Steadfast Noon 2022 et Grom 2022 peuvent être considérés comme des démonstrations de force entièrement assumées de la part de l’OTAN et de la Russie, mais aussi comme une manière d’avoir réussi à garantir l’efficacité de sa dissuasion nucléaire, à la vue du remous massif que la tenue de ces deux exercices a engendré dans l’espace médiatique.
Par AB PICTORIS
NUCLEAIRE – Le 17 octobre 2022 marque le coup d’envoi de l’exercice otanien de dissuasion nucléaire Steadfast Noon 2022 pour 14 des 30 États-membres de l’Alliance. Il dure jusqu’au 30 octobre. Cet exercice, mené chaque année pour garantir l’efficacité de la dissuasion nucléaire de l’OTAN, se déroule cette fois dans un contexte de fortes tensions avec la Russie, puissance nucléaire indépendante, qui a relancé son invasion à grande échelle de l’Ukraine, le 24 février 2022.
L’Ukraine est largement soutenue par les pays occidentaux. Quelques jours avant le début de l’exercice otanien, le 13 octobre 2022, J. Kirby indiquait à la presse que les États-Unis s’attendaient à ce que la Russie mène également un deuxième volet de ses exercices annuels de dissuasion nucléaire « Grom » à la fin du mois d’octobre.
Moscou n’avait en effet aucunement communiqué sur cet exercice qui se tient habituellement à la mi-octobre, ajoutant un flou supplémentaire à une situation très tendue sur le sol de l’Europe géographique. Les États-Unis et la Russie étant tous deux signataires du Traité New Start [depuis 2010, les deux parties ont, selon les autorités américaines, une obligation de transparence l’une envers l’autre vis-à-vis de la tenue de tels exercices.
Finalement, le 25 octobre 2022, le Général P. Ryder, attaché de presse du Pentagone, annonce que la Russie a informé Washington de la tenue d’un deuxième volet de ses exercices de dissuasion nucléaire Grom, qui se tient dès le lendemain, soit le 26 octobre. Il dure jusqu’au 29 octobre 2022.
La tenue de deux exercices de dissuasion nucléaire de façon quasi-simultanée, menés par deux parties, l’OTAN et la Russie, dont les relations sont extrêmement tendues depuis l’invasion russe de l’Ukraine, dans un contexte d’escalade verbale voire de menace nucléaire, mérite d’être étudiée. Bien que ces exercices soient habituels et constituent des exercices de « routine » pour garantir l’efficacité de la dissuasion nucléaire otanienne d’un côté, et russe de l’autre, il est intéressant de voir en cette session 2022 de Steadfast Noon et de Grom la mise en oeuvre effective de la dissuasion en tant que telle.
L’utilisation de l’arme nucléaire étant souvent considérée comme un « ultime recours », et la guerre nucléaire ne pouvant être gagnée, la dissuasion nucléaire semble plus importante que le fait de posséder des capacités nucléaires — l’arme nucléaire sert à faire peur plutôt qu’à être utilisée concrètement sur le terrain.
Démontrer par la tenue d’exercices que ses forces de dissuasion nucléaire sont entièrement opérationnelles, revient à projeter sa puissance et à envoyer un message à qui veut l’entendre : l’essence de la dissuasion nucléaire, c’est de faire peur. C’est donc en ce sens que la tenue quasi-simultanée de ces deux exercices, à l’heure où la guerre fait son retour aux portes de l’Union européenne, mérite d’être appréhendée comme une démonstration de force assumée.
Le maintien de l’exercice otanien de dissuasion nucléaire Steadfast Noon en pleine guerre russe en Ukraine, lors de laquelle la menace nucléaire émanant de la Russie ne cesse de croître, rappelle sans aucun doute l’emblématique phrase de la politique de dissuasion nucléaire de l’OTAN : « Aussi longtemps qu’il y aura des armes nucléaires, l’OTAN restera une alliance nucléaire ».
Interrogé à ce sujet, le secrétaire général de l’Alliance, J. Stoltenberg, avait déclaré qu’une annulation de ces exercices à cause du contexte plus que tendu avec Moscou enverrait « un très mauvais signal » et qu’il était nécessaire de montrer « un comportement ferme » de la part de l’OTAN, tout en rappelant que ces armes nucléaires n’avaient qu’un but défensif.
Ce rappel de la part de Stoltenberg peut largement faire écho à l’accusation directe de la part président russe V. Poutine envers les « principaux États de l’OTAN » qui discutent de « la faisabilité […] de l’usage de l’arme nucléaire contre la Russie ».
