Le Droit est beau, si le Droit est bien dit. La beauté de la Décision n°1/C/2024 du 15 février 2024 du Conseil constitutionnel, qui vient d’être rendue, est certainement inspirée par la logique jurisprudentielle et l’équilibre démocratique. C’est une décision qui affranchit le Peuple sénégalais de l’angoisse politique. Elle est «historique et salutaire». Comme tout citoyen, la décision titille notre orgueil démocratique.
CONSEIL CONSTITUTIONNEL – Toutefois, l’enthousiasme ne doit aucunement absoudre les interrogations juridiques. Au fond, le Conseil a résolu le problème à moitié. La décision a révélé, à bien des endroits, une certaine incomplétude de la Constitution. A l’analyse, le Conseil constitutionnel semble être ébloui par la brillante expertise de la requête sur les moyens relatifs à la notion de loi et à l’étendue de son pouvoir jurisprudentiel. C’est autour de deux points que s’articule la série de réflexions qui constituent sans doute le prolongement de notre cours de «Contentieux constitutionnel» dispensé aux étudiants de la Licence 3 en Droit public à la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, qui pourront bien continuer à nous suivre à travers les plateformes digitales du Ceracle.
I/ La requalification de la «loi»
Il était de bon droit de distinguer dans la nomenclature législative, la «loi», la «loi organique» et la «loi de révision constitutionnelle». Ces lois, qui portent sur des matières distinctes, sont adoptées selon des procédures différentes. Formellement, il ressort de la Constitution du 22 janvier 2001 et de la loi organique n°2016-23 du 14 juillet 2016, que le Conseil constitutionnel contrôle la constitutionnalité des «lois», sans les qualificatifs «organique» et «constitutionnelle».
Logiquement, cela a été généralement interprété comme «loi ordinaire», par certains. Et l’article 78 de la Constitution alinéa 2 précise expressément que les lois organiques «ne peuvent être promulguées si le Conseil constitutionnel, obligatoirement saisi par le président de la République, ne les a déclarées conformes à la Constitution». Or, dans son Considérant 6 relatif à la compétence, le Conseil note, dans sa nouvelle décision, que son périmètre de «contrôle de constitutionnalité des lois est circonscrit, en matière de révision constitutionnelle, à la vérification du respect des conditions d’adoption, d’approbation et des limites temporelles et matérielles que la Constitution elle-même fixe à l’exercice des pouvoirs du constituant dérivé». Par voie de conséquence, il conforte son répertoire de compétences en évoquant très clairement «le contrôle de constitutionnalité des lois (…) en matière de révision constitutionnelle».
Ce faisant, le Conseil n’a fait que suivre la grille de lecture des requérants aux termes desquels «il apparaît, en vertu [des articles 92 de la Constitution et 1er de la loi organique] que la Constitution n’opère aucune distinction quant à la nature juridique des lois que le Conseil constitutionnel a pour compétence de contrôler : qu’il revient dès lors au juge constitutionnel d’assurer la plénitude de ses fonctions au regard de l’esprit général de la Constitution et des principes généraux du Droit».
Curieusement, en 2000, cette assimilation entre «loi» ordinaire et «loi constitutionnelle» a été prise comme motif principal pour dénoncer un «détournement de procédure» devant le Conseil constitutionnel. En dépit de la guérilla constitutionnelle, le Conseil a fini par reconnaître que «la législation sénégalaise ne contient aucune disposition constitutionnelle ou légale conférant au Conseil constitutionnel compétence pour statuer sur les recours dirigés contre les décisions prises en matière de référendum par le président de la République». Sous l’effet d’une météo politique subitement plus favorable, le Conseil opère un revirement à la faveur de l’extension de son pouvoir juridictionnel.
II/ Une extension du pouvoir jurisprudentiel
A travers sa décision, le Conseil constitutionnel a conquis de nouveaux pouvoirs. Il s’agit d’une double auto-habilitation, à savoir la «plénitude de juridiction» et le «pouvoir régulateur». En l’espèce, le Conseil estime que la plénitude de juridiction lui confère «compétence pour connaître de la contestation des actes administratifs participant directement à la régularité d’une élection nationale, lorsque ces actes sont propres à ce scrutin». Le principe est noble, mais la démarche est unilatérale. Demain, la Cour suprême pourrait admettre la recevabilité du recours contre le même décret, acte administratif, qui est pendant devant elle, avant de le qualifier ou non d’acte de gouvernement. En France, la plénitude de juridiction était le fruit d’un dialogue constructif entre le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat. Bien plus, le Conseil constitutionnel s’est arrogé un «pouvoir régulateur». Au Considérant 19, il invoque «l’esprit et la lettre de la Constitution et de la loi relative au Conseil constitutionnel», et considère qu’il doit toujours «être en mesure d’exercer son pouvoir régulateur et de remplir ses missions au nom de l’intérêt général, de l’ordre public, de la paix, de la stabilité des institutions et du principe de la continuité de leur fonctionnement». Pourtant, cette prérogative est également dévolue au président de la République. D’ailleurs, c’est sur le fondement de cette disposition que le décret querellé a été pris. Ainsi, notre système constitutionnel est concurremment régulé par le président de la République et le Conseil constitutionnel. Quoi qu’il en soit, cela ne fait que consolider la démocratie.
Meïssa DIAKHATE
Agrégé de Droit public
Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Maderpost