Le brillant journaliste et chroniqueur alerte Mame Ngor NGOM, remet ça! Après son best-libraire “Billet de Salon”, son nouvel ouvrage “Biais de Départ” sort courant cette semaine. L’auteur nous a accordé la primeur de parcourir les bonnes feuilles à la fois explosives, croustillantes et prégnantes de son livre.
PARUTION – Confidentiel Afrique fait une plongée dans l’insubmersibilité des hauts et bas faits saillants de la deuxième séquence du magistère politique du Président Macky SALL qui est à trois mois de la fin de son règne. Infographie.
« Biais de départ » est comme une pièce et un jeu de rôles complexe, écrit son préfacier Sidy Diop. La scène, c’est le Sénégal, « pays de paradoxes, de promesses multiples, de dénis bruyants, de vices assumés et de vertus étouffées ». L’acteur principal de cette longue « observation narrativisée de nos mœurs » est le président Macky Sall. « Que d’écarts entre ses premières proclamations et la réalité de son exercice du pouvoir ! ». « Il y a aussi Ousmane Sonko. On lui a réservé un petit rôle dans un pantomime, mais sa voix a porté si fort que les fondations de notre République en ont été soufflées. Sa stratégie politique qui l’oblige à toujours danser au bord du précipice lui vaut un succès médiatique et politique indéniable. Son discours contre le système et son insistance sur la « fracture » entre le peuple et les élites dirigeantes ont été, pour lui, un positionnement politique intelligent ». Mame Gor Ngom traite dans son deuxième livre de tous les sujets. Des maux d’une société sénégalaise en déperdition aux enjeux géostratégiques en l’Afrique de l’Ouest notamment sous « surveillance française ». Du « mal de presse » aux lueurs d’espoir. Voilà de bonnes feuilles de « Biais de départ ». En réalité, tout le livre est ébloui d’une plume lumineuse.
Au rendez-vous du déshonneur !
On pourrait vraiment se passer de toute indignation devant l’acte du président de la République qui a reçu au Palais, en fin novembre 2021, « avec les honneurs », un homme pris en flagrant délit de tricherie. Celui que nous avons élu en 2012 et réélu en 2019 s’est fait souvent remarquer par des actes aux antipodes des règles démocratiques, au mépris de la bienséance républicaine, de l’élégance tout court. N’avait-il pas annoncé la couleur en violant le code électoral aux élections régionales, municipales et rurales du 12 mai 2002, votant sans sa pièce d’identité ? Cet acte a été d’autant plus retentissant qu’il était alors ministre des Mines, de l’Énergie et de l’Hydraulique.
On pouvait ne pas être surpris par cette image violente au Palais si l’on sait que Sall, après avoir montré partout une aversion pour la transhumance bestiale, n’a pas hésité à louer ses « vertus », en évoquant la « mobilité professionnelle », tentant ainsi de justifier laborieusement une option hasardeuse. C’était aux premières années de son élection, en 2015 à Kaffrine.
On pouvait bien ne pas perdre notre énergie à dénoncer cet « amour à la bassesse », cette apologie de la traîtrise, si l’on sait que le président, de son propre aveu, a mis des «dossiers sous le coude». Déclaration faite en 2014, des États-Unis où il se trouvait. Montrant ainsi ce qu’on savait déjà : la justice, c’est lui. Ce n’est donc pas surprenant que la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) soit morte de sa belle mort après avoir emprisonné Karim Wade et quelques lampistes, ignorant toutes les autres personnalités dont certaines sont devenues des alliés de taille du régime Sall.
Sur le même registre, le 31 décembre 2020, Macky Sall avait soutenu que l’arrestation de certaines personnes, « quelles que soient leurs fautes », peut faire sombrer le Sénégal.
« Le Procureur de la République est investi du pouvoir de poursuites. Donc, Il lui revient de voir s’il vaut la peine de poursuivre ou de ne pas poursuivre une personne. Il peut, des fois, arriver qu’il soit amené à arrêter une personne dont l’arrestation peut conduire le pays dans un chaos total », a-t-il dit devant les journalistes et tous les Sénégalais. Il était manifestement très à l’aise.
