Faut-il avoir peur pour le Sénégal ? Telle est la question que se pose le journaliste marocain, Naïm Kamal, connu pour ses chroniques et sa sérieuse expérience des rédactions et organes de régulation des médias chérifiens. C’est dire si l’Afrique, voire le reste du monde, ne retiennent pas leur souffle. Ce qui suit est signé Kamal.
POLITIQUE – Ziguinchor dans le sud du Sénégal, Chef-lieu de la Casamance, où s’est réfugié depuis quelques jours l’opposant et potentiel candidat à la présidentielle de février 2024, Ousmane Sanko, est en proie à des affrontements entre forces de l’ordre et partisans de celui qui est également maire de la ville.
Par Naïm Kamal
Trois morts dont un policier tué accidentellement et suspension des cours dans les établissements scolaires de la région de Ziguinchor jusqu’au 25 mai, donnent une idée de ces heurts.
La Casamance où s’active depuis 1980 le Mouvement des forces démocratiques (MFDC), vit depuis 1991, date d’un premier cessez-le-feu entre l’Etat sénégalais et le MFDC, dans un conflit de basse intensité.
Et ce qui s’y passe aujourd’hui pourrait paraitre comme un autre épisode des troubles intermittents de la région n’eut été que ceux-ci s’inscrivent dans la perspective de la présidentielle de février 2024.
Une perspective qui se tend au fur et à mesure que l’échéance s’approche, d’autant plus que le président sortant, Macky Sall, semble tenté, au mépris de la constitution selon ses opposants, par un troisième mandat.
« Complot judiciaire » contre le rival ?
Dans la course présidentielle, le maire de Ziguinchor, déjà candidat malheureux en 2019 (3ème avec 15% des voix), est embarqué depuis 2021 dans des démêlées avec la justice. Deux procès, l’un pour « viol » présumé, l’autre pour diffamation d’un ministre, donnent lieu à chaque fois qu’on tente de le présenter devant un juge à des confrontations avec la police.
Dans ce second procès, il a été condamné le 8 mai dernier à six mois de prison avec sursis, une peine susceptible de le priver de son éligibilité. Ce qui l’autorise à crier au complot pour l’empêcher d’empêcher Macky Sall de rempiler.
Pour l’instant, ce long feuilleton politico-judiciaire ne fait que renforcer la détermination de cet ancien inspecteur des impôts, déjà radié en 2016 de la fonction publique pour « manquement au devoir de réserve ».
Ousmane Sanko, fondateur du Syndicat autonome des agents des impôts et domaines (SAID), mettait en cause le président et son entourage dans des « exonérations d’impôts indues ». C’est dire que l’homme n’en est pas à son premier essai.
Certes, rien que du familier dans les pays du « Sud global » notamment en Afrique et il n’y aurait pas de quoi fouetter un jaune d’œuf pour en faire une mayonnaise.
Seulement en Afrique de l’Ouest, le Sénégal a continuellement fait exception sans jamais succomber aux violences et/ou coups d’Etat habituels aux transitions dans la région.
L’acte inédit de Senghor
Premier président du Sénégal à l’indépendance, et même s’il a instauré le parti unique en vogue à l’époque dans le tiers monde et mené son Etat d’une main ferme pendant 20 ans, Léopold Sédar Senghor a réussi à faire de ce pays fortement imprégné de culture soufie, un espace de cohabitation politiquement tempéré.
Le président poète, a eu ensuite l’élégance de l’acte inédit : quitter le pouvoir de son propre chef.
Et s’il a choisi pour sa succession en 1981 son fidèle Premier ministre Abdou Diouf, ce n’est pas sans avoir quatre ans auparavant instauré le multipartisme.
Ce qui permettra à l’opposition et notamment à un avocat turbulent mais démocrate libéral, Abdoulaye Wade, de lui tenir la dragée haute. Candidat contre Senghor en 1978, ensuite trois fois successive contre Diouf, il réussit enfin à le déloger en avril 2000.
M. Diouf est bien sûr fortement tenté de poursuivre son aventure au pouvoir au-delà des deux décennies passées à la tête de l’Etat.
Mais face à la détermination de l’opposition et au résultat sans appel des votes (58% des voix), il s’incline. De peu, le Sénégal rate l’occasion d’être le premier pays de l’Afrique de l’Ouest à vivre l’alternance par les urnes, la Cote d’Ivoire l’ayant devancé de trois mois sans pour autant éviter au pays des crises meurtrières à répétition.
La tentation monarchique de Wade
Abdou Diouf acceptant sa défaite contre l’avis de sa propre famille politique, Abdoulaye Wade marque sa première année par l’instauration du quinquennat, mais dès 2008, il revient au septennat.
Le président démocrate est à son tour travaillé par la tentation monarchique. Soupçonné à la fois de désirer un troisième mandat et de voir son fils Karim lui succéder, il se heurte à une forte opposition de la rue et du M23 (Mouvement du 23 juin), une vaste alliance regroupant toutes les forces hostiles aux envies de M. Wade.
Fort heureusement, comme Abdou Diouf avant lui, il a l’intelligence bien conseillée de s’en tenir à ses deux mandats et de se retirer avant que le pays ne sombre dans les tourments politiques.
Macky Sall qui lui succède, sans démériter tout au long de ses deux mandats, est lui aussi soupçonné de vouloir se maintenir par une interprétation « trop personnelle », selon l’opposition, de la Constitution.
Sa semi-ambigüité sur ses intentions entretient la suspicion. Ce qui le met à son tour face à une large alliance similaire au M23, le Mouvement des forces vives du Sénégal-F24, en référence à la présidentielle de 2024.
Et ce qui menace actuellement le Sénégal sonne sans conteste le moment pour le président sortant de méditer cette réflexion de Abdou Diouf : « L’Afrique se porterait mieux si tout le monde acceptait la limitation du nombre de mandats à deux. Ça créerait une respiration démocratique, ça permettrait des alternances. »