26 décembre 1982 – 26 décembre 2022 ; voilà quarante (40) ans, jour pour jour, qu’éclatait le conflit casamançais. Entre la période des grandes illusions marquée par un mirage d’une conquête de l’indépendance par certains et la forte aspiration aujourd’hui des populations à la paix, la région naturelle a tangué dans une violence. 40 an de tragédie, 40 ans de larmes, 40 ans de sueur, 40 ans d’éclopées par des mines, 40 ans d’enfants dispersés : la région méridionale et les populations ont payé le prix fort de ce conflit. La Casamance, malgré les initiatives entreprises, va encore trainer pour un temps les séquelles de ce conflit, l’une des plus longues rébellions en Afrique. Genèse et chronique d’un conflit qui entame le processus de cicatrisation, après les nombreuses séquelles.
CASAMANCE – Personne ne s’imaginait que cette procession silencieuse du 26 décembre 1982, avec des femmes, des jeunes, des adultes qui avaient quitté Mangoukouroto (dans la périphérie de Ziguinchor) en direction du centre-ville de Ziguinchor, que cette marche allait plonger toute une région dans une tragédie. Et qu’elle allait être l’élément déclencheur d’un long conflit qui va durer des décennies. Quarante (40) ans de larmes, 40 ans de sueurs, 40 ans d’éclopées, la région a tangué entre violence et espoir, avec son lot de populations déplacées, tuées, appauvries etc.
Un an après cette première manifestation de décembre 1982, la situation va se corser, le 18 décembre 1983, lorsque des individus armés de flèches et de fusils font incursion dans la ville de Ziguinchor. Le bilan de la confrontation meurtrières entre les Forces de l’ordre et les assaillants fait état, officiellement, d’une trentaine de morts du côté des assaillant ; une centaine selon des sources.
Youssouf Coly, ancien combattant du Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance (MFDC), se remémore cette terrible période. «En 1982, c’était une marche pacifique ; mais, malheureusement, les arrestations opérées par l’administration ont contraint Sidy Badji (ex-chef du maquis) à effectuer un repli tactique dans le maquis, avant de revenir en 1983… Ancien combattant de la guerre d’Algérie, Sidy Badji a réorganisé le maquis dans la foret casamançaise…», se rappelle Yousouf Coly, l’un des premiers combattants du MFDC, qui renseigne sur la création même du nom «Atika». «C’est Sidy Badji, chef rebelle, qui a créé le nom Atika, qui signifie en Diola guerrier», lance-t-il.
NOUVELLE TOURNURE DANS LE CONFLIT : LA REBELLION SE DOTE D’ARMES SOPHISTIQUEES, A LA PLACE DE SES FLECHES ET FUSILS
Le conflit prend alors une toute autre tournure. La rébellion, qui se battait avec des flèches et fusils, se dote d’armes sophistiquées. «Nous avons réussi à nous procurer des armes lourdes. Nos chefs ont tissé des relations qui ont permis d’acquérir ses armes. Il y a aussi l’intervention en Guinée-Bissau qui nous a permis d’avoir des armes, tout comme le Sénégal aussi…», martèle l’ancien maquisard reconverti maintenant en Missionnaire, assurant une liaison entre le Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance (MFDC) et des ONG et l’Etat. Il refuse toutefois de dévoiler l’origine de ces armes.
Sur l’indispensable nécessité de discuter, l’on a fait prévaloir la force des armes pendant des années, regrette d’ailleurs le Professeur Nouha Cissé, Observateur averti de la crise. «La Casamance va encore trainer pour un temps les séquelles de ce conflit… Imaginer que des mines sont un peu partout, malgré des efforts entrepris, imaginer que pour une région agricole comme la Casamance, que des gens ont perdu des bras, qui ont perdu des jambes, bref des éclopées de cette situation. Imaginer aussi la douleur vécue par des populations qui ont assisté à des exécutions sommaires par des expéditions punitives d’éléments armés contre des populations ; c’est aussi valable du côté des éléments armés que du côté des Forces de sécurité», Déplore M. Cissé qui estime que la situation a été extrêmement difficile.
Un bilan atroce d’un conflit qui a fait vaciller toute une région qui a sombré sous trois facettes hideuses que sont : la culture de chanvre indien, la coupe de bois et le vol de bétail que l’ancien président des éleveurs de Ziguinchor appelait même «ramassage du bétail», tellement c’était à profusion et les gens s’y livraient à cœur joie. Des fléaux qui ont éprouvé la région. La question du chanvre indien s’est installée et s’impose dans des zones, comme dans le Nord Sindian, et la coupe du bois qui gangrène toute la région de Casamance et le vol de bétail qui couvre toute la bande frontalière avec la Guinée-Bissau.
Aujourd’hui, l’espoir est permis pour une paix définitive, lâche l’ancien président du Casa Sport Nouha Cissé, qui explique : «Tout le monde a compris qu’on ne vaincra pas les Forces de sécurité et de défense pour obtenir l’indépendance ; mais aussi ces Forces de Défense de sécurité (FDS), malgré les coups importants portés au MFDC, ces FDS ne vaincront pas la rébellion nécessairement par les armes. C’est pourquoi la voie qui est suivie, consacrée par les accords de Kabrousse et ceux de Bissau, montrent que c’est le véritable chemin qu’il faut emprunter», conseille Nouha Cissé, qui est d’avis que c’est le levier des accords qu’il faut activer.