Le chantre de la « gouvernance sobre et vertueuse » a gracié un trafiquant de faux médicaments, en avril 2019. Il s’agit d’un commerçant guinéen condamné à 5 ans pour cette forfaiture criminelle. Amadou Woury Diallo a été interpellé par la gendarmerie suite à un trafic de médicaments d’une valeur de 1,3 milliard de CFA. La grève des pharmaciens, la protestation quasi générale n’y firent rien. Le « chanceux » s’était déjà « volatilisé ». La bêtise a été ainsi encore récompensée par celui qui nous promettait la rupture dans la manière de gouverner. Ce n’était que leurres. Même les corps de contrôle, censés remettre les choses à l’endroit, se montrent frileux. Les différents rapports, loin d’être réguliers, ne sont suivis d’aucun acte. Pire, des gestionnaires épinglés ont bénéficié d’une promotion. C’est le cas de l’ancien directeur du Centre des œuvres universitaires de Dakar (Coud) devenu ministre de l’Enseignement supérieur, ensuite ministre de l’Éducation non sans avoir menacé de ses foudres la présidente de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac) Nafi Ngom Keïta qui a fini par être « chassée » de son poste. La dernière trouvaille présidentielle si paradoxale, qui devrait consister à créer une commission chargée d’exploiter les rapports de la Cour des comptes, tarde à se concrétiser au grand bonheur de ceux-là qui ont dilapidé l’argent du contribuable, en volant et en violant les règles primaires de gouvernance beaucoup fustigées par Birahim Seck, le coordinateur du Forum civil.
Que d’actes qui suivent la logique de sa rencontre avec Monsieur Djibril Ngom, ancien mandataire de la coalition Yewwi Askan Wi à Matam, devenu célèbre à cause de sa « prouesse » honteuse qui a consisté à prendre la poudre d’escampette avec les dossiers de candidature pour les élections locales du 23 janvier 2022. Objectif : sabotage pour plaire à son mentor local, Farba Ngom, qui l’a sans nul doute conduit au Palais pour « services rendus au parti ». La patrie est insultée, souillée.
Il n’était donc pas superflu de s’interroger sur ce qui faisait courir Macky Sall qui, en principe, quitte le pouvoir en 2024 au terme de son second mandat, comme indiqué dans la Charte fondamentale. Pourquoi tient-il à descendre si bas après avoir clairement dit qu’il n’est plus dans les petits deals, les petites querelles, le « njuuj njaaj », après sa réélection, insistant sur un « dialogue national » qui n’a pas pu apaiser le climat politico-social.
Ce rendez-vous de la roublardise, du déshonneur est un signal malheureux lancé à tous ceux qui espéraient que le « retour du Premier ministre » était une occasion pour le président d’œuvrer exclusivement pour sortir le Sénégal de ses nombreuses difficultés accentuées par une ignorance des priorités, un pilotage-à-vue rendu plus remarquable par la pandémie de la Covid-19.
Si la suppression de la Primature n’a pas eu les effets escomptés, c’est qu’elle était sous-tendue par des considérations politiciennes. Macky voulait tout régenter à sa guise. Il s’est heurté à un mur. Aveu d’échec pour quelqu’un qui justifiait la suppression du poste de Premier ministre par une volonté d’avoir une prise directe sur son administration, pour « plus d’efficacité dans l’application des politiques publiques ». La nouvelle décision du chef est aujourd’hui expliquée avec beaucoup de peine sans convaincre. Tantôt ses collaborateurs évoquent une « crise aussi vaste et aussi grande que la pandémie de Covid-19 », tantôt ils soulignent le mandat de Sall à la présidence de l’Union africaine (UA) de 2022 à 2023.
On n’avait pas fini d’épiloguer sur l’audience de l’opprobre que Gaston Mbengue, un des soutiens du pouvoir, sort des bêtises qu’il assume. C’était sur Walf TV dans l’émission « Sortie » du dimanche 28 novembre 2021. En stigmatisant violemment les Dias qui ne seraient pas, selon lui, une centaine dans ce pays, donc facile à « supprimer », il honore son rang de promoteur… des imbécillités. Il est évident que la responsabilité du média diffuseur de ces graves débordements est entière. Heureusement que Gaston n’a pas reçu sa «prime à la bêtise», comme Djibril Ngom.
