes élues dans les dernières élections locales » a affirmé Hélène Tine.
Par ailleurs, dans un communiqué publié le 9 avril 2024, le Caucus des femmes leaders du Sénégal affirme être allée à la rencontre des candidats à la présidentielle de 2024 « pour qu’ils s’engagent à intégrer le point du ticket présidentiel, avec une femme vice-présidente dans leurs différents programmes.
Plus de 44% des sièges de l’Assemblée nationale élue en juillet sont occupés par des femmes, la proportion la plus haute dans un Parlement en Afrique de l’Ouest. Le Sénégal a ainsi fait franchir un nouveau palier à la représentation politique des femmes dans la sous-région en 2022. Mais il reste encore du chemin à parcourir.
Maderpost / Seneweb