L’affaire du trafic des passeports diplomatiques qui secouent l’Assemblée nationale, a encore réveillé les démons de la communication gouvernementale et fait appel à grosse une question : Est-il si difficile de défendre le chef de l’Etat et son régime, parfois accusés à tort ou à raison sur des dossiers à relent populaire ?
COMMUNICATION GOUVERNEMENTALE – C’est devenu une rengaine. Une chanson qui lasse à force d’être ressassée. A chaque fois qu’une question politique, sociale, judiciaire… est discutée sur la place publique, avec des prises de positions tranchées de l’opposition, comme de la société civile, le huhau est débité dans les médias comme pour (re)donner de l’aplomb aux adhérents ou alliés du parti à la tête de cheval déjà dur au fouet. «Le président de la République est seul», «Macky Sall n’est pas assez bien défendu», souligne-t-on, allant jusqu’à accuser de hauts responsables de l’Etat, le plus souvent des ministres, de ne pas mouiller le maillot, de se désolidariser de la com’ gouvernementale pour les causes d’un agenda politique caché. Beaucoup d’anciens proches collaborateurs ou alliés du chef de l’Etat ont souffert le martyre de cette accusation. Amadou Bâ, ancien ministre de l’Economie et des finances, est passé par là. Aminata Mimi Touré, ex-Premier ministre et président du Conseil économique, social et environnemental, itou. Et ces deux cas ne sont donnés qu’à titre d’exemple.
La dernière personnalité en date qui aurait été prise en flagrant délit de mutisme coupable sur l’affaire du trafic présumé des passeports diplomatiques, impliquant les députés de la majorité Boubacar Biaye et Mamadou Sall, est le ministre des Affaires étrangères, Aïssata Tall Sall. Acculée par les journalistes en marge de la rencontre préparatoire sur le Forum international de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique qui se tiendra en décembre prochain à Dakar, l’avocate de profession a fini par donner les raisons de son silence sur ce scandale qui secoue actuellement le pays. L’ancienne Envoyée spéciale du chef de l’Etat a évoqué le secret de l’enquête et la séparation des pouvoirs qui l’empêcheraient de s’exprimer sur la question depuis l’éclatement de l’affaire. «Cette affaire-là, je l’ai apprise comme tous les Sénégalais l’ont apprise. Je suis un ministre de la République. Une République dans laquelle, l’état de droit est une réalité. Moi, ministre de la République, il y a deux séparations des pouvoirs et le secret de l’enquête qui m’empêchent de me prononcer sur cette affaire», s’est-elle excusée auprès des journalistes. Mais, dimanche dernier, à la surprise quasi générale, le Directeur général du quotidien Le Soleil, ancien ministre et responsable de l’Apr à Dakar, est venu tout remettre en cause : «Evoquer la séparation des pouvoirs, ce sont des niaiseries, des balivernes. Un gouvernement a une charge politique. Les députés sont des ayants droit. Parce que la loi organique de l’Assemblée nationale a été modifiée pour ce faire. Donc le président de la République n’y a rien à voir. Cela relève du ministère des Affaires étrangères. Quand un problème se pose, c’est politique, il faut monter au créneau et défendre celui qu’on doit défendre et s’expliquer. Mais ce mutisme est intolérable et c’est injustifiable. Absolument rien ne le justifie». Le patron du Soleil estime que cette affaire a eu des échos jusqu’à l’international et qu’aucun mutisme n’était tolérable à plus forte raison celui du chef de la diplomatie sénégalaise. L’approche peut faire désordre, mais ce n’est pas la première du genre dans les rangs de la mouvance présidentielle. Une ritournelle qui en appelle à quelques questions : est-il finalement si difficile de défendre le Président Macky Sall ? Existe-il réellement une com’ gouvernementale au sein du régime de Macky Sall ? A force d’appeler tout le monde, ou presque, à monter au créneau, ne risque-t-on pas d’exacerber davantage la cacophonie qui règne au sommet de l’Etat ?