Ce qui ne va pas changer
Nous étions au summum de la consternation le 8 janvier 2023. On comptait nos morts à Sikilo, petite bourgade de Kaffrine située dans la commune de Gniby, dirigée par la députée Aminata Ndiaye qui porte fièrement le nom de cette ville rurale qu’elle a rendue célèbre du fait de ses retentissantes et iconoclastes interventions à l’Assemblée nationale et surtout de l’agression dont elle a été victime au sein même de l’hémicycle, le 1er décembre 2022. Les auteurs des sales coups : deux de ses collègues qui ont été arrêtés, emprisonnés, jugés et libérés. Curieux sort d’une Assemblée qu’on espérait de « rupture ». Nous étions en deuil. Même si les drapeaux ont été remis à leur place. Même si c’est la fin officielle du deuil observé du lundi au mercredi, le choc est toujours tenace. 41 morts. C’est terrible ! « Plus jamais ça », crient en chœur les populations. L’État a pris les devants. Des actes ponctuels et classiques comme la prise en charge des blessés, l’identification des morts. Des actes peu ordinaires bien de chez nous, comme la distribution d’argent, comme si nos autorités avaient voulu calmer le jeu avec ces enveloppes destinées même aux « victimes décédées », pour reprendre le mot du ministre des Transports, Mansour Faye.
Des mesures ont été prises pour mettre fin au désordre. Une simple prétention ou une remise au goût du jour de recommandations déjà faites depuis… Encore des engagements. Qu’est-ce que tout cela va donner après tant de bruits, tant d’indignation face à une douleur indicible ? Si les recommandations du Conseil du 9 février 2017 étaient appliquées, on n’assisterait peut-être pas au tragique drame du 8 janvier 2023. Il y avait une mesure forte comme l’immobilisation et la mise en fourrière de tout véhicule en circulation dont le propriétaire n’a pas présenté son véhicule à la visite technique, sans motif valable, à l’expiration du délai. Il y avait aussi l’interdiction formelle de toute transformation de véhicule destiné au transport de marchandises en véhicule de transports de passagers. Ainsi qu’une « tolérance zéro » qui devait être appliquée aux surcharges de personnes et de bagages pour l’ensemble des véhicules. La liste n’est pas exhaustive. Il fallait agir vite et bien en dépit des pressions. Ce n’était hélas pas le cas. Il faut impérativement agir. Mais, on a bien peur que ces solutions envisagées connaissent le même sort que celles qui les ont précédées : le manque de suivi et de rigueur dans leur application. Nous en avons de multiples preuves. Une preuve : les anciens occupants du parking du stade Léopold Sédar Senghor sont presque tous de retour. Badauds, laveurs de voitures, mécaniciens… vendeurs, ordures, moutons ont repris leurs places dans un beau désordre. Quand on pense encore aux efforts immenses déployés pour les « chasser », il n’y a pas longtemps, on se rend compte que nous sommes forts en « fuurël », ce tape-à-l’œil en vogue au Sénégal.
Besoin de sérieux
Nous avons besoin de sérieux, de rigueur. Et ces qualités ne doivent pas être saisonnières. Elles doivent guider nos actions quotidiennes. C’est pourquoi, elle est impérative, cette introspection véritable qu’on attend désespérément. Après le «deuil national», il nous faut un « duel national », comme nous le suggère non sans pertinence le Professeur Aly Tandian. Il nous faut une introspection, un « face to face », « les yeux dans les yeux », identifier ce qui ne va pas dans nos faits et gestes de tous les jours. «Seulement, je me demande, ce que le naufrage du Joola ne nous a pas appris, est-ce que l’accident de Sikilo (6 kilos) va nous l’apprendre ? J’en doute », estime ce sociologue enseignant à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. Doute légitime. Les drames provoqués se poursuivent. Il faut aller au-delà des incantations et des rencontres comme les conseils interministériels qui entrent dans le domaine du « déjà entendu », du « déjà vu ». Des interrogations ajoutées aux sombres perspectives politiques au point que le Pr Kader Boye, ancien recteur de l’Université Cheikh Anta Diop, ancien doyen de la Faculté des Sciences juridiques et politiques de l’Ucad, prenne sa plume pour mettre en garde le président de la République. Sur le mandat : « Le vacarme assourdissant alimenté par divers groupes agissant en proximité ou à l’intérieur du pouvoir, et sans retenue, sur ou autour de la validité d’un 3e mandat du Président Sall en 2024, a de quoi surprendre et inquiéter », écrit-il. « ll faut faire attention. Le Sénégal n’est pas la Guinée. Et le Président Sall peut se frayer une sortie autre que celle d’Alpha Condé. Il est face à son destin. À lui de choisir : ou imposer l’épreuve de force où il a tout à perdre, ou se hisser au rang de garant de l’unité nationale… ». Sall a renoncé au « mandat » mais Boye est revenu à la charge. Son constat dans un texte publié le 31 août 2023 dans Sud Quotidien est sans ambages : « Depuis qu’il a accédé au pouvoir, le Président Macky Sall, en rupture avec ses prédécesseurs, a mis en œuvre une politique qui s’inspire de l’autoritarisme, voire plus, qui a pour finalité, comme il a eu à le dire lui-même, « de réduire l’opposition à sa plus simple expression ». Celle-ci a pour corollaire de réduire le périmètre de l’état de droit en remettant systématiquement en cause un ensemble de droits et libertés garantis aussi bien par des instruments juridiques internationaux signés et ratifiés par le Sénégal comme le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (signé le 6 juillet 1976 et ratifié le 13 février 1978), que par nos différentes constitutions, dont la dernière en date de 2001 ».
