En 2000, la bande passante internationale du continent africain était inférieure à celle du Luxembourg. Vingt ans plus tard, malgré d’indéniables progrès, l’essentiel de l’Afrique est toujours déconnecté du reste du monde et des pans entiers de la population ne peuvent pas profiter pleinement des avantages de la connectivité.
NUMERIQUE – Cent milliards de dollars : c’est le montant des investissements nécessaires pour garantir un accès universel à l’internet en Afrique d’ici 2030, selon un nouveau rapport appelant à des mesures urgentes pour combler le retard de connectivité du continent.
Un défi redoutable quand on sait qu’un tiers environ des habitants d’Afrique subsaharienne sont encore hors de portée des signaux mobiles à large bande. Pour atteindre cet objectif, le rapport estime qu’il faudrait déployer au bas mot 250 000 kilomètres de fibre optique et créer près de 250 000 nouvelles stations de base 4G.
Il faudra également faire preuve d’inventivité, insiste le rapport, pour les zones rurales isolées où les réseaux mobiles traditionnels restent inaccessibles. Alors que le constructeur aéronautique SpaceX a fait le pari du satellite et vient d’annoncer son intention de proposer une connexion haut débit via sa constellation Starlink dès le début de l’année 2020 — et envisage, à terme, d’offrir ce service en Afrique — d’autres opérateurs testent des solutions d’extension par drones et par ballons.
L’idée de cartographier les infrastructures numériques de l’Afrique fait son chemin, pour la simple raison qu’une carte vaut des milliers de discours. Pour universaliser l’accès sur le continent, il faut repérer les trous dans le maillage et suivre le déploiement des infrastructures numériques.
Seule une représentation visuelle des lieux raccordés au réseau dorsal terrestre en fibre optique permettra d’avoir une idée précise de l’état de la connectivité en Afrique. La superposition des données démographiques fournies en libre accès par le Centre commun de recherche de l’Union européenne et des données sur les réseaux en fibre optique du Network Startup Resource Center permet un début de reconnaissance des besoins et de l’avancement de l’accès universel (voir la carte). Elle permet aussi de montrer que 45 % environ des Africains vivent à plus de 10 kilomètres d’une infrastructure réseau en fibre optique — soit plus que n’importe où ailleurs dans le monde.
Cette carte constitue un précieux point de départ, même si elle ne dresse pas forcément un tableau exact de l’état actuel de la connectivité en Afrique ni des données en temps réel sur le déploiement des câbles. Il faut souligner que l’indicateur de proximité des infrastructures numériques ne garantit pas la qualité de la connexion internet, la vitesse du débit ni même le taux de souscription.
De nombreux autres obstacles à l’accès persistent, comme le coût (des services et des appareils), l’environnement réglementaire et budgétaire, la maîtrise des compétences numériques, le sexe et l’âge des utilisateurs, leur niveau d’instruction, etc. Mais les trous de la couverture haut débit étant une contrainte majeure, nous leur accordons la priorité.
Par ailleurs, la pénétration d’internet en Afrique concerne essentiellement les connexions mobiles, et la qualité du débit 3G ou 4G dépend de l’endroit où l’on se trouve. Lorsque les antennes-relais de téléphonie mobile ne sont pas reliées à la fibre (mais connectées au réseau par un faisceau hertzien ou un satellite), la vitesse et la capacité du signal sont en général limitées à 2,5G, ce qui interdit de parler de “haut débit”.
En outre, notre carte représente les réseaux de fibres optiques terrestres et sous-marins existants et en construction. Un traitement supplémentaire serait nécessaire pour visualiser les réseaux opérationnels.
Ces données suggèrent cependant plusieurs pistes à explorer : elles mettent certes en évidence les endroits où les habitants sont les plus mal lotis et nécessitant donc des investissements, mais les opérateurs seront probablement plus intéressés par les zones densément peuplées que par les zones blanches.
Les nouveaux investissements ne feront donc que dupliquer des opérations existantes au lieu de combler les trous. D’où la nécessité d’une intervention publique, comme par exemple le financement de l’accès universel.
Mais des efforts doivent probablement aussi être consentis sur le front des données : rares sont les informations fiables et les relevés actualisés des infrastructures numériques et, quand ils existent, ils sont souvent incompatibles avec un traitement informatisé.
Si les infrastructures numériques faisaient partie du domaine public, alors les utilisateurs et les investisseurs dans d’autres secteurs de l’économie pourraient s’y appuyer. Il faudrait pour cela établir des cartes régionales des infrastructures numériques, afin de disposer en temps réel d’informations sur le fonctionnement et l’état du réseau. L’efficacité de la planification et des investissements passe par une cartographie plus fine.
Notre petite équipe, composée de spécialistes du développement numérique investis dans l’Initiative en faveur de l’économie numérique en Afrique et d’experts de l’analyse des données géographiques, s’est donc lancée dans un nouvel exercice : superposer d’autres séries de données — comme les informations sur l’éclairage nocturne provenant des satellites de télédétection — et appliquer des techniques d’apprentissage automatique pour avoir à une compréhension toujours plus précise des besoins de connectivité.
Nous travaillons également sur des données nationales, afin de proposer une analyse visuelle plus détaillée des besoins et des zones blanches dans certains pays. Clairement, pour repérer les stations de base mobiles déjà raccordées à la fibre, nous allons devoir superposer les cartes des réseaux en fibre optique et celles des antennes-relais. Nous espérons que nos travaux aideront les opérateurs privés, les gouvernements et les partenaires du développement à raccorder progressivement l’ensemble du continent africain au reste du monde.
Maderpost / Roku FUKUI / Christopher James ARDERNE / Tim KELLY