EDUCATION -Le chiffre est révélateur de l’impact des longues vacances dues à la maladie du Coronavirus sur le bien-être psychologique des enfants. A Diamniadio, la salle d’attente de Ndèye Awa Der Dièye, chef du service pédopsychiatrie de cet hôpital pour enfants, ne désemplit pas.
«Depuis deux mois, explique-t-elle, nous avons eu un rush de patients et nous avons la même symptomatologie. Si c’est des enfants qui parlaient, ils ne parlent plus beaucoup ou ils parlent tout seuls. Ils rient tout seuls. Tout cela est dû au ‘’confinement’’ avec les vacances qui sont un peu trop longues pour les enfants. Nous avons une cinquantaine de nouveaux patients.
Leurs troubles ont commencé après le ‘’confinement’’. Environs 25 par mois. Nous leur faisons des traitements pour les calmer, les contenir à la maison le temps qu’ils puissent reprendre leurs activités scolaires. C’est intenable pour eux. La moitié de nos patients habituels ont décompensé.»
Si l’épidémie à Covid-19 semble a priori épargner les enfants, à la fois en termes de prévalence et de gravité, elle n’est pas sans conséquence sur leur santé mentale. Du jour au lendemain, les enfants ont quitté l’école, leurs amis, leurs enseignants, sans y avoir été préparés.
Ils ne pouvaient plus non plus trop sortir dans la rue, obligés de rester à la maison pour éviter le virus. Un changement de vie radical qui impose de nouvelles habitudes. Mais surtout de passer plus de temps en famille, ce qui parfois crée de fortes tensions. Suivant le Dr Ndèye Awa Der Dièye, les enfants ont besoin de bouger, de dépenser leur surplus d’énergie, de sortir, d’aller jouer.
«Le fait d’être enfermé peut faire qu’il s’ennuie et quand un enfant s’ennuie, il peut être turbulent. Il peut sautiller sur les fauteuils. Des choses qu’il ne faisait pas à la maison, parce qu’il n’a plus d’endroit pour dépenser toute son énergie. Ce qui peut être source de conflits parfois avec leur environnement, notamment les parents et les nounous.» Des conflits qui peuvent parfois pousser les parents à user de la violence.
«L’oisiveté est source d’ennui pour les enfants, ce qui justifie leur rébellion face aux parents en cas d’interdiction»
Chez les parents, la situation est parfois intenable. La cohabitation avec certains enfants devient difficile, voire compliquée. Khalifa Ababacar Diagne, psychologue conseiller diagnostique une déstabilisation des habitudes et des modes de vie des familles due aux longues vacances. «Les parents sont contraints de passer beaucoup plus de temps avec les enfants, explique le psychologue-conseiller. Cette longue cohabitation inhabituelle engendre des tensions. Les activités que veulent les enfants peuvent ne pas trouver l’agrément des parents. Ces derniers, dans ce contexte, sont malgré eux, en situation de devoir jouer à la fois le rôle de parents et d’encadreurs scolaires. Les parents découvrent toute la difficulté de tenir en respect les enfants.
Les enfants ont beaucoup d’énergies à libérer à travers les jeux et certains d’entre eux hyperactifs doivent être surveillés comme du lait sur le feu. Ceci pour éviter qu’ils s’exposent à des dangers ou autres accidents domestiques. L’oisiveté est source d’ennui pour les enfants. C’est ce qui justifie leur rébellion face aux parents en cas d’interdiction. Ainsi la probabilité de rapports de forces entre parents et enfants devient très élevée.»
C’est cette lassitude due à un manque d’intérêt ou à une activité monotone souvent chez les enfants qui rend difficiles leurs relations avec leurs parents en cette période de pandémie. «Tout dépend du degré de compréhension du parent, relativise Dr Ndèye Awa Der Dièye. Ce n’est pas facile de garder un enfant au quotidien parce qu’il a besoin de se dépenser. Il va faire des bêtises, tenter des expériences, qu’elles soient bonnes ou mauvaises.
Aux parents d’être compréhensifs. Si chaque fois que l’enfant fait une bêtise, on le corrige, on risque de le corriger tout le temps. Plus on est à la maison avec les enfants, plus les choses vont crescendo. Les bêtises, c’est tous les jours. C’est difficile. Les parents emmagasinent beaucoup et les choses peuvent aller beaucoup plus vite.»
Jusqu’où ? Le psychologue conseiller, Khalifa Ababacar Diagne répond : «D’abord il faut dire que dans l’éducation des enfants, les parents doivent se contrôler et éviter les excès et les châtiments corporels. Comme disait Rousseau dans son ouvrage (Émile ou de l’éducation), « si les enfants entendaient raison, ils n’auraient pas besoin d’être éduqués ». Mais si d’aventure un parent ne se contrôle pas, ce qui peut bien arriver, il constitue un danger pour son propre enfant. Sa colère ou son impulsivité pouvant le conduire à utiliser des méthodes non conventionnelles.»
«Cela peut entraîner tout ce qui est troubles de l’attention, de l’hyperacuité, même abrutir l’enfant»
Au-delà du stress quotidien vécu par les parents, les enfants aussi souffrent énormément de cette situation. Dès lors, ils font tout pour s’occuper, ce qui parfois irrite l’un des parents. «Ça crée des tensions même pour l’enfant. Un enfant qui est enfermé, c’est un enfant qui à la longue, s’ennuie et il va faire des choses pour attirer l’attention du parent.
