A la tête de la mairie de Dakar, il semblait être sur le tremplin parfait pour le fauteuil présidentiel. Mais, tel un Comte de Monte-Cristo sénégalais, Khalifa Sall a dû passer par la case prison, après que son immunité lui a été retirée. Mais, contrairement à Edmond Dantès, l’ancien maire de Dakar ne se cache pas. Il assume être en campagne pour prendre une revanche dans les urnes.
PORTRAIT – Il y a une semaine, Khalifa Sall est sorti du silence dans lequel il s’était enfermé depuis sa sortie de prison en septembre 2019. Rien de surprenant pour ceux qui le connaissent. L’homme politique sénégalais a coutume de ne jamais dire un mot plus haut que l’autre, au point parfois de donner l’impression d’hésiter et de tergiverser.
Mais, cette fois-ci, l’intéressé a décidé de briser le silence et d’annoncer sa candidature pour l’élection présidentielle de 2024.
« Pas de haine, pas de rancœur, le passé c’est le passé »
Le Sénégalais ne compte cependant pas jouer d’histoire similaire à celle écrite par Alexandre Dumas. « Je ne ressens pas de haine, pas de rancœur, le passé c’est le passé », avait-il déclaré. Mais même s’il n’y a pas de vendetta en marche, celui qu’on annonçait parmi les favoris pour accéder au palais présidentiel a bien une revanche à prendre.
Un politique précoce
Au Sénégal, beaucoup voyaient déjà Khalifa Sall en principal adversaire du président sénégalais Macky Sall, lors de l’élection de 2019. Effectivement, avant l’étrange revirement de la carrière politique de l’ancien maire de Dakar, il s’était signalé par une précocité hors norme.
Né en 1956 à Louga, d’un père commerçant et d’une mère vendeuse de couscous, Khalifa Ababacar Sall a fait ses premiers pas en politique à un âge étonnant : 12 ans. En mai 68, les manifestations estudiantines secouent le Sénégal de Léopold Sédar Senghor. Le jeune garçon commence à assister aux rassemblements de l’Union progressiste sénégalaise, actuel Parti socialiste, pour soutenir le chef de l’Etat d’alors.
“Né en 1956 à Louga, d’un père commerçant et d’une mère vendeuse de couscous, Khalifa Ababacar Sall a fait ses premiers pas en politique à un âge étonnant: 12 ans.”Au début, il fait un peu rire certains, mais son obstination fait taire les moqueries. Son professeur de philosophie au lycée Blaise Diagne, Abdoulaye Elimane Kane, se rappelle encore cet engagement. « Je l’ai connu il y a plus de quarante ans. Il était déjà membre des jeunesses socialistes. » Une fois son baccalauréat en poche, Khalifa Sall s’inscrit à l’université d’où il sort avec une maîtrise d’histoire et une autre en droit constitutionnel.
Plus tard, il devient le protégé de Mamadou Diop, personnalité de son parti et ancien maire de Dakar dont il épouse la fille en 1984. Cette année-là, âgé de 28 ans, Khalifa Sall devient adjoint au maire de la ville de Dakar. Avant cela, il enseigne l’histoire dans un collège. Il continue de gravir les échelons du parti.
“Plus tard, il devient le protégé de Mamadou Diop, personnalité de son parti et ancien maire de Dakar dont il épouse la fille en 1984. Cette année-là, âgé de 28 ans, Khalifa Sall devient adjoint au maire de la ville de Dakar.”
En 1983, il devient député à l’Assemblée nationale. En 1993, le Président Abdou Diouf, qui apprécie sa maturité, l’intègre à son équipe de campagne pour sa réélection. En janvier 1995, Khalifa Sall est nommé ministre délégué auprès du Premier ministre. Il devient ensuite ministre du Commerce, de 1998 à 2000.
La bataille de la mairie de Dakar
En l’an 2000, Abdou Diouf perd face à Abdoulaye Wade. Au sein du Parti socialiste, c’est la débandade. Khalifa Sall fait partie des rares militants à ne pas avoir baissé les bras. En 2008, à quelques mois des élections locales, il décide de conquérir la mairie de Dakar.
