La politique est un art et les leaders de l’opposition tels Idrissa Seck, Khalifa Ababacar Sall, Mamadou Diop de Croix qui le savent si bien n’ont pas pris de gants pour dire leur vérité au Président Macky Sall, lui rappelant sa responsabilité dans la situation actuelle, non sans pour certains lancer leur une opération de charme à l’endroit des électeurs en brassant large lors de l’ouverture du Dialogue national, mercredi 31 mai 2023 au Palais de la République, sous la présidence du chef de l’Etat qui lui a mis une ombre sur l’échéance électorale présidentielle.
POLITIQUE – Le ton des travaux donné déjà la veille par le maire de Dakar, Barthélémy Toye, sur le plateau de la 7TV, s’est confirmé ce mercredi avec le discours du président de REEW MI, Idrissa Seck, mais également celui du leader de Taxawu Senegaal et ancien maire de Dakar Khalifa Sall et Mamadou Diop de Croix, principalement.
Deux mandats consécutifs, pas un de plus pour Idrissa Seck
Si l’ex-président du Conseil économique, social et environnemental néo-opposant après l’annonce de sa candidature à la présidentielle de février 2024, a exprimé son souhait de voir le dialogue national aboutir à « une démocratie renforcée » pour le Sénégal et à une « élection présidentielle libre, transparente et inclusive », il n’a manqué de faire savoir au président sortant qu’il a fait deux mandats consécutifs, un de 7 ans et un autre de 5. L’envoyant par conséquent à ce qu’en dit l’article 27 de la Constitution selon lequel un président est élu pour un mandat de 5 ans renouvelable une fois, suivi de la phrase : « Nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs ». Idrissa Seck fait ainsi comprendre qu’il faut retenir que quoi qu’il en soit, nul ne peut faire plus deux mandats, quelle que soit que la durée du mandat ?
« Je vous exprime mes sincères remerciements pour m’avoir convié de nouveau au Dialogue national dans cet État du Sénégal, République que vous aurez eu l’honneur et l’immense privilège de diriger pour deux mandats consécutifs de 7 et 5 ans. »
S’étant prononcé en février dernier à Thiès, lors de la « tournée économique » du Président Macky Sall avant de clore le chapitre 3e mandat après les festivités de célébration du 63e anniversaire de l’accessions à la souveraineté internationale, Idrissa Seck est resté droit dans ses bottes quand bien même le Président Macky Sall ne se serait pas opposé à ce que la question très agitée du troisième mandat soit posée durant le Dialogue national. « Il n’y a pas de tabou », a-t-il dit, disant que cette question pouvait faire l’objet des débats.
Mais pour Idrissa Seck, la cause est entendue. Parlant du chef du protocole pendant plusieurs années de la présidence, feu Bruno Diatta, en référence de serviteur de la République et de la Nation, Idrissa Seck demande au Président Sall : « (…) notre pays serait-il sous la menace de jeunes en colère, manipulés par des leaders politiques qui s’en servent comme boucliers pour leur propre ambition ? ».
« Notre devoir à nous tous, à vous Monsieur le Président de la République en premier, est de rester fidèles et loyaux à ces deux mots dans chacun de nos actes et dans chacune de nos paroles : le verbe Servir et le substantif Service ». Le président de REEW MI a fait comprendre au Président Macky Sall qu’il a fini son service et qu’il doit partir.
Les conclusions du Dialogue national sont claires pour lui. Elles riment avec « une démocratie renforcée, des élections […] libres, transparentes et inclusives, des résultats incontestables ». Idrissa Seck ne s’arrête pas là. Pour lui, le peuple seul est habilité à choisir son champion. Personne d’autre ne peut et ne doit décider pour lui son président et les candidats devant concourir pour la présidentielle 2024. Les résultats du prochain scrutin présidentiel doivent refléter « l’exacte expression de la volonté et du choix du peuple sénégalais, le seul habilité à dire à qui il confie son mandat ».
Difficile de voir que l’ombre d’Ousmane Sonko n’a pas manqué de se flotter dans son discours auquel on ne peut rater les citations bibliques et commentaire du Cardinal Sarr Théodore Adrien à l’endroit de feu Bruno Diatta. Mais, il est clair qu’Idrissa Seck comprenant la menace d’un certain Barthélémy Toye Dias et Khalifa Sall, brasse large pour charmer et gagner la confiance d’une communauté chrétienne, certes peu portée sur l’action politique, mais non moins électrice.