Et pour un enfant, tous les moyens sont bons pour attirer l’attention du parent. Soit il pose trop de questions, soit il fait des choses qui lui sont interdites.» Des tensions qui peuvent créer des troubles du comportement chez l’enfant. Dr Dièye explique qu’il y a deux types d’enfants et que les troubles varient en fonction de l’état mental des enfants. Son analyse lève un coin du voile sur les conséquences.
«Pour les enfants ‘’normaux’’ et qui sont bien encadrés, on leur permet d’avoir des activités, même s’ils ne sortent pas. Pour un enfant qui est enfermé entre quatre murs, qui n’a pas de jouets, qui n’a pas d’activités, rien que devant la télé du matin au soir, à la longue, ça peut créer des troubles parce que trop d’écran, ce n’est pas bon. Cela peut entraîner tout ce qui est trouble de l’attention, de l’hyperacuité même abrutir l’enfant, diminuer son autonomie.
Si c’est un enfant qui apprenait à parler, le fait de ne plus sortir, de ne plus être avec les gens peut développer des troubles du langage avec une baisse de niveau du langage. Chez les enfants à ‘’problèmes’’. Chez les enfants trisomiques, les enfants qui ont un retard mental, qui sont autistes, c’est un gros problème.
C’est des enfants qui ont besoin de sortir, qui ont besoin d’activités et qui sont souvent dans des écoles spécialisées où il y a des personnes qui ont appris à étudier avec eux, les gardent du matin au soir, alors que les parents sont au travail. Pendant le confinement, ils sont à la maison avec leurs parents qui souvent ne les comprennent pas. Ils font des crises de colère. S’ils avaient évolué, ils peuvent régresser avec le confinement. Au sein de notre hôpital, la plupart de nos patients, leurs parents sont revenus en nous disant qu’ils ont régressé, qu’ils ont commencé à parler seuls, à rire seuls. Ce qui inquiète les parents.»
«Parfois les parents sont dépassés, ils craquent»
Des parents souvent impulsifs sont à bout. Une petite correction peut virer au pire. Maltraitance, sévices corporels, violences psychologiques, tout y passe. Dr Ndèye Awa Der a eu à faire face à des cas de ce genre. Elle raconte : «On peut avoir des cas de maltraitance, mais c’est plus dans les daaras. Nous sommes dans une société où les parents ne viennent pas souvent le dire.
C’est plus quelques cas d’enfants battus qui viennent aux urgences avec des coups suspects ou des blessures suspectes, les médecins nous appellent et on se rend compte que certainement c’est des coups mal placés et autres qu’ils ont reçus. Si nous savons que l’enfant a été battu, nous appelons les parents pour en parler. Parfois les parents sont dépassés, ils craquent.
Nous faisons une psychothérapie de soutien et pour le parent et pour l’enfant, pour les aider à mieux se comprendre. En général, c’est des enfants qui sont malades qui ne comprennent pas toujours les consignes, qui semblent être têtus, mais c’est qu’ils ne savent pas. Nous essayons de sensibiliser les parents. Il y a des cas où les parents refusent de venir nous répondre et parfois nous sommes obligés de passer par les services d’action éducative en milieu ouvert (Aemo) de signaler, de faire des courriers pour exposer certaines situations pour une surveillance.
Dans la plupart des cas, certains parents qui se sentent fautifs, ne reviennent pas. Ce que je déplore tout le temps. Pour des cas avérés ou suspects de maltraitance, dès qu’on en parle, les parents disparaissent. On ne les revoit pas et on ne revoit pas l’enfant non plus.»
Quand on parle de maltraitance, il y a toujours des conséquences. Elles peuvent aller, selon le psychologue, jusqu’à affecter l’intégrité physique et morale de l’enfant. «De par sa fragilité, la vie de l’enfant peut être menacée, son corps physiquement atteint et son équilibre psychologique fortement perturbé.
Les conséquences au plan psychologique peuvent avoir un impact sur sa vie jusqu’à l’âge adulte. Dans la construction de la personnalité, aucun acte n’est anodin. Certains troubles psychopathologiques chez les adultes trouvent leurs explications ou leurs origines à leur enfance.» Jusqu’à leur rencontre avec des spécialistes, les enfants subissent le diktat de leurs parents.
«C’est plus facile d’amener un enfant à se confier qu’un adulte. Il ne va pas venir d’emblée expliquer ce qui se passe. Nous avons des méthodes pour entrer dans le jeu de l’enfant, examiner les dessins que l’enfant fait et même dans son jeu, l’enfant rejoue parfois des scènes qui se sont passées. Une fois que l’enfant a confiance en nous, ce qui ne se passe pas en une thérapie.
Souvent, il y a des cas où l’enfant une fois arrivé, on sait que ce qu’il nous raconte est un discours qu’on lui a fait apprendre à la maison, ce n’est pas le discours qu’il avait tenu aux urgences. Les parents passent derrière. C’est une des difficultés que nous rencontrons.» Ce qui manque aujourd’hui au Sénégal pour mesurer l’ampleur de ce mal, ce sont des chiffres réels. Dr Ndèye Awa Der Dièye : «Nous avons mis en place une étude, mais nous n’en sommes pas encore aux conclusions. Nous avons beaucoup de cas de perdus de vue, ce qui ne nous permet pas d’avoir des chiffres réels.
Il faut des aspects sur lesquels, il faut qu’on s’assoie et qu’on parle. Même sur la définition de maltraitance chez l’enfant, on a eu un atelier sur ça avec différents intervenants et on n’est même pas encore tombés d’accord sur le terme ‘’maltraitance’’. C’est quoi une correction ? Est-ce qu’on a le droit de corriger ou pas ? On n’est pas encore arrivé à utiliser un guide complet à utiliser dans tous les hôpitaux.»
Maderpost / IGFM