Les Sénégalais attendront encore pour savoir qui de la coalition présidentielle, Benno Bokk Yakaar, ou de l’inter-coalition Yewwi Askan Wi/Wallu sera majoritaire à l’Assemblée nationale, à l’issue des élections législatives du 31 juillet 2022, par contre le Président Macky Sall qui ne s’attendait surement pas à ce scénario, sait au moins deux choses, c’est qu’il n’a plus les cartes en main et qu’il est obligé d’aller toquer aux portes de Me Abdoulaye Wade et Khalifa Sall pour assurer ses arrières.
LEGISLATIVES – Comment celui que beaucoup considèrent comme un monstre politique a-t-il pu en arriver à cette situation ? Il aura été pourtant averti. Par les observateurs les plus pointus, les démocrates les plus avertis. Et surtout été attendu sur la question du troisième mandat par la majorité silencieuse. Mais c’est à croire qu’il était insensible. Qu’il a oublié que les Sénégalais ont tourné le dos à Me Abdoulaye Wade, quand il a voulu, d’abord taillé la Constitution sur mesure pour une troisième réélection avec le quart bloquant jeté aux orties le 23 juin 2011 par les députés et le peuple, forcer ensuite le passage en 2012.
Allergiques à cette tentative de plus et outrés par le reniement de sa parole donnée, les électeurs ne se firent pas prier pour sortir Me Wade du palais, tranquillement par la voie des urnes.
Interpellé le 31 décembre 2019 sur le troisième mandat par le journaliste Babacar Fall de RFM, quelques mois seulement après sa réélection controversée si l’on s’en tient aux déclarations de ses adversaires d’alors, Macky Sall, théoricien et VRP de la nouvelle Constitution votée par référendum le 16 mars 2016, dégageait en touche, ouvrant la voie à toutes les supputations. Mieux, il sanctionnera tous ses partisans qui s’exprimeront ouvertement sur la question. Ceux en tout cas qui avaient eu le courage de soutenir qu’il ne se présenterait pas une troisième fois, parce qu’il l’avait lui-même dit. Le Président Sall ignorait sans doute qu’il venait de signer lui-même une fin de non-recevoir de tout troisième mandat, après un deuxième consécutif. Certes le premier de 7 ans, le second de 5. Soit 12 ans à l’avenue Roume, deux ans de plus que la promesse vendue à ses compatriotes. Les Sénégalais s’en rappellent encore.
Sans surprise – ne pas le faire aurait été incompris -, Yewwi Askan Wi, Wallu et toutes les autres coalitions concourant aux joutes des sièges du parlement ne rateront pas l’occasion de faire de ce poison de troisième mandat pour BBY, un cheval de bataille de de la campagne électorale, entre autres griefs. Sans état d’âme, elles posé une épée de Damoclès sur la coalition pilotée par Mimi touré.
« Dès le premier jour de son élection, tout élu pense à sa réélection. Le premier jour d’une réélection, il réfléchit à sa reconversion. »
Cette dernière et ses partisans auront beau expliquer, essayer de l’évacuer, parler des réalisations présidentielles, des politiques dans le cadre de l’emploi et la formation des jeunes, de l’autonomisation des femmes, fait des promesses, et lui-même augmenter tous les salaires dans la fonction publique, etc. qu’ils n’arriveront pas plus à faire sortir de chez elles les masses démocratiques afin qu’elles leur allouent un nouveau séjour de 5 ans à l’Assemblée nationale. Est passé par là, ce qu’il est convenu d’appeler la neuvième liste, certainement la plus parlante de toutes données de ces législatives, notamment celle des abstentionnistes qui pourraient bien friser les 60%.
Laminée dans les principales villes du pays et à l’étranger, particulièrement dans les pays riches ou réside la Diaspora sénégalaise, Beeno Bokk Yakaar paie, entre autres, le prix de l’entêtement présidentiel à évacuer une question sur laquelle l’attendaient ses concitoyens, particulièrement les électeurs. A défaut d’une écoute à leur attente dans le cadre de son bilan immatériel, ils ont déposé leur sanction aux portes de Macky Sall, l’invitant ainsi à revoir sa copie sur cette affaire.
