« Nous avons un véritable problème de confiance entre acteurs économiques, ce qui fait que les entrepreneurs ont du mal à se mettre ensemble pour créer des pôles économiques viables pour affronter la concurrence et diminuer les coûts », soutient Haby Dieng Fall dans une contribution intitulée « De la nécessité de parler d’économie ».
TRIBUNE – En écoutant l’Air du temps de ITV du 11 Février 2024, un des Invités a parlé de Démocratie économique et je crois qu’il a parfaitement raison.
En effet depuis des lustres, les politiciens polluent l’atmosphère ne parlant que de politique et surtout élections. En réalité, dans leur grande majorité, ils ne se préoccupent que des moyens de conquête du pouvoir, occultant les questions essentielles, à savoir quelles sont nos priorités économiques, quel modèle de développement pour notre petit pays, comment régler la question de l’emploi des jeunes, comment réorienter les enseignements pour qu’ils soient en phase avec nos besoins de développement, comment booster l’agriculture pour atteindre l’autosuffisance alimentaire, quelle politique en matière d’élevage pour une autosuffisance en lait et viande, quelle politique pour diminuer le service de la dette en partenariat avec les autres États africains.
C’est autant de questions auxquelles les politiques devront répondre, au lieu de slogans creux comme “France dégage“, sans pour autant nous dire quels sont les moyens d’y parvenir si l’on sait que l’essentiel des entreprises présentes sur le sol sénégalais sont à plus de 60 % françaises après 63 ans d’indépendance ; les plus grosses entreprises qui étaient publiques ont fait faillite comme l’ancienne Sonacos, ICS (reprise par les Indiens). Les PME et PMI ne sont pas viables et beaucoup d’entre elles disparaissent au bout de 2 ou 3 ans. Nous avons un véritable problème de confiance entre acteurs économiques, ce qui fait que les entrepreneurs ont du mal à se mettre ensemble pour créer des pôles économiques viables pour affronter la concurrence et diminuer les coûts.
Autre problème, les grosses fortunes préfèrent investir dans le bâtiment, le commerce, le transport où il y a moins de risques. C’est pourquoi dans la zone industrielle on retrouve plus les entreprises françaises et libanaises. Aujourd’hui, on note une diversification à Diamniadio avec l’arrivée des Turcs, des Indiens, des Chinois, etc.
Si nous voulons une indépendance économique et qu’on puisse bout er dehors la France ainsi que les institutions de Brettons WOODS, il faudra changer de comportement.
D’abord, restaurer les valeurs de justice, d’équité, d’engagement pour notre pays aussi bien au niveau des gouvernants et des familles par l’éducation.
Il est vrai que lors des Assises Nationales en 2011, un diagnostic sans complaisance avait été fait et des axes de développement ont été fixés dans tous les domaines. Sur l’axe 2 concernant les Orientations Budgétaires, politiques Économiques et environnementales,
1. Sur le point concernant le secteur Industriel, il faut noter que :
Notre pays est devenu un pays de “Dorkat” ; tous les moyens sont bons pour arnaquer son prochain. Ce qui crée le manque de confiance entre les acteurs de développement et constitue un frein pour le décollage de l’économie par manque de capitalisation d’envergure.
– Créer un code des Investissements qui permettra aux Sénégalais d’être majoritaires dans les Entreprises à participation privée pour sauvegarder les Intérêts Nationaux si le privé national accepte de s’engager.
– un autre facteur bloquant : l’inexistence des industries fabriquant des emballages et l’importation coûte chère et renchérit le prix des produits.
– la concurrence des produits asiatiques qui ont des facteurs de production moins chers (main d’œuvre surtout).
– La faiblesse du crédit aux petites et moyennes entreprises qui représentent 98 % des entreprises et 30,5 % du Chiffre d’Affaires des entreprises (Études ANSD) et ne bénéficient que de 9 % des crédits accordés par les organismes financiers.
On note que le taux de survie des petites et moyennes est de 30 % relativement faible. La survie en général ne dépasse pas 2 ou 5 ans due à plusieurs facteurs :
– insuffisance du Capital humain.
– la fiscalité ou la législation contraignante.
– la situation économique.
– difficultés d’accès aux technologies.
– l’étroitesse des marchés, qui peut être réglée par l’augmentation des échanges entre Africains comme la ZELCLAF, les accords au niveau CEDEAO, etc.
– Renforcement de la coopération en matière de construction d’ouvrage en commun comme Manantalli, les lignes d’interconnexion du Wapp qui est un bel exemple d’intégration régionale pour diminuer les coûts et minimiser la part de chaque pays dans les investissements.
2. L’agriculture occupe 60 % de la population active et représente 15 % du PIB. Il faut inverser la tendance en augmentant les subventions à l’agriculture (achat de matériel, construction de forages en rapport avec les organisations paysannes). Pour cela, il faudra batailler ferme avec le FMI et la Banque Mondiale qui veulent réduire les subventions à leur plus simple expression et en organisant aussi les paysans en coopératives pour une meilleure répartition des récoltes dans le temps.
– fixer un délai pour chaque commune pour éviter que toute la récolte arrive en même temps sur le marché et puisse entraîner un effondrement des cours.
– autre facteur important la maîtrise de l’eau et en cela, il est important de revisiter le projet du Canal du Cayor pour voir la faisabilité et les impacts réels sur une autosuffisance alimentaire, surtout les cultures de contre-saison comme cela se fait à Matam, Podor, Ndioum, dans le dandee mayo qui permettront aux paysans d’être occupés tout au long de l’année et d’augmenter leurs revenus pour un mieux-être.