Une démocratie malade, un fascisme à son chevet
«En tout, l’excès est un vice ». Nos autorités n’ont certainement pas compris le sens de ces mots de Sénèque. Sinon, elles se garderaient de répéter les mêmes erreurs qui ont participé à anéantir leurs prédécesseurs. Décembre 2022, en jetant Pape Alé Niang en prison, pour divulgation d’informations… non rendues publiques par l’autorité compétente de nature à nuire à la défense nationale, recel de documents administratifs et militaires, de diffusion de fausses nouvelles de nature à jeter le discrédit sur les institutions publiques, elles ont emprunté la voie de la radicalité. Elle ne nécessite aucune intelligence et laisse peu de place à la mesure. Nous abhorrons toutes les irresponsabilités. Mais cette voie de la passion démesurée n’engendre que la détestable arrogance qui arrose tous les défauts et éteint la sérénité. Il y a beaucoup de prisonniers retenus pour des insignifiances, des puérilités. Le Sénégal, qui revendique un certain rang démocratique, est dans une infantilisation du « moins pire des systèmes ».
Flash-back. Le 17 octobre 2005, les forces de l’ordre débarquent de façon spectaculaire au groupe Sud Communication. Vingt-quatre employés sont brutalement arrêtés et les émissions de Sud FM interrompues. Le pouvoir de Wade reprochait à cette radio d’avoir diffusé une interview du chef rebelle Salif Sadio. À l’époque, les mêmes termes aussi vagues ont été employés dans le seul but de « corriger » des journalistes qui n’ont fait qu’informer des Sénégalais assoiffés de savoir. Un an avant, en juillet 2004, le directeur de publication du journal Le Quotidien, Madiambal Diagne, a été emprisonné pour avoir publié un rapport du Haut Conseil de la magistrature du Sénégal. Le document en question contenait des protestations de juges qui affirmaient « avoir subi des pressions et reçu des directives de la part de plusieurs autorités sénégalaises ». La forte mobilisation de l’époque contre le « Monstre » a poussé le pouvoir issu de la première alternance en 2000 – qui gardait encore sa popularité – à lâcher du lest. L’entente au sein des acteurs des médias était une réalité. La force de frappe n’en était que plus efficace. Le Syndicat des professionnels de l’information et de la communication sociale (Synpics) gardait encore toute son influence. Une aura perdue depuis belle lurette précisément en 2014 quand le syndicat des journalistes n’a même pas daigné publier un communiqué pour dénoncer l’inculpation et le placement sous mandat de dépôt de Félix Nzalé, alors directeur de publication de La Tribune, pour seulement un article faisant état de la présence de « cinq cas d’Ebola au Sénégal ».