Khalifa Sall avocat de Yewwi et chantre du pardon
L’ancien maire de Dakar a profité de la tribune pour éclairer la lanterne des observateurs et Sénégalais sur les « véritables raisons » qui ont poussé la « frange radicale » de sa coalition Yewwi Askan Wi à boycotter le Dialogue national.
« Le dialogue national doit servir de cadre de discussion et de réflexion sur les véritables raisons qui ont poussé la frange radicale de YAW à boycotter cette rencontre », a défendu le patron de Taxawu Senegaal, précisant que « L’une des raisons avancées pour certains est qu’il n’a y rien de nouveau pour la tenue d’un nouveau dialogue national. La question du troisième mandat et la participation de tous les candidats à la prochaine élection présidentielle doivent être au menu de cette rencontre, de même que les [difficultés liées au] parrainage des candidats à la dernière élection présidentielle ».
En campant ainsi sa position et celle de sa coalition quand bien même la frange dite radicale aurait tourné le dos aux pourparlers, Khalifa Sall essaie de sauver la mise ou ce qui peut l’être encore afin que Yewwi ne vole pas en éclat. Mais c’était aussi l’occasion pour Khalifa Sall de faire comprendre au Président Macky Sall qu’il a clairement vu son jeu consistant à désintégrer l’une des coalitions les plus dangereuses pour lui et ses partisans en vue de la présidentielle de 2024. Si elle a lieu.
Rassembleur et soucieux de la cohésion de Yewwi mise à mal depuis le bras de fer entre Ousmane Sonko et Barthélémy Dias, Khalifa Sall tient aussi à assurer ses arrières et éviter ce qu’il pourrait considérer un coup de jarnac venu de son jardin. La confiance est-elle d’ailleurs toujours de mise chez lui ?
Aussi est-il impératif de discuter du Code électoral au cours du Dialogue national afin de dépoussiérer des articles tels L29, L30, L57 dont le but n’est rien d’autre que d’exclure de sérieux prétendants, en l’occurrence lui-même et Karim Wade de la course de la magistrature suprême. Si ce n’est eux ni Sonko, de qui s’agira-t-il ? Le temps pressant, septembre étant vite arrivé pour le dépôt des candidatures et cautions (180 jours) à la Caisse de dépôt et de consignation (CDC), les pourparlers qui ont débuté aujourd’hui devront être effectifs et dégager Kalifa Sall et Karim Wade les goulots d’étranglement et barrages pour leur participation à la présidentielle de 2024.
Ce combat devra être celui de tous et encore plus celui de sa coalition qui compte plusieurs cadres en prison, plus encore dans les rangs de Pastef qui paie un lourd tribut. Sur la libération des manifestations emprisonnés que le Président Macky Sall ne considère pas comme des « détenus politiques » et demande du reste à l’opposition d’en faire autant, Khalifa Sall sait que ce point pourrait être un des nœuds durs du Dialogue dans la mesure il isolerait davantage Ousmane Sonko assigné actuellement à « résidence surveillée ». Il est important pour Khalifa Sall de pouvoir compter sur Sonko et au pire des cas sur ses consignes de vote, si jamais il ne participait pas aux joutes. C’est pourquoi, il en discutera, c’est vital pour lui, ce d’autant que des hommes politiques, des journalistes sont concernés.
Le prétexte est ainsi trouvé pour « Se dire des vérités » pour la « bonne marche du pays vers la paix et le développement ». pas en tant que mandaté de Yewwi mais plutôt en tant que leader de son Taxawu Senegaal. Les choses sont claires, le combat est aussi mené pour la « frange radicale » mais Khalifa Sall ne peut en aucun occulter la stratégie de massification.
Il y va de la responsabilité de Macky Sall, pour De Croix
Mamadou Diop de Croix n’est pas passé par quatre chemins pour rappeler au Président Macky Sall que rien n’a changé depuis 2019. Aux mêmes causes, les mêmes effets lui a-t-il dit. Rappelant son discours au dialogue tenu après la présidentielle de 2019. De Croix de préciser que les leaders politiques interdits de participer à l’élection présidentielle de 2019 sont toujours dans le même cas. Pire, d’autres, comme Ousmane Sonko, pourront ne pas en faire partie. Le redoutable De Croix qui ne s’est pas privé d’envoyer ses coups est droit au but en disant à Macky Sall qu’il est le principal responsable de ce qu’il se passe au Sénégal et qu’il devra en assumer la responsabilité, ce d’autant que c’est lui qui a les commandes de l’ordre et de son maintien de l’ordre.