La tâche est immense. « Personne ne voulait y aller, Khalifa a mené une campagne sans moyens, en faisant du porte-à-porte dans les quartiers pour présenter son projet », témoigne un membre de son entourage. Pourtant, en avril 2009, Khalifa Sall inflige une défaite inattendue au camp présidentiel en s’imposant face à Pape Diop.
“« Personne ne voulait y aller, Khalifa a mené une campagne sans moyens, en faisant du porte-à-porte dans les quartiers pour présenter son projet », témoigne un membre de son entourage.”
Elu maire, il rend public un document recensant l’ensemble de ses biens pour faire preuve de sa bonne foi et instituer une culture de la transparence. Il avait publié la liste de ses biens devant un jury d’honneur. S’il savait… Il est réélu cinq ans plus tard, face à la Première ministre Aminata Touré.
A cette époque, des dissensions apparaissaient déjà au sein de son parti. Il faut dire qu’il avait brigué la mairie à la tête d’une liste dissidente. Quelques mois plus tard, alors que son parti et celui du président Macky Sall sont liés par un accord, il appelle à voter « non » au référendum proposé par le président en 2016.
Khalifa Sall aurait pris comme une trahison le renoncement de Macky Sall, sur avis du Conseil constitutionnel, à réduire son mandat en cours de 7 à 5 ans.
« Inch’Allah, le PS aura son candidat à la prochaine présidentielle ».
Mais pour certains observateurs, la guerre froide entre les deux hommes remonterait à plus loin. En 2014, le gouvernement avait adopté l’Acte III de la décentralisation, qui réduit le pouvoir de la mairie en renforçant celui des communes d’arrondissement.
En 2015, le ministre des Finances s’est opposé au lancement par la mairie de Dakar d’un emprunt obligataire de 30,5 millions d’euros, pourtant garanti par l’Usaid et la Fondation Bill & Melinda Gates. Pour beaucoup, ce sont les prémices d’un affrontement à la présidentielle de 2019 qui ont lieu.
En 2016, Khalifa Sall remporte l’élection du Haut Conseil des collectivités territoriales de Dakar. Dans le même temps, les relations de Khalifa Sall avec le secrétaire général de son parti, Ousmane Tanor Dieng, se durcissent.
Arrestation et fin des ambitions pour 2019
Le 17 mars 2016, Khalifa Sall déclare à la radio ce qui fera office d’une déclaration de guerre ouverte. « Il n’y a plus de candidat naturel au Parti socialiste, la base doit choisir. Inch’Allah, le PS aura son candidat à la prochaine présidentielle ». Il ne le sait pas encore, mais tout va basculer.
“« Il n’y a plus de candidat naturel au Parti socialiste, la base doit choisir. Inch’Allah, le PS aura son candidat à la prochaine présidentielle ». Il ne le sait pas encore, mais tout va basculer.”
Le 3 mars 2017, le procureur Serigne Barissou Guèye annonce l’ouverture d’une information judiciaire contre Khalifa Sall. Un rapport de l’Inspection générale d’Etat fait état d’un détournement d’une somme de 1,8 milliard FCFA (environ 2,7 millions d’euros) des caisses de la ville de Dakar, sans justification.
Dans la nuit du 7 au 8 mars, il est placé en détention avec six de ses collaborateurs pour détournement de fonds publics. Condamné à 5 ans de prison ferme, il finit par être gracié en septembre 2019, 7 mois après l’élection présidentielle, « sans qu’il ne l’ait demandé parce que ce serait reconnaitre ce dont on l’accuse».
Prochaine étape: 23 janvier 2022, date des élections locales.
Désormais, il est sur les sentiers d’une guerre électorale pour rattraper, en 2024, le destin présidentiel qu’on lui prédisait. Mais déjà, la prochaine étape est celle du 23 janvier 2022, date des élections locales. Lorsqu’il l’évoque, il essaie de ne pas trop se mettre de pression.
« Beaucoup de gens le disent, le clament (que l’étape des élections locales est capitale), je n’en fais pas partie, je pense que ce sont des élections locales. Par contre, ces élections sont essentielles pour déterminer le devenir du cours démocratique de notre pays. Il nous faudra battre le président Macky Sall et sa majorité, pour le dissuader définitivement de se présenter pour un troisième mandat », explique Khalifa Sall.
La nuance est légère, mais l’affrontement, lui, semble bien lancé.
Maderpost / Agence Ecofin / Servan Ahougnon
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