Et le journalisme n’avait pas perdu de sa superbe comme aujourd’hui où il est chahuté du fait de pratiques malsaines qui le rendent si moche. Et puis un certain constat, une certaine perception démontrent que l’irrévérence qui avait participé à la chute d’Abdou Diouf, de mise sous Abdoulaye Wade, a cédé la place à une certaine mollesse sous Macky Sall. Celui-ci s’est attelé à tout faire pour neutraliser les « grandes gueules » qu’Idrissa Seck avait qualifié de « dames… de compagnie ». Les premiers actes de Macky-président indiquaient clairement sa voie. La nomination comme PCA de la Radio Télévision du Sénégal (RTS) de Ndiogou Wack Seck, connu pour ses excès et ses insultes quand Il est midi, du nom de son fameux journal, a été un symbole fort. Dès lors, le choix de responsables de son parti à la tête des médias publics comme la RTS, au Soleil et à l’Agence de presse sénégalaise, n’était qu’une logique de cette volonté d’accaparement et de « maîtrise » du secteur vulnérable des médias dans leur entièreté. Mais, si l’on y regarde de près, le malaise et la crise dans le secteur aussi stratégique de la presse sont une conséquence du « mal démocratique » régnant. « Faites attention, quand la démocratie est malade, le fascisme vient à son chevet mais ce n’est pas pour prendre de ses nouvelles », écrit Albert Camus dans La Chute…
Sall, qui rêvait de réduire l’opposition à sa plus simple expression, était conscient qu’il fallait avant tout étrangler la presse libre en usant du bâton et de la carotte. La presse sénégalaise n’est plus ce qu’elle était. Mais les paradigmes ont tellement changé. Les embardées des jeunes générations avec leurs travers et leurs charmes résistent à ce désir d’être omnipotent. Le Net et Facebook grouillent de leurs impatiences. Ils ne feront pas à Macky Sall un chemin sans épines, avait prédit en mars 2012 le défunt brillant fondateur et éditorialiste du Point Claude Imbert. Sall venait alors d’être élu. Aujourd’hui, il ne rate aucune occasion pour vitupérer des médias… sociaux dont le bien et le mal sont inséparables. Peine présidentielle perdue !
Presse coupée
Une télé coupée, une chaîne de télévision éteinte. Des journalistes arrêtés, des activistes bâillonnés. Trop d’abus. Mais on n’avait jamais imaginé une si lourde peine sur un organe de presse au Sénégal jadis « fable démocratique ». Un mois de suspension. La raison devait être grande et visible comme un nez. Non, manifestement, seul le ministère de la Communication est au courant de la faute de Walf TV. Nous étions nombreux à suivre la couverture des événements liés à la condamnation d’Ousmane Sonko. Nous étions nombreux à suivre Walf TV et toutes les autres télévisions. Nous sommes si nombreux à n’avoir vu aucun dysfonctionnement, aucune bêtise, aucune faute professionnelle dans la manière de relater les faits de juin 2023. Walf TV a fait comme tous les autres organes locaux qui s’intéressaient à cette actualité brûlante.
C’est pourquoi la suspension de son signal a été une surprise à bien des égards même si cette télé est habituée à subir un tel sort. En février-mars 2021, Walf TV et la Sen TV avaient été suspendues. C’était inédit mais on n’a pas remarqué l’indignation qui devait être de mise après une telle forfaitaire démocratique. Qui aurait cru que ce serait possible un jour au Sénégal ? C’est sans surprise, peuvent rétorquer beaucoup de Sénégalais qui voyaient venir. À grands pas, à pas appuyés, les libertés de la presse sont restreintes de plus en plus. Le syndicat des journalistes est très peu audible. La corporation dans son ensemble est divisée. Il est si facile de vaincre une écurie disloquée dont les membres se regardent en chiens de faïence. Nous sommes tous menacés. Nous sommes à terre…
Un PM si loin des premiers rôles…
Amadou Ba, Premier ministre du Sénégal, occupe-t-il entièrement son poste ? La réponse peut être négative si l’on sait que, depuis sa nomination le 17 septembre 2022, il se montre discret, taciturne, ne fait aucune vague. Un profil… bas qui donne raison à ceux-là qui sont convaincus qu’il a du mal à jouer son véritable rôle dans un « gouvernement de combat » dont les objectifs sont peu clairement identifiables. Une option voulue ou imposée par un président de la République qui a longtemps entretenu le flou sur une candidature en 2024 ? Macky Sall semblait mettre une croix sur les raisons qui l’avaient poussé à faire revenir le poste de Premier ministre (le 10 décembre 2021), supprimé après sa victoire au premier tour de la présidentielle de 2019. Le président de l’Union africaine (UA) comptait prendre « à bras-le-corps » un mandat qui devrait lui « prendre beaucoup de temps », comme il le confiait à France 24.