C’est donc dans ce contexte que l’exercice Steadfast Noon 2022 se déroule du 17 au 30 octobre 2022 au dessus de la mer du Nord, avec la participation de 14 État-membres, afin de contribuer à ce que la dissuasion nucléaire de l’Alliance, composante majeure de ses capacités de défense et de dissuasion, reste « sûre, sécurisée et efficace ». Il est important de rappeler que l’OTAN compte parmi ses 30 État-membres trois puissances nucléaires, les États-Unis, le Royaume-Uni et la France.
Cependant, et par souci de maintenir son indépendance stratégique, Paris ne participe pas au Groupe des plans nucléaires (GPN) de l’Alliance, et donc aux exercices otaniens de dissuasion nucléaire, privilégiant ses propres exercices Poker pour entraîner ses forces.
Par ailleurs, parmi les pays participants figurent très probablement l’Allemagne fédérale, la Belgique, l’Italie, les Pays-Bas et la Turquie, qui disposent d’installations permettant d’héberger une partie des bombes H américaines. Selon Air et Cosmos, un ou plusieurs bombardiers américains B-52H participent à l’exercice, aux côtés d’avions de chasse F-22, F-16, F-15E ou encore d’Eurofighter Typhoon et de chasseurs-bombardiers Tornado IDS des autres pays participants.
Du côté russe, la tenue d’une deuxième session de ses exercices de dissuasion nucléaire Grom avec, apparemment, peu de préavis pour les Américains, semble également relever de la démonstration de force. Alors qu’un premier volet mobilisant la triade nucléaire russe avait eu lieu en février 2022 seulement quelques jours avant la relance de son agression contre l’Ukraine et lors duquel un nouveau test du missile hypersonique Zircon pouvant transporter des têtes nucléaires avait été effectué depuis la mer de Barents, le deuxième volet de Grom se déroule donc du 26 au 29 octobre 2022.
Les événements les plus visibles de cet entraînement ont sûrement été les lancements de missiles à capacité nucléaire. Le 26 octobre 2022, sous la supervision du président V. Poutine, les Forces de missiles stratégiques de la Fédération russe ont effectué un tir du missile intercontinental RS-24 « Iars » depuis le cosmodrome militaire de Plessetsk, dont les ogives ont atteint le polygone de Kura, au Kamchatka (Extrême-Orient russe).
Un deuxième tir de missile a largement été couvert par les médias russes, celui d’un missile balistique R-29RMU2 « Sineva », pouvant donc également porter des ogives nucléaires, depuis le SNLE K-114 Tula depuis la mer de Barents vers le même polygone de Kura.
Des tirs depuis des bombardiers stratégiques Tu-95MS ont aussi été rapportés lors de leurs patrouilles dans l’Arctique russe, espace géographique qui a par ailleurs une place de choix dans la dissuasion nucléaire russe. Les détails de ces lancements de missiles n’ont pas été rapportés, mais il serait probable qu’ils aient procédé à des tirs de Kh-555 et Kh-10.
Ces deux exercices de dissuasion nucléaire, pourtant habituels par leur caractère annuel, menés de façon quasi-simultanée par l’OTAN d’un côté, et la Russie de l’autre, n’ont ainsi rien d’ordinaire en 2022, alors que les relations bilatérales entre les deux parties ne cessent de se refroidir à mesure que la guerre en Ukraine continue.
Bien que ce sujet du retour de la menace nucléaire puisse être considéré comme du « sensationnalisme journalistique », il paraît important de placer la tenue de ces deux exercices parallèles dans le contexte actuel du retour de la guerre sur le sol de l’Europe géographique.
Ce n’est que dans cette mesure que Steadfast Noon 2022 et Grom 2022 peuvent être considérés comme des démonstrations de force entièrement assumées de la part de l’OTAN et de la Russie, mais aussi comme une manière d’avoir réussi à garantir l’efficacité de sa dissuasion nucléaire, à la vue du remous massif que la tenue de ces deux exercices a engendré dans l’espace médiatique.
AB Pictoris est une jeune entreprise française fondée par Blanche Lambert, cartographe indépendante. Passionnée de cartographie et de géopolitique, elle a obtenu un Master en Géopolitique (parcours cyber, IFG, Paris VIII) et en Géostratégie (Sciences Po Aix) après une licence de Géographie et Aménagement du Territoire (Paris I).