Martelant que rien n’a été fait depuis 2019 pour rétablir dans leurs droits les leaders politiques concernés, tout comme rien n’a été fait pour épargner la classe politique et les Sénégalais de la situation actuelle et de ses dérives, De Croix, en bon soldat de la cause politique et champion de la dialectique, a renvoyé Macky Sall devant ses responsabilités sur la question du troisième mandat, du Code électoral, de la tenue de la prochaine présidentielle et des libertés. Retour à l’envoyeur pour dire à défaut d’avoir appliqué les termes du dernier dialogue, retournez y. Que de temps perdu est la substance du discours de l’ancien enfant terrible de la politique sénégalaise, de Senghor à Abdoulaye Wade.
Macky Sall, le troisième mandat et … l’échéance électorale présidentielle !!!
Il faut croire que De Croix a si bien résumé le côté caustique de ce Dialogue national dont le Sénégal aurait pu et du en faire l’économie tant tout semblait indiquer, d’abord en 2012, ensuite en 2019, qu’il pouvait désormais compter sur la maturité des acteurs politiques et tourner le dos aux démons parce qu’ayant connu des péripéties qui lui ont fait gagner en expérience, histoire et culture démocratique. Les réponses du Président Macky Sall lui donnent raison, notamment sur le troisième mandat qui s’invite au Dialogue. « Le troisième mandat et tous les sujets peuvent être abordés à cette tribune », dira Macky Sall, reconnaissant ainsi l’inconfort que suscite cette question sur le champ politique, voire au-delà. Mais si « la situation actuelle du pays nous impose le dialogue », force est d’en discuter même si le Président Macky Sall n’a jamais annoncé vouloir en faire. Et c’est là le comble. Une porte de sortie toute trouvée. Du grand art.
Il ne faudra pas s’étonner d’ailleurs de l’entendre dire que le débat lui a été imposé alors que lui-même n’y a jamais pensé. Ce qui serait très adroit de sa part et le placera sur un pied d’estale. Tout le monde se sera trompé et le pays aura perdu du temps, encore faudrait-il dire que si tel est le cas, qu’il avait toute la latitude d’épargner et la classe politique et les Sénégalais de s’époumoner sur un sujet sans intérêt. Mais nous sommes en politique et sur ce terrain les acteurs du secteur sont passés maîtres. Pour preuve, cette phrase aux antipodes du banal : « En outre, l’échéance électorale présidentielle de février 2024 s’impose d’elle-même comme sujet de dialogue ». Qu’est ce que le Président Macky Sall a-t-il voulu dire par là ? Met-il sur la table en termes codés le report de la présidentielle ? Il nous a été donné d’entendre des proches évoquer la possibilité.
Cette thèse se tient d’autant que dans ce qui précède, le Président Macky Sall parle d’une situation mondiale difficile et imprévisible. « Aujourd’hui, mes chers compatriotes, le besoin de concertation est encore plus pressant, alors que le monde entier continue de subir les conséquences cumulées de la pandémie COVID-19 et d’une guerre majeure, dont personne ne peut prédire ni l’étendue, ni la fin.
S’y ajoutent pour nous, la menace immédiate liée à l’avancée du terrorisme dans le sahel, qui a fini d’atteindre des pays jusque-là épargnés ».
Durant l’émission sur la 7TV mercredi 31 mai, Barthélémy Toye Dias a anticipé sur le report, soutenant qu’il est impensable. Aurait-il dit ce qu’il en pense au Président Sall lors de leur tête-à-tête? Que le chef de l’Etat soutienne que l’échéance électorale présidentielle s’impose elle-même au dialogue semble assez clair pour passer sous silence et ne pas envisager que le report sera discuté au Dialogue. Ce qui amènerait à se poser des questions sur le but réel de ce Dialogue national que la « frange radicale » de Yewwi Askan Wi perçoit comme un « deal ».
Anticiper la question du report renvoie à un consensus supposé « fort » des acteurs des pourparlers et la mise en place prochaine de ce que l’on peut appeler dès à présent un « gouvernement d’union nationale » en vue d’organiser la présidentielle dans un ou deux ans, avec un Macky Sall qui ne sera pas bien entendu de la partie. Si cela s’avérait, le Président Sall et les acteurs auront accusé un gros retard sur les électeurs qui avaient coupé la poire en deux lors des législatives du 31 juillet et donc déjà invité
le chef de l’Etat à mettre en place un gouvernement d’union nationale. Mais bon, on n’en est pas encore là dans le Dialogue national.
Maderpost