On note quand même un développement important de l’horticulture qui est passée d’un taux de croissance de 5 % en 2010 à 10 % en 2014.
– Il faudra aussi capitaliser l’expérience avec les organismes comme le Pracas, le Pracasen qui ont été d’un apport important dans l’agriculture.
– Les Agropoles créés dans le domaine agricole sont à saluer et à poursuivre.
– Faire des réformes sur le foncier pour permettre aux paysans d’être propriétaires pour prétendre aux crédits et en ce qui concerne l’agro business étranger il faudra leur faire signer des baux de 10 ans au maximum (renouvelables au besoin) et éviter la vente de terres car nous avons une population jeune.
Il est important d’atteindre l’autosuffisance alimentaire car jusqu’ici en 2023 nous importons pour 302 milliards de denrées alimentaires particulièrement le riz et cela pèse sur la balance commerciale et si cette manne était captée par nos paysans, ce serait une source d’amélioration des conditions de vie.
3. Concernant l’élevage des pas importants ont été réalisés avec le plan Sénégal Emergent, ce qui s’est traduit par l’augmentation cela production laitière qui est passée de 6 % à 9 % en 2020 avec la construction de 3 ranchs en plus de celui de Doli et des abreuvoirs un peu partout dans le Ferlo. Il faudra poursuivre les efforts pour arriver à une autosuffisance en lait et produits laitiers (beurre, fromages, etc.) et au besoin capaciter les acteurs par des bench dans les pays producteurs comme le Maroc, la France, etc.
4. Au niveau de l’éducation, il est important de revoir les curriculums dans tous les ordres d’enseignements. Depuis les indépendances à nos jours, il n’y a pas eu de grands changements alors que nous sommes à l’ère du numérique. Il y a beaucoup de matières pour lesquelles on gagnerait à raccourcir la durée des enseignements car on a énormément d’information sur le net.
À la lumière de notre vécu, on se rend compte que les formations dispensées sont en déphasage avec notre réalité économique et conséquence l’école ne forme que des chômeurs.
Il faut nous inspirer des modèles anglophones qui sont plus pragmatiques et moins longs. Il faut réduire la durée d’apprentissage héritée du système colonial français trop long du primaire au secondaire, il y a des classes qui peuvent être fusionnées. En cela les Enseignants doivent être en pointe pour proposer des solutions alternatives pour un enseignement de qualité répondant aux besoins de développement de nos petits pays, L’expérience des ISEP (Institut Supérieur d’Enseignement Professionnel) est à saluer et à multiplier pour un meilleur développement de notre pays. Également le projet de lycée professionnel dans chaque région en fonction de l’activité économique dominante dans la zone est à réaliser.
Notre population est jeune est le meilleur moyen de leur assurer un avenir par la grâce d’Allah est de les former en rapport avec les besoins économiques.
L’agriculture étant le plus grand pourvoyeur d’emploi combiné avec des industries de transformation, pourra résorber le chômage des jeunes, mais à condition que le privé sénégalais accepte de prendre des risques en investissant dans ce créneau.
5. Au niveau de la politique économique
Autre défi majeur pour notre économie est le poids de la dette qui représente en 2022 76,6 % du PIB contre 73,3 % en 2021. Le service de la dette pèse énormément sur notre économie car malgré les ressources escomptées du pétrole, nous ne sommes pas à l’abri des conditionnalités des Bailleurs de fonds qui font tout pour tirer nos économies vers le bas en refusant certaines subventions comme celles concernant l’agriculture et l’énergie qui sont au cœur du développement.
La problématique de la dette ne peut être résolue que par une solidarité inter-africaine pour revoir les conditions des conventions de financement qui nous maintiennent dans la Spirale de pauvreté et de dépendance vis-à-vis des bailleurs ou alors mutualiser nos avoirs pour financer notre propre développement à l’image du WAPP (West African Power Pool) qui finance les ouvrages en commun pour l’interconnexion des réseaux électriques, qui constitue un bel exemple de coopération en énergie électrique.
Au niveau commercial, avec l’exploitation du pétrole et du gaz, l’arrêt de l’importation des produits pétroliers qui se chiffrent à 1431 Milliards en 2023 (données du Ministère des Finances) pourra améliorer le solde de la balance commerciale. Mais il faudra développer l’industrie pour inverser la configuration du PIB qui est portée à 60 % par les Services, ce qui fait qu’on a une économie aux pieds d’argile. Ce qui constitue un défi majeur pour le gouvernement qui sera issu de l’élection présidentielle.
Les défis sont nombreux et complexes compte tenu de la nature de nos faibles économies, mais le principal ce sont les valeurs qui sont le fondement de sociétés et du développement durable, donc combattre la corruption, gérer dans la transparence, l’équité et la justice. Et c’est cela le plus difficile dans ce Sénégal en perte de valeurs.
Il faudra nécessairement faire le bilan, voir les réalisations importantes du Président Macky Sall, voir les corrections à apporter, les renforcements à faire, au lieu de vouloir tout jeter à la poubelle et recommencer. Il nous faut un Président responsable qui pourra capitaliser tous les acquis et rectifier les errements pour un développement durable orienté vers le mieux-être des populations.
Maderpost