« Avec toutes ces crises annoncées, je ne pourrai pas m’occuper au quotidien du Sénégal. Or, le Sénégal, il faut s’en occuper au quotidien », laissait entendre le chef de l’État. Mais le temps, anormalement long, pris pour choisir un PM, laissait entrevoir un changement de perspectives. Les résultats des élections locales avec des déconvenues notées dans le camp présidentiel dans certaines localités stratégiques comme Dakar, Thiès, Ziguinchor, Kaolack, ne sont pas étrangers à cette « lente précipitation ». Il fallait donc attendre les législatives du 31 juillet 2022 pour trouver le nom de celui qui devait renfiler le costume de PM. Bâ, qui a été convoqué « à la dernière minute », selon ses propres explications servies au Palais le jour de sa nomination, est certainement conscient qu’il revient… de loin. Ministre de l’Économie et des Finances, de septembre 2013 à avril 2019, soit cinq ans, il a été « migré » au ministère des Affaires étrangères pour six mois avant d’être « défenestré » le 1er novembre lors de la formation du gouvernement marquée par l’entrée des ministres de Rewmi après le ralliement d’Idrissa Seck. Une traversée du désert de presque deux ans, gérée de « façon diplomatique ».
L’une des particularités d’Amadou Ba est cette capacité de savoir « souffrir et manœuvrer en silence », un flegme utile dans une jungle politique complexe. Le PM « joue le jeu » en se « faisant tout petit ». Son mentor ne lui offre aucune chance d’être sous les lumières. Sall gère le « pays au quotidien ». Les principales mesures prises depuis le retour de la Primature, à l’image de la baisse des prix de certaines denrées, portent d’abord sa signature. Abdou Karim Fofana, son ministre du Commerce, par ailleurs porte-parole du gouvernement, se charge de la communication et du « service après-vente ». Le PM n’inaugure même pas les chrysanthèmes. Il assure les seconds rôles et se veut manifestement stoïque. Ce style, c’est l’homme Amadou Ba, un mélange de persévérance, de cynisme et de petits calculs dans la lecture d’une situation politique alambiquée. En attendant son heure ?
Le 17 novembre 2023, le quotidien Bés Bi nous informait que, deux mois après sa nomination, le Premier ministre n’avait ni bureau ni cabinet constitué. Un « collaborateur et proche » de Ba avait démenti… sans vraiment démentir. En s’exprimant sous le sceau de l’anonymat à Jeune Afrique, il cache mal une certaine gêne. Pour une information de cette envergure, les services de la Primature étaient plus habilités à apporter des éclairages à visage découvert. Le Premier ministre l’a sans doute voulu ainsi. Il montre vaille-que-vaille que tout se passe bien comme « dans le meilleur des mondes possibles », qu’il se plaît au « Petit Palais » qui a « un avantage de taille, puisque le chef du gouvernement peut se rendre très vite au palais présidentiel en cas d’urgence sans être bloqué dans les embouteillages », pour reprendre ce collaborateur. Le camouflage, synonyme de manque de courage, selon les mauvaises langues, lui allait bien… jusqu’ici.
Carnet de voyage au Mali, destins liés
Les Maliens sont résilients. C’est la première impression qui saute à l’œil quand, en ce début du mois de mars 2023, je « foule le sol » de l’aéroport international Modibo Keïta Sénou, à une vingtaine de kilomètres au sud du centre-ville de Bamako. L’endroit n’est pas très animé, mais il vit. Il vivote, m’explique un des nombreux courtiers et autres marchands « ambulants » qui s’activent dans le petit commerce ou les échanges de devises. Une atmosphère chaleureuse à 38 degrés à l’ombre. Vers la ville, les motos sont remarquables, comme c’est le cas aujourd’hui, dans presque toutes les villes africaines. Bamako et Ouagadougou, la capitale burkinabè, n’ont plus le monopole des « deux roues ». Ici, il y a une discipline relative, une certaine volonté d’organisation, même si les conducteurs, conductrices et passagers sont souvent sans casques de protection.
Le pont qui enjambe le fleuve Niger, appelé ici Djoliba, illustre ce besoin d’ordre et de discipline. Les motos ont leur « chemin », bien différent de celui des automobiles. De Sénou à Darsalam, précisément à l’avenue Van Vollenhoven, en passant par Koulouba, le palais présidentiel haut perché sur une colline, s’écoule un trafic intense mais maîtrisé.
Si Dakar a son « Plateau », la partie la plus importante de la capitale où se trouvent notamment la Présidence, l’Assemblée, le siège du gouvernement, Bamako a ses collines. L’une abrite le palais présidentiel, l’autre l’université. La « colline du pouvoir » face à la « colline du savoir ». Koulouba et Badalabougou sont séparées par le fleuve Niger. Les deux espaces ont été toujours marqués par des heurts.