EN PLUS DES BRAQUAGES ET POSE DE MINES… BOBONDA, MANDINA MANCAGNE SONT QUELQUES REPERES MACABRES
Mais ces accords, paraphés entre le MFDC et l’Etat, ne semblent pas sincères, se désole Youssouf Coly. «Ces accords, parmi lesquels «le cessez-le-feu» signé à Cacheu en Guinee- Bissau en 1991, étaient utilisés pour endormir le MFDC. Ce n’était pas sincère. On faisait plus de la gestion que du règlement du conflit», martèle l’ancien maquisard qui explique l’échec de ces accords, en ces termes : «On faisait endormir le MFDC, espérant qu’il faut laisser les combattants dans le maquis vieillir et après certains vont mourir. Voilà leur stratégie», lâche l’ancien adepte de Sidy Badji.
Assasinats, meurtres, braquages ont marqué les pages sombres de ce conflit. Bobonda, Mandina Mancagne sont quelques-uns des repères macabres. La psychose des populations sur les routes est allée crescendo lorsque des éléments supposés appartenir au MFDC s’illustraient par des braquages sur les routes. Les mines, avec leur lot de victimes ont également semé tristesses et désolation. L’accident, dans les années 2000, du responsable résident du CICR dans le village de Lefeu, dans la zone de Sindian, a exacerbé l’angoisse des populations.
«L’APRES DIAMACOUNE», LA DIFFICILE PERIODE D’UN MFDC DIVISE ET EFFRITE
La mort du leader charismatique du MFDC, Abbé Diamacoune Senghor, a plongé le mouvement irrédentisme dans une division totale. Le mouvement s’est effrité. Des querelles de leadership ont éclaté, avec en toile de fond la légitimité. Des séquences qui ont fortement affecté le processus de paix. Chacun s’auto proclame leader du MFDC. Salif Sadio se démarque et contrôle son territoire, dans le Nord Sindian, laissant, dans le Sud, Cesar Atoute Badiate qui contrôle les bases du Sud de Kassolole… «Un Kruhma (Sané), personne ne l’a nommé secrétaire général. Le seul qui peut se réclamer de cette casquette de secrétaire général, c’est Kamoughé Diatta qui a été nommé», déclare Youssouf Coly. La disparition de celui qui était l’interlocuteur direct de l’Etat, a engendré d’énormes conséquences dans la marche vers la paix.v
LA MARQUE DES «MONSIEUR CASAMANCE», L’AUTRE ETAPE DU CONFLIT
La gestion de ce conflit reste marquée par une série d’initiatives entreprises aussi bien au niveau du MFDC qu’au niveau de l’Etat. La mise en place du Comité nationale de gestion du conflit, dirigé par feu le Professeur Assane Seck, précédé de la nomination de Marcel Bassène dans la gestion du conflit, reste une étape très importante dans cette crise. Il y a également l’entrée en action des «Monsieur Casamance» qui a aidé à renforcer l’implosion du MFDC, à la fois dans son aile politique que dans son aile combattante. Mais, il n’empêche qu’au moins cela a donné une indication de résoudre le problème. Choisis pour gérer un dossier compliqué, des «Monsieur Casamance» vont tomber sous les balles d’éléments armés, dans les années 2000. Les assassinats de l’ancien président du Conseil régional de Ziguinchor, Elhadji Omar Lamine Badji, dans son Sindian natal, et Samsidine Kébanding Aïdara, dans le Mahmouda Chérif, ont ensanglanté le dossier Casamance.
Toutefois, force est de reconnaitre que la gestion du sulfureux dossier Casamance a été confortée par les deux alternances, avec l’ancien président de la République Abdoulaye Wade et son successeur Macky Sall. Ces deux présidents ont mis en avant le dialogue, même si parfois il y a eu certains débordements. N’empêche, l’indication de résoudre le problème était bien là. Et le président Macky Sall a réussi à imprimer une accalmie dans la région, par une bonne gestion du processus de paix, impliquant la société civile qui joue sa partition.
L’entrée en action d’organisations de la société civile, comme USOFORAL, dirigé par Madame Seynabou Mal Cisse, qui s’investit depuis des années dans la recherche de la paix avec son organisation, Dynamique de Paix qui veut impulser une nouvelle dynamique de la paix, sans oublier l’apport des femmes regroupées autour de la Plateforme des femmes pour la paix en Casamance. Cela a beaucoup contribué à atténuer les ardeurs de part et d’autre. Des femmes actrices de la paix qui ont pris leurs responsabilités, en tant que mères et premières victimes (les femmes) avec les enfants du conflit, pour dire «non à la guerre, ça suffit !…»
Des messages que ne cessent de lancer ces femmes et la coordonnatrice de cette plateforme. Madame Thiam Ndèye Marie Diédhiou est convaincue que c’est autour de la table des négociations que se règlera définitivement ce conflit. La réclamation principale, c’est celle de résoudre le conflit par les négociations.
LA PAIX ! FORTE ASPIRATION DES POPULATIONS
Quarante (40) ans après l’éclatement du conflit, se développe une forte aspiration des populations à la paix. Le MFDC a progressivement perdu sa base affective. Celle-ci était très forte dans les années 1980 ; des gens, à tort ou à raison, pensaient qu’il était possible de conquérir l’indépendance et des gens se mettaient déjà dans un mirage c’est-à-dire la perspective d’une Casamance indépendante, avec les dividendes qu’on pouvait en tirer. C’était la période des grandes illusions. Et cela a emballé bon nombre de gens qui, d’une manière ou d’une autre, ont soutenu la lutte armée. Mais, finalement, tout cela s’est effondré et les Casamançais expriment leur profonde aspiration à la paix.
Tous les espaces sont utilisés à cet effet. «On peut penser effectivement que le conflit a atteint un niveau de gestion qui donne beaucoup d’espoir quant à sa fin.» Cet optimisme du Professeur Nouha Cissé suit l’espoir de cet ancien combattant du MDFC, Youssouf Coly, qui lance ce message, qui reste convaincu d’une chose : «Quarante ans, ça suffit !»
Maderpost / Sud quotidien