Le Britannique Roger Penrose, l’Allemand Reinhard Genzel et l’Américaine Andrea Ghez sont les lauréats.
NOBEL – Le prix Nobel de physique a été décerné, mardi 6 octobre, au chercheur britannique Roger Penrose, à l’Allemand Reinhard Genzel et à l’Américaine Andrea Ghez.
Roger Penrose, 89 ans, a été récompensé pour avoir découvert « que la formation d’un trou noir [était] une prédiction solide de la théorie de la relativité générale », tandis que Reinhard Genzel, 68 ans, et Andrea Ghez, 55 ans, ont été récompensés pour « la découverte d’un objet compact supermassif dans le centre de notre galaxie », a expliqué le jury Nobel en annonçant le prix à Stockholm.
Andrea Ghez a dit « prendre très au sérieux » le fait de devenir la quatrième femme à remporter un prix Nobel de physique – le plus masculin des six prix scandinaves (moins de 2 % de lauréates). « Je suis ravie de pouvoir servir de modèle pour les jeunes femmes qui envisagent d’aller vers ce domaine », a-t-elle réagi auprès de l’Agence France-Presse (AFP).
Le trou noir, « on ne sait pas ce qu’il contient, on n’en a aucune idée, c’est pourquoi c’est aussi exotique, ça fait partie de l’intrigue, ça pousse les limites de notre compréhension », s’est-elle enthousiasmée, jointe par téléphone par la Fondation Nobel.
Roger Penrose, 89 ans, a utilisé la modélisation mathématique pour prouver dès 1965 que les trous noirs pouvaient se former, devenant ainsi une entité à laquelle rien, pas même la lumière, ne peut échapper. Ses calculs ont prouvé que les trous noirs sont une conséquence directe de la théorie de la relativité générale d’Einstein.
Depuis le début des années 1990, ces colauréats Reinhard Genzel, 68 ans, et Andrea Ghez, 55 ans, ont eux mené des recherches sur une zone appelée Sagittaire A* au centre de la Voie lactée. En utilisant les plus grands télescopes du monde, ils ont découvert un objet extrêmement lourd et invisible – environ 4 millions de fois plus grand que la masse de notre Soleil – qui tire sur les étoiles environnantes, donnant à notre galaxie son tourbillon caractéristique.
Les trous noirs supermassifs sont une énigme de l’astrophysique, notamment sur la façon dont ils deviennent aussi gros. Leur formation est au cœur des recherches en astrophysique moderne. Les scientifiques pensent qu’ils dévorent, à une vitesse folle, tous les gaz émis par des galaxies très denses qui les entourent. Comme ils sont invisibles, on ne peut les voir que par contraste, en observant les phénomènes qu’ils suscitent dans leur proche environnement. Une première image révolutionnaire avait été révélée au monde en avril 2019.
Le concept de « trou noir » remonte à 1783, lorsque John Michell, professeur à Cambridge, se posa une simple question : alors qu’il faut une certaine vitesse pour s’affranchir de la gravité (la vitesse de libération, que les fusées doivent atteindre pour quitter la Terre, par exemple), qu’adviendrait-il si un objet était si massif que même la vitesse de la lumière n’y suffirait pas ? Rien ne pourrait s’en échapper, donc pas même la lumière, et l’astre serait invisible, soit « noir ». A l’époque, Michell estime que l’objet doit faire au minimum 500 fois la taille du Soleil pour générer une telle situation.
L’intérêt pour le trou noir va connaître un regain lors de la publication de la théorie de la relativité générale d’Albert Einstein, en 1915, qui prédit que la matière déforme la structure même de l’espace. Une étoile massive pourrait, dans cette perspective, s’effondrer sur elle-même jusqu’à n’être qu’un point de dimension zéro et à la gravité infinie : ce que l’on appellera plus tard une « singularité gravitationnelle ». Mais la réalité d’une telle possibilité est vivement contestée par les grands physiciens de l’époque, y compris par Einstein lui-même, qui estime impossible l’existence de ces singularités : le fait qu’une étoile puisse se ratatiner jusque dans un point prodigieusement minuscule lui paraissait être un non-sens physique.
Stephen Hawking et Penrose, qui travaillèrent ensemble depuis 1965, ont démontré que loin d’être un non-sens les singularités gravitationnelles peuvent exister, et dans des conditions bien moins rares que ce que pensaient les physiciens jusque-là. Le trou noir n’est ni une simple curiosité, ni un concept sans rapport à la réalité, ni même un objet rare : de nombreuses étoiles réunissent les conditions qui feront que celles-ci, à court de carburant nucléaire à la fin de leur vie, s’effondreront sur elles-mêmes jusqu’à devenir si denses que la courbure de l’espace forme un puits dans lequel les rayons lumineux seront enfermés et continueront de circuler pour toujours, en boucle. Aujourd’hui, on estime à quelques masses solaires (plusieurs fois celle de notre Soleil) la masse minimale requise pour qu’une étoile finisse en trou noir.
L’astrophysique et la physique quantique centrée sur l’infiniment petit, étaient considérées comme favorites par les experts pour ce Nobel 2020. En 2019, le prix de physique avait déjà distingué trois cosmologues, le Canado-Américain James Peebles, qui a mis ses pas dans ceux d’Albert Einstein pour éclairer les origines de l’Univers, et les Suisses Michel Mayor et Didier Queloz qui, les premiers, ont révélé l’existence d’une planète en dehors du Système solaire.
La cérémonie de remise physique des prix annulée
Si les prix Nobel vont bien être annoncés comme prévu cette semaine, le coronavirus a entraîné l’annulation de la cérémonie physique de remise des prix, le 10 décembre à Stockholm. Lundi, le prix de physiologie-médecine a confirmé l’écrasante domination des Américains dans le palmarès des Nobel scientifiques en primant Harvey Alter et Charles Rice, aux côtés du Britannique Michael Houghton, pour leur rôle dans la découverte du virus responsable de l’hépatite C.
Suivra mercredi la chimie, où une découverte biomédicale majeure pourrait être récompensée : les « ciseaux Crispr », permettant de couper un gène précis, mis au point par la Française Emmanuelle Charpentier et l’Américaine Jennifer Doudna. Un autre pionnier du séquençage des gènes, l’Américain Leroy Hood, pourrait être consacré, selon la radio suédoise SR. Autres nobélisables : les nanocristaux, de même que les travaux des Américains Harry Gray, Richard Holm et Stephen Lippard sur le rôle des ions métalliques en biologie.
Le prix de littérature, événement le plus attendu du grand public avec la paix le vendredi à Oslo, sera lui annoncé jeudi par l’Académie suédoise. Seule récompense non prévue par le fameux testament de l’inventeur suédois, le prix d’économie « à la mémoire d’Alfred Nobel », créé en 1968, clôturera la saison lundi prochain.
Maderpost / Le Monde