La Cour pénale internationale (CPI) s’apprête à prononcer, ce 26 juin 2024, son verdict contre Abdoul Aziz al-Hassan. L’ex-patron de la police islamique de Tombouctou lors de l’occupation du Nord-Mali par les groupes jihadistes répond de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. Les juges diront notamment quelle était sa place dans la hiérarchie de l’occupation.
JUSTICE INTERNATIONALE – Abdoul Aziz al-Hassan était-il « un petit poisson dans une situation impossible », comme l’a affirmé son avocate tout au long des quatre ans de procès, ou « une pièce importante du système global de persécution » mis en place lors de l’occupation de Tombouctou au Mali par des groupes jihadistes entre le 1er avril 2012 et le 28 janvier 2013 ? Les juges rendront leur verdict contre l’ex-chef de la police islamique (Hesbah) de la ville le 26 juin et diront sans doute quelle aura été la place d’Abdelaziz al-Hassan dans la hiérarchie de l’occupation.
L’ex-patron de la politique islamique de « la ville aux 333 saints » est accusé de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre pour des faits de torture, traitement cruel, atteinte à la dignité de la personne, viol, esclavage sexuel, mariages forcés, condamnation sans jugement, persécutions, autres actes inhumains et attaque contre des biens protégés.
2 196 victimes représentées
Au cours de ce procès, ouvert en juillet 2020, 52 témoins ont déposé pour le procureur, dont de nombreux experts, des journalistes qui ont couvert la guerre opposant les jihadistes d’al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et d’Ansar Dine au gouvernement malien, des victimes et des témoins de la terreur imposée sur la ville. Au total, 2 196 victimes ont aussi été représentées par des avocats dans ce procès. La défense a appelé 22 témoins.
Pour prouver la culpabilité d’al-Hassan, l’accusation a présenté des vidéos de l’accusé, sur lesquelles il assiste ou exécute les punitions infligées à la population, ainsi que de nombreuses expertises, sur les données téléphoniques, les images satellites, le droit malien, les Mausolées de Tombouctou en partie détruits, etc. Le procureur a aussi versé au dossier les propres rapports de police de l’accusé. Enfin, les nombreux témoignages de victimes et de témoins ont été entendus, en songhay, en tamasheq, en bambara.
La défense de l’accusé avait tenté de faire invalider certains témoignages émanant d’interrogatoires effectués par la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) du Mali, et obtenu « sous la torture », selon maître Melinda Taylor. Les enquêteurs du procureur avaient aussi interrogé l’accusé pendant près de 20 heures, après son arrestation au Niger par les soldats de la force française Barkhane, en avril 2017. Il avait ensuite été détenu à la DGSE au Mali. À La Haye, aux Pays-Bas, son avocate Melinda Taylor avait tenté de faire annuler cette pièce clé de l’accusation, affirmant qu’al-Hassan avait été torturé lors de sa détention, avant son transfèrement à La Haye – où se trouve le siège de la CPI – le 31 mars 2018. Les juges avaient néanmoins estimé, sur la base d’expertises, que l’accusé souffrait de stress en raison du procès, mais pas de traumatisme profond.
L’accusé n’était pas un extrémiste, selon sa défense
Portant un tagelmust ou vêtu d’un costume, Abdoul Aziz al-Hassan, 46 ans aujourd’hui, 34 à l’époque des faits, a suivi son procès de bout en bout. Originaire d’un village proche de Tombouctou, il exerçait comme vétérinaire, a assuré son avocate, avant de rejoindre Ansar Dine. Ce touareg de la tribu Kel Ansar n’était pas un extrémiste, a dit sa défense : « Il aimait la musique » et « il flirtait avec les filles ».
En confirmant les charges portées contre M. al-Hassan, les juges avaient estimé que « la politique des groupes armés visait à imposer un contrôle de la population par la violence, sous prétexte de l’application d’une idéologie présentée comme étant inspirée par la charia ». Pour assoir son autorité, Aqmi combattait avec Ansar Dine, groupe local créé en 2012 par Iyad Ag Ghaly, chef jihadiste. Les recrues comme al-Hassan permettaient aux jihadistes de s’installer au cœur de la population.
À Tombouctou, Abdoul Aziz al-Hassan est « omniprésent », « incontournable », avait dit le procureur Gilles Dutertre, « Il convoque, il patrouille, il arrête, il interroge ». C’est depuis son QG installé à la Banque malienne de solidarité (BMS), que l’accusé aurait œuvré. Le distributeur automatique de billets avait été converti en cellule, où des femmes et des filles auraient été détenues pendant plusieurs semaines.
Quatre ans de procès
Il aura fallu quatre ans pour prononcer ce verdict, au terme d’un très long procès, ouvert en juillet 2020, en pleine pandémie de Covid-19. Si Abdoul Aziz al-Hassan est reconnu coupable, les juges ne prononceront pas la sentence avant plusieurs mois, après avoir entendu les réquisitions du procureur. C’est le second procès sur l’occupation de Tombouctou devant la CPI. Ahmed al-Mahdi, agent de la Hesbah, avait été condamné à neuf ans de prison pour crimes de guerre après avoir plaidé « coupable ». Il n’était poursuivi que pour sa participation dans la destruction des Mausolées de Tombouctou. L’enquête ouverte en 2013 à la demande du Mali se poursuit.
Le 21 juin 2024, le bureau du procureur a rendu public un mandat d’arrêt délivré en juillet 2017 sous scellés contre Iyad Ag Ghali, le chef d’Ansar Dine. Au cours du procès, et dans l’espoir d’obtenir une mise en libération provisoire, Abdoul Aziz al-Hassan s’était distancié d’Iyad Ag Ghali, disant ne plus être « affilié » au chef d’Ansar Dine, ni au mouvement lui-même, pas plus qu’à Aqmi ou au Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans (Jnim).
Maderpost / Rfi