Plus de dix ans après, l’INSEE publie sa deuxième enquête sur l’immigration « Trajectoires et Origines » avec des statistiques qui témoignent d’un phénomène migratoire en hausse et en recomposition, plus jeune, plus qualifiée, portée sur la religion.
MIGRATION – Des chiffres attendus depuis longtemps. Après une première enquête menée il y a 10 ans, l’INSEE a dévoilé mercredi 29 mars sa nouvelle et deuxième Enquête « Trajectoires et origines 2 » sur l’état de l’immigration en France.
Profil, parcours scolaires et professionnels, conditions de vie, santé, religiosité etc. : de nombreux indicateurs qui n’avaient jamais été pris en compte par la statistique publique. Les données ont été collectées entre 2019 et 2020 sur 27 200 individus entre 18 et 59 ans « vivant en logement ordinaire ».
Exit donc les populations sans abris, ou mal logées, les enfants et les plus âgés.
Entre 1968 et 2021, le nombre d’immigrés en France a été multiplié par 2,2, tandis que la population française générale l’a été par 1,4. La France comptait 7 millions d’immigrés vivant sur son territoire en 2021, soit 10,3 % de sa population totale. Ce taux s’établissait à 6,5 % à la fin des Trente glorieuses. Entre 1975 et 1999, le nombre d’immigrés, en majorité en provenance du Maghreb, s’était stabilisé autour de 7,5 %, avant d’augmenter à nouveau à partir des années 2000.
Mais la nouvelle enquête « Trajectoires et origines » montre qu’en dix ans l’immigration a changé de visage.
Les pays de provenance se sont diversifiés, même si les pays d’Afrique restent majoritaires. Ainsi, 48 % des immigrés en 2021 sont originaires d’Afrique, 22 % d’Europe, et 15 % d’Asie.
Les migrations en provenance de Chine, ainsi que des pays du Moyen-Orient, se sont particulièrement accrues au cours des dix dernières années, note l’INSEE.
L’immigration africaine semble s’être un peu recomposée puisqu’en l’espace de dix ans, la part des nouveaux immigrés originaires d’Afrique hors Maghreb est passée de 14 % à 20 %. La part de l’immigration Maghrébine parmi la population africaine reste, elle, stable depuis les années 1980.
Des femmes et des étudiants
Plusieurs profils sociodémographiques ressortent de cette nouvelle immigration, mais le plus prégnant est celui d’une immigration jeune, féminine et qualifiée ou en voie de qualification.
Les femmes représentent en 2021 plus de la moitié (52 %) du flux migratoire, contre 44 % en 1968. Elles sont particulièrement nombreuses au sein des immigrations venues des pays d’Asie du Sud-Est (elles constituent ainsi 64 % de l’ensemble des arrivants en provenance de cette région), de Chine (61 %), d’Amérique et d’Océanie (56 %) et du Maghreb (54 %).
Si les femmes rejoignaient autrefois leur conjoint dans le cadre du regroupement familial, elles migrent désormais de plus en plus souvent pour d’autres raisons (étudier, trouver un emploi en adéquation avec leur diplôme, etc.).
La moitié des immigrés arrivés en France en 2019 ont moins de 26 ans, une dynamique portée par les individus originaires d’Europe du Sud ou d’Afrique hors Maghreb.
Et en ce qui concerne les pays hors Union européenne, ces jeunes viennent la plupart du temps pour étudier. En effet, en 2021, l’immigration étudiante représente pour la première fois le premier motif de venue en France pour les ressortissants de pays tiers, précisent les chercheurs.
En conséquence, l’immigration actuelle tend à être plus qualifiée, puisque 43 % des immigrés âgés de 15 ans ou plus sont diplômés de l’enseignement supérieur, contre 38 % des immigrés de 15 ans ou plus arrivés en France en 2006.
La situation était bien différente il y a peu d’années encore. Ainsi, en 2007, plus de la moitié des premiers titres de séjour délivrés à ces ressortissants l’étaient pour motif familial. Ils ne sont plus que 32 % en 2021.
Plus forte religiosite2 chez les immigrés
Mais le plus intéressant, et surtout le plus inédit : l’enquête de 200 pages s’accompagne d’un dossier dédié aux affiliations et pratiques religieuses de la population française et des populations immigrées.
Même si « les données relatives à la religion sont considérées comme sensibles », les experts des statistiques ont réussi à réunir un certain nombre de données jamais étudiées par un organisme public.
On constate ainsi que les personnes issues de l’immigration sont plus attachées à leur croyance religieuse. « Les immigrés sont proportionnellement deux fois plus nombreux à s’affilier à une religion que les personnes sans ascendance migratoire » pose le rapport.
Ainsi, si en 2019-2020, 51 % de la population générale de 18 à 59 ans en France métropolitaine déclaraient ne pas avoir de religion, un chiffre en augmentation depuis dix ans, dans le détail, la désaffiliation religieuse concernait en fait 58 % des personnes sans ascendance migratoire, pour seulement 19 % des immigrés arrivés après 16 ans et 26 % des descendants de deux parents immigrés.
« Ces évolutions contrastées témoignent de dynamiques de sécularisation très hétérogènes entre groupes d’origine et affiliations religieuses » écrit l’INSEE.
Les immigrés venant de pays de tradition musulmane (Maghreb, Turquie ou Moyen-Orient, Afrique sahélienne) sont « les plus inscrits dans la religion », tandis que ceux originaires de pays européens à dominante chrétienne ou d’Asie (notamment de Chine) déclarent moins souvent une affiliation.
Les musulmans, qui représentent désormais 10 % de la population en France métropolitaine, forment l’ensemble le plus important parmi les immigrés (44 %) présents sur le territoire, et les descendants de deux parents immigrés (48 %).
76 % de ces résidents musulmans disent que la religion a beaucoup ou assez d’importance pour eux, contre 27 % des catholiques.
Outre la question de la foi, l’enquête se penche sur les pratiques associées aux croyances et traditions religieuses.
Parmi elles, l’épineuse question du voile. 26 % des femmes musulmanes âgées de 18 à 49 ans disent porter un voile.
Un chiffre en augmentation par rapport à 2008-2009, où elles étaient 18 %. Par rapport à 2008-2009, le port du voile est devenu plus fréquent pour toutes les origines et toutes les générations d’ascendance immigrée. Il concerne « 36 % des femmes musulmanes immigrées » et « 17 % des descendantes de deuxième génération », contre respectivement 22 % et 13 % il y a dix ans.
Autre fait intéressant : le port du voile varie en fonction de l’âge, entre les immigrées de première génération, et immigrées de deuxième génération.
Les descendantes d’immigrés portent le voile à un plus jeune âge (20% des 25-34 ans et 17 % chez les 35-44 ans), que les immigrées de première génération (30 % chez les 18-24 ans et 42 % chez les 35-44 ans).
Autant de données factuelles qui n’intéressent pas que les sciences humaines et pourraient même bientôt éclairer le législateur. Les parlementaires doivent en effet débattre sous peu d’un projet de loi sur l’immigration. Signe du caractère sensible de la matière, celui-ci – déjà ajourné – doit finalement être découpé en plusieurs volets.
Maderpost / Marianne / Lisa Guillemin