«L’Etat est considéré comme une vache à lait au profit d’une classe compradore»
Pour l’enseignant-chercheur en science politique à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Jean Charles Biagui, ce n’est pas parce qu’il est difficile de défendre le Président Macky Sall, mais le problème c’est qu’il n’y a pas une communication gouvernementale en tant que telle. «Pour qu’il y ait une communication gouvernementale cohérente, explique Jean Charles Biagui, il faut au préalable qu’il y ait un projet politique qui réunit la plupart des acteurs. Aujourd’hui, les alliés de la mouvance présidentielle ne partagent pas fondamentalement un projet politique. Et pour que tout le monde tire dans le même sens il faut qu’il y ait un projet commun qui fédère. Mais malheureusement dans le système politique sénégalais la plupart des acteurs sont motivés par leurs ambitions personnelles. De ce point de vue, l’Etat, l’attelage gouvernemental est considéré comme une vache à lait au profit d’une classe compradore. Ce qui fait que les acteurs politiques, au lieu de communiquer autour d’un projet politique qui les fédère, au contraire, ils communiquent par rapport à des ambitions crypto-personnelles. C’est un point qui pose la difficile question de la communication gouvernementale. Et cela n’empêche au niveau du gouvernement d’avoir une politique de communication gouvernementale adéquate. Cependant, là où le bât blesse, c’est que nous sommes dans un environnement où la communication qui est proposée est non seulement inadéquate, mais elle est archaïque et anachronique. Il ne faut plus chercher à fédérer ou à avoir l’adhésion des électeurs, mais il faut aussi chercher l’adhésion du citoyen. Parce que la communication c’est chercher l’adhésion. Mais malheureusement, nos politiques insistent davantage sur l’adhésion des électeurs, c’est-à-dire un type de communication gouvernementale qu’on appelle la communication électorale.»
«Là où le bât blesse dans la Com’ du Gouvernement»
Mais pour l’enseignant-chercheur en science politique à l’Ucad, ce dysfonctionnement de la communication du gouvernement pourrait entraîner un sentiment de dégoût et de rejet chez les populations. Ce qui conduit le plus souvent à une impopularité de plus en plus importante d’un régime. «Quand il s’agit de faire adhérer les citoyens, c’est là où le bât blesse dans la communication du Gouvernement. La cacophonie qu’on trouve sur cette crise des passeports prouve largement qu’il n’y a pas une communication adéquate. Et les arguments de la ministre des Affaires étrangères le montrent très clairement. Parce que dans une démocratie contemporaine, il est très important de chercher l’adhésion des populations et chaque fois, répondre à l’opinion. Alors la conséquence principale, c’est le sentiment des populations envers le régime. Et les élections à venir vont nous édifier sur le ressenti des populations. Elles pourront sanctionner ces errements du gouvernement qui durent depuis très longtemps». Une critique que semble partager son collègue de l’Université Gaston Berger (Ugb) de Saint-Louis, Professeur Moussa Diaw. Pour l’enseignant-chercheur en science politique à l’Ugb, à l’absence d’un projet de société il est très difficile d’avoir une stratégie de communication gouvernementale efficace. Selon le professeur Moussa Diaw, pour qu’une stratégie de communication gouvernementale soit efficace, il faut une adhésion des populations. Ce qui ne semble pas être le cas actuellement pour le régime en place. Moussa Diaw : «Dans le contexte actuel du pays, il y a une insatisfaction de la politique économique et sociale du président de la République, Macky Sall, aux yeux de l’opinion publique. Il y a une forme de désaffection perçue comme telle par les populations de par leurs réactions et cela n’installe pas la confiance entre le chef de l’Etat et l’opinion. Et cette désaffection fait qu’il sera très difficile pour les responsables de la mouvance de défendre la politique du chef de l’Etat aux yeux des citoyens. Il y a une rupture dans la défense de la vision du président de la République occasionnée par des dysfonctionnements dans certains dossiers, comme l’affaire de ces passeports diplomatiques. Les acteurs, ce qui les intéresse en général, c’est des positionnements personnels sur l’échiquier politique. Parce qu’ils ont bien compris qu’ils sont dans des configurations politiques clientélistes où il faut tout faire pour être en odeur de sainteté avec le prince». Toutefois, le Pr Diaw souligne que le seul responsable c’est le président de la République qui a tous les pouvoirs. Et dans cette affaire des passeports diplomatiques, il soutient qu’il y a un dysfonctionnement dans la gestion du dossier. Car pour lui, il devait y avoir des directives et des instructions données par le chef de l’Etat pour éviter qu’à chaque fois qu’un responsable fait une sortie pour donner sa version et un autre réplique pour dire le contraire. Mais pour le Pr Diaw, le fait de garder le silence aussi peut prendre d’autres allures qui peuvent être fatales au Gouvernement. Moussa Diaw : «Comme il n’y a pas une communication idoine en la matière, ça part dans tous les sens, car il y a une animosité entre les responsables qui ne viennent pas de la même formation politique. Les rivalités, les attaques personnelles, les uns contre les autres ne vont pas dans le bon sens de la politique du chef de l’Etat. Mais il y a un problème d’autorité dans la communication du gouvernement.»
Maderpost / Igfm