En cette époque où les déplacements d’Emmanuel Macron sont nécessairement limités, cet aller-retour Paris-Marseille revêtait évidemment une signification politique.
CORONAVIRUS – Jeudi, le président français s’est rendu dans la cité phocéenne afin d’y rencontrer le célèbre Pr Didier Raoult. L’infectiologue réputé qui dirige l’Institut hospitalo-universitaire en maladies infectieuses de Marseille (IHU) s’est fait connaître mondialement en soutenant que l’hydroxychloroquine, un “vieux” médicament antipaludéen, était efficace pour traiter la COVID-19.
Mais si le chercheur controversé est devenu en quelques semaines une des personnalités les plus populaires de France (au point de faire la une du Paris Match), c’est aussi que certains y ont vu un symbole politique.
Quoi qu’il en soit de l’efficacité du traitement du Pr Raoult, il n’aura pas fallu longtemps pour que les conseillers d’Emmanuel Macron flairent le danger. En ces temps difficiles, il ne fallait surtout pas se mettre à dos un tel personnage. D’autant que l’homme a vite été érigé en porte-étendard de la révolte du peuple contre les élites et de la province contre Paris.
Au pays d’Astérix, on ne rigole pas avec ce genre de choses. D’autant plus que, un an après la révolte des gilets jaunes, le gouvernement continue de traîner un déficit de confiance qui pourrait à tout moment s’aggraver.
Certes, les sondages de popularité du président sont à la hausse, comme pour l’immense majorité des chefs d’État et de gouvernement en période de crise. L’exemple du premier ministre François Legault au Québec est probablement le plus éloquent.
Mais la situation est radicalement différente en France. Si la popularité du premier ministre québécois atteint des sommets stratosphériques, celle d’Emmanuel Macron est d’à peine 47 %, deux points en dessous de celle de Donald Trump (49 %). Il faut dire que le président français partait de très loin.
Crise de confiance
Il n’est donc pas exclu que la pandémie en cours aggrave la crise de confiance qui sévissait déjà en France au lieu de la résorber. Selon un sondage Elabe, à peine 43 % des Français font confiance à l’exécutif pour gérer cette crise.
Cela signifie que 56 % d’entre eux ne lui font pas confiance du tout (23 %) ou pas vraiment (33 %). Malgré l’“union sacrée” qui se manifeste généralement en de telles situations, la plupart des analystes s’entendent pour dire que cette crise a très mal débuté pour Emmanuel Macron.
Sa décision de maintenir les élections municipales du 15 mars alors même qu’on avait déjà annoncé la fermeture des écoles (le 12 mars) et des commerces non essentiels (le 14 mars) n’a jamais été comprise.
“Le maintien du premier tour des élections municipales, cinq jours après le début du confinement, a été une erreur majeure et coûteuse. Plusieurs cas de contagion ont été liés à ce scrutin. Les Français y ont vu que la politique prenait le pas sur la santé publique et cela a sapé leur confiance dans l’exécutif”, explique l’analyste Gérald Olivier sur le site Atlantico.
C’était sans compter les acrobaties du gouvernement sur la question des masques. Aujourd’hui, 76 % des Français estiment que le gouvernement leur a “menti” en affirmant que le port des masques de protection était inutile dans le grand public.
Signe de cette logique administrative qui semble guider le gouvernement, en pleine crise sanitaire dans le Grand-Est, le directeur de l’Agence régionale de santé annonçait benoîtement le maintien de la suppression prévue de 174 lits et 598 postes au CHU de Nancy. La décision fut évidemment annulée et le directeur congédié. Mais le mal était fait.
Il n’y a qu’à écouter les rapports quotidiens du directeur de la santé publique, Jérôme Salomon, pour comprendre combien ils tranchent radicalement avec ceux que fait, par exemple, son homologue québécois, Horacio Arruda.
Si ce dernier parle plutôt franchement aux médias, le premier abandonne rarement le langage technocratique. C’est aussi sans hésitation qu’il s’applique à contourner la plupart des questions des journalistes. Ce qui a d’ailleurs amené le premier ministre, Édouard Philippe, à tenter de rattraper le coup en répondant simplement et directement aux questions des parlementaires à l’Assemblée nationale. Avec un certain succès d’ailleurs.
Des poursuites judiciaires
Ce climat de méfiance explique pourquoi la France est probablement le seul pays où des poursuites criminelles ont été déposées contre l’exécutif pour mauvaise gestion de la crise. Nul ne sait ce qu’il en adviendra, mais tout le monde a en mémoire le scandale du sang contaminé. Pour avoir permis l’utilisation de stocks de sang contaminé par le VIH, plusieurs responsables politiques et hauts fonctionnaires avaient alors été poursuivis ; et certains, même, condamnés, comme l’ancien ministre de la Santé Edmond Hervé.
Même en plein confinement, plusieurs plaintes ont déjà été déposées devant la Cour de justice de la République, seule susceptible de juger les ministres. Une trentaine d’assesseurs, de candidats et de militants de droite (LR) de Marseille ont ainsi porté plainte contre le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner. Ils estiment avoir été contaminés lors du premier tour des élections municipales.
Trois médecins soutenus par 1500 autres ont aussi porté plainte pour impréparation face à une pandémie qui était prévisible, disent-ils. Ils visent notamment la réduction des stocks de masques survenue en 2013, lorsque Marisol Touraine était ministre de la Santé. Trente-trois détenus d’une douzaine de prisons du sud de la France invoquent aussi la non-assistance à personne en danger et dénoncent l’absence de mesures sanitaires dans les prisons.
Les magistrats sont divisés sur la possibilité que ces plaintes déposées devant la Cour de justice de la République et visant des responsables politiques aboutissent un jour. Mais ils sont moins circonspects sur celles qui pourraient être déposées au pénal pour faute professionnelle et qui viseraient de hauts fonctionnaires.
Pour le moment, tous les politiques savent que le regain de popularité dont ils jouissent en temps de crise est généralement éphémère. Cela risque d’être encore plus vrai pour les dirigeants français.
On en saura plus dès lundi, quand Emmanuel Macron s’adressera aux Français pour leur dire si le confinement se poursuit et quand il pourrait se terminer. Signe que l’exercice ne sera pas facile, même un adversaire politique comme le sénateur de droite (LR) Bruno Retailleau a lancé ces mots à Édouard Philippe : “Je n’aimerais pas être à votre place au moment où il faudra décider du déconfinement.”
Maderpost / Christian RIOUX