Le Projet de loi n°11/2023 modifiant la loi n°65-61 du 21 juillet 1965 portant Code de Procédure pénale soumis aux députés prévoit la mise en place, au Tribunal de grande Instance hors Classe et à la Cour d’Appel de Dakar, un Pool judiciaire spécialisé, dénommé Pool judiciaire financier, en abrégé « PJF».
TRIBUNE – A la lecture de l’exposé des motifs, il a été décliné qu’il fallait envisager « d’instituer un Parquet financier spécialement compétent pour traiter les questions liées à la criminalité économique et financière. ».
Une juridiction spéciale est donc annoncée pour combattre la délinquance économique et foncière mais dans le corps du texte du projet de loi, il a été attribué à cette même juridiction « une compétence concurrente à celle des juridictions de droit commun pour la poursuite, l’instruction et le jugement des infractions à caractères économique ou financier. »
Ainsi nous assistons finalement à la mise sur pied d’une juridiction « cocktail » à la place d’une juridiction spéciale qui bénéficie d’une compétence exclusive et d’une compétence concurrente.
Cette situation détourne le pool judiciaire sur la nécessité de se concentrer sur les crimes économiques et financiers pour mieux les prendre en charge en domptant leur complexité et en assurant la célérité nécessaire au règlement de ces types de conflits à incidence financière.
En outre, il entraîne évidemment des conflits de compétence avec les juridictions de droit commun.
En effet, la notion de compétence concurrente ne fera que créer des conflits de compétence sans aucune utilité pour une meilleure administration de la justice.
Prévoir dans la loi un règlement de ces conflits « par la Chambre d’accusation financière de la Cour d’Appel de Dakar qui statue sur requête présentée par le ministère public. » n’est pas la solution. Mieux vaut plutôt les éviter et travailler sur Ia rationalisation des compétences et des ressources.
Vouloir désengorger les juridictions de droit commun jusqu’à engorger une juridiction spéciale d’infractions comme le trafic de stupéfiants et ceux liées aux technologies de l’information et de la communication par exemple n’est pas une bonne idée pour traiter d’une manière efficace les crimes économiques et financiers.
Il faudra scinder les objectifs pour mieux les atteindre. Les juridictions de droit commun peuvent être désengorgées en les renforçant en personnels et en infrastructures.
Il faudra ensuite se concentrer sur la grande délinquance économique et financière en lui accordant un traitement spécial.
Une juridiction entière consacrée à ce traitement nous semble cependant onéreuse et inutile.
La CREI que ce pool judiciaire remplace d’après l’exposé des motifs dudit projet, créé depuis 1981 n’a fonctionné que depuis 2012 avec des dossiers versés au compte-gouttes et choisis selon la tête du client. Il s’y ajoute des moments d’inaction sur plusieurs années tout en consommant un budget annuel supporté par les contribuables sénégalais.
Le projet de modification du code de procédure pénale qui semble s’inspirer de la France avec la désignation de magistrats financiers aurait dû mettre l’accent sur une organisation plus souple, efficace et moins onéreux.
Quand en France par exemple on se contente d’un parquet national financier (PNF) créé en décembre 2013 et chargé de traquer la grande délinquance économique et financière, au Sénégal c’est tout un pool judiciaire qui est créé, composé d’un Parquet financier, d’un Collège des juges d’instruction financiers ; d’une Chambre de jugement financière ; d’une Chambre d’accusation financière ; d’une Chambre des appels financière ; d’assistants de justice spécialisés.
Dans notre pays, ce n’est pas l’instance créée qui lutte contre les crimes économiques et financiers mais c’est la volonté politique d’un président de la République qui décide de lever le coude sur les dossiers de ses protégés qui faciliteront une telle mission.
Un parquet national financier en relation avec les juridictions de droit commun suffit comme instance spécialisée pour traquer les crimes financiers et économiques d’autant plus que les magistrats qui seront choisis dans le pool judiciaire sont spécialisés par le temps exclusif qu’ils accordent à la mission (Magistrats du parquet et juges d’instruction) et non par une compétence acquise que n’auraient pas engrangés des magistrats des tribunaux de droit commun.
D’ailleurs, d’après la loi, les magistrats qui seront choisis seront tous nommés par décret, parmi les magistrats des cours et tribunaux selon le groupe et le grade.
Il faudra renforcer la formation continue de tous les magistrats face à l’évolution complexe des méthodes de commission des infractions.
Thierno Bocoum
Ancien parlementaire
Président AGIR
Maderpost