Le président de la Transition, l’énigmatique Assimi Goïta, locataire de Koulouba président du Comité national pour le salut du peuple (CNSP), nous apprend-on, est plus attiré par Kati, impressionnante ville-garnison, camp militaire Soundiata Keïta qui abrite également le Prytanée militaire de Kati, « frère » du Prytanée militaire de Saint-Louis.
Que de ressemblances entre le Sénégal et le Mali séparés par une frontière, liés par l’histoire et le sang, les us, les coutumes, les noms, les prénoms. La Diatiguiya malienne répond à la Téranga sénégalaise. Sabalibouga, le plus grand marché du Mali, ressemble trait pour trait à celui du Sandaga d’antan à Dakar. Il est bruyant, dans un charmant désordre à l’image de son « jumeau » qui attend de renaître de sa démolition. Wolofobougou-Bolibana, commune 5 de Bamako, peut être considéré comme le pendant de Mbambara à Thiès. Un quartier sénégalais au Mali et un quartier malien au Sénégal. Le train Dakar-Bamako, les rails ont été sans nul doute à l’origine de cette caractéristique.
Hélas, le train est mort. Les bureaux de la régie des chemins de fer du Mali sont fermés et la gare ferroviaire presque abandonnée. Sinistre ambiance, à notre passage. Très éloigné le temps où le lieu grouillait de monde avec la liaison ferroviaire qui était un véritable liant. L’interdépendance entre les deux pays est d’une réalité touchante. Si le Mali tousse, le Sénégal s’enrhume. Et le Mali a toussé.
En dépit de la résistance et de la résilience, les contrecoups de la crise sécuritaire combinée à une crise économique mondiale inédite sont visibles ici. Même si les apparences sont trompeuses. L’embargo infligé par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) – avec des mesures punitives prises le 9 janvier 2022, levées le 3 juillet 2022 – a eu des effets néfastes. Le Mali est le premier partenaire commercial du Sénégal. À charge de preuve : près de 23 % des exportations sénégalaises étaient destinées au Mali, selon l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD). Des statistiques du mois de janvier 2022. Nous sommes condamnés à nous donner la main.
Le Sénégal et le Mali avaient d’ailleurs « fusionné ». Entre 1959 et 1960, la Fédération du Mali a rassemblé le Sénégal et la République soudanaise (actuel Mali). Le temps d’une rose donc. Cette entente ne pouvait pas perdurer du fait des divergences dans les approches respectives entre Modibo Keïta d’une part et Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia d’autre part. Ce point de vue d’un Français rapporté dans le livre Ma vie de soldat, du capitaine malien Soungalo Samaké – un des auteurs du coup d’État qui a fait tomber Keïta – est caricatural certes mais ne manque pas d’intérêt. « Quand nous étions en Algérie nous avons appris que le Sénégal et le Soudan se sont regroupés pour constituer une Fédération, la Fédération du Mali dont le président est Modibo Keïta. Aussitôt, narre-t-il, un officier français est parti d’un grand éclat de rire. Je lui ai demandé pourquoi il rigolait ainsi. Il a répondu : « Mais c’est ridicule, c’est de la bêtise ; le Sénégal et le Soudan ? Je donne un an pour la durée de vie de cette fédération (…) N’allons pas loin. Prenez seulement l’exemple du Sénégalais Antoine Chambaz et de toi le Soudanais Soungalo Samaké. Diamétralement opposés. Chambaz joue à l’intello, au petit malin, Soungalo joue au gros nerveux et à la grande fierté. Ils ne s’entendent jamais. Le Sénégal et le Mali sont comme ça, je les connais ».
Aujourd’hui encore, la France a son « mot » à dire dans les relations entre les deux pays frères à la croisée des chemins. Dans l’immédiat : incertitudes chez nous à Bamako avec une junte qui se cherche. Incertitudes chez nous à Dakar, avec un pouvoir démocratiquement élu et réélu, qui tente de plus en plus le diable et qui a longtemps maintenu le suspense sur une troisième candidature crisogéne et d’autres velléités qui intriguent.
Livre Biais de Départ du journaliste Mame Ngor NGOM
Parution en Kiosques
Maderpost / Confidentiel Afrique