Le grand écart – Entre Me Wade et Khalifa Sall
Quelle lecture le Président Sall va-t-il en faire. Mystère et boule de gomme. On dit de l’homme qu’il est mauvais perdant, voire rancunier. Reste qu’il n’a plus les cartes en main et qu’il lui faut faire contre mauvaise fortune bon gré. Il n’a plus le choix de toute façon. Cheikh Omar Diallo, docteur en Science politique et expert en communication écrite et orale, fondateur de l’Ecole d’art oratoire (EAO) écrivait dans une lettre ouverte adressée à Macky Sall dans le magazine panafricain Jeune Afrique du 1er mars 2019
: « Dernier mandat de Macky Sall : un quinquennat inédit de trois ans : ». Une lettre prémonitoire qu’il serait bon de redécouvrir tant le politologue traduisait dans ses lignes un parcours de deuxième et dernier mandat forcement diffèrent du premier et de tous les autres d’ailleurs.
« Dès le premier jour de son élection, tout élu pense à sa réélection. Le premier jour d’une réélection, il réfléchit à sa reconversion. » Une assertion que semble n’avoir pas vu Macky Sall. Mais voilà que viennent la lui rappeler les résultats des législatives après l’avertissement des locales qu’il s’est refusé de regarder droit dans les yeux.
Que va-t-il faire ? Essayer de recoller les morceaux, d’abords dans son parti, s’il lui est possible de le faire, et de frapper à d’autres portes, notamment celles de son ancien mentor, Me Abdoulaye Wade, pour une issue tranquille, sans grabuge, pour lui-même et sa famille, ou alors du côté de Khalifa Sall, afin de barrer la route à un certain Ousmane Sonko devant lequel les membres de son parti pèseront pour des cacahuètes. Certes, Sonko n’est pas encore sorti des griffes de la justice et rien ne dit que l’appareil judiciaire ne va pas s’emballer dans les prochaines semaines, mais il est difficile pour le Président Sall d’envisager sereinement l’avenir de sa famille souvent citée par l’opposition, dans une configuration d’une inter-coalition Yewwi Askan Wi/Wallu robuste.
Après avoir décapité, toutes les ambitions susceptibles de postuler à sa succession, dans son propre camp, Macky Sall se voit obligé de commencer un travail de raccordement pour des retrouvailles libérales, voire de réconciliation avec le socialiste Khalifa Sall. Rapprochement qu’il ne devrait tarder à mener si l’on mesure l’importance que requiert pour lui la majorité à l’Assemblée, si elle ne lui pas acquise à l’issue du vote. Il lui faudra travailler au corps Me Abdoulaye Wade, pour quérir un pacte afin d’asseoir une majorité d’alliance. La question est de savoir si le Président Wade, et donc Karim Wade, sont prêts à tout saborder, pour une telle combinaison à moins de deux ans de la présidentielle qui plus est dans un timing qui ne permet pas à Macky Sall de dissoudre le parlement. Par ailleurs, Me Wade prendra-t-il le risque de se couper des Sénégalais qui lui ont fait confiance pour un projet qu’ils rejetteront pour ne pas avoir y été associés ? La question peut se poser, ce d’autant que Karim Wade, encore loin du Sénégal, peut se permettre le luxe d’attendre que le ciel se dégage pour lui si tant est, il existerait une ambition présidentielle chez lui. Mais Wade père ne serait pas Dakar si ce n’est le cas, peut-on aussi avancer.
Outre, les retrouvailles libérales, Macky Sall a la piste socialiste avec Khalifa Sall pour freiner les ardeurs de Yewwi Askan Wi et casser la dynamique Ousmane Sonko devenu le champion des jeunes. A défaut d’un pacte pour la majorité, Macky Sall pourrait offrir un pacte pour l’alliance présidentielle de 2024 en donnant armes et bagages électoraux à l’ancien maire de Dakar pour se positionner en 2024, toujours en vue de fragiliser Sonko au premier tour et pourquoi pas de l’exclure de la course du deuxième tour de la présidentielle. Dans le premier cas, comme dans le second, il s’agira de réduire la menace Sonko, a défaut de l’exclure de la sphère politique. Dans tous cas les Sénégalais, en veilleurs et las des combinaisons politiciennes et autres transhumances, suivront de près les prochains développements.
Ils apprécieront et décideront à leur tour les contours d’une amnistie qui frappe déjà aux portes de la 14
e législature. Macky Sall n’a jamais été aussi seul.
Charles FAYE
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