La CEDEAO retient son souffle depuis la désignation de Bassirou Diomaye Faye pour ramener à la maison les sécessionnistes à la suite de la formalisation, samedi 6 juillet 2024, de la Confédération des États du Sahel à l’occasion du Sommet de l’Alliance des États du Sahel précédant de 24 heures le 65e Sommet de la CEDEAO à Abuja tenu à huis-clos avec un retard de deux heures.
CEDEAO – Le Sommet de la CEDEAO auquel a participé le chef de l’État sénégalais a tenu moins de deux heures durant lesquelles Bola Tinubu, président du Nigeria, reconduit à la tête de l’organisation l’a « quasiment supplié » de ramener à la maison les membres égarés de la toute nouvelle confédération.
Cette désignation n’est pas fortuite. L’arrivée au pouvoir du tandem Diomaye/Sonko sans crépitements des armes, en dépit d’une forte tension politique au Sénégal et emprisonnement tous azimuts, et la même génération que le tandem partage avec les hommes forts des trois pays l’expliquent probablement.
Pourquoi Diomaye Bassirou Faye ?
Il n’en reste pas moins que c’est un choix-piège dont le Sénégal se serait bien passé, ce d’autant qu’il se fait au moment où les populations maliennes, burkinabé et nigériennes plébiscitent leurs « putschistes » de dirigeants, estimant qu’ils ont marqué à travers la Confédération un « tournant historique ».
Un point de vue que ne partagent pas certes les présidents des désormais 12 de la CEDEAO attendant qui plus est et avec grand espoir, le Sénégalais réussir sa mission, mais que des Ouest-Africains applaudissent des deux mains, saluant le « courage » du Mali, du Burkina Faso et du Niger de rompre avec « machin-chose », notamment la CEDEAO, et de tourner le dos à la « Françafrique ».
Des Sénégalais n’en pensent pas moins, invitant leur président à penser d’abord aux intérêts nationaux et rappelant que le port autonome de Dakar, voire le port de Kaolack sont la porte d’entrée de l’économie malienne.
Pour ces Sénégalais, les enjeux économiques de l’axe Dakar/Bamako, l’énorme potentiel que permet ce corridor commercial, la sécurité aux frontières, la présence soutenue dans l’espace sous-régional de Moscou dont l’intérêt commercial, stratégique dans le cadre de la nouvelle géopolitique, militaire compte tenu du marché mis sur pied par la lutte contre le djihadisme, dictent une lecture lucide de la nouvelle situation et l’anticipation de toutes les éventualités et conséquences à venir. Ce, sans oublier la Turquie, en quête de leadership économique, financier, voire militaire et les BRICS aux portes desquelles frappe l’Algérie qui a aussi son idée sur les AES
D’un autre côté, Bassirou Diomaye Faye à qui son homologue burkinabé a rappelé, il y a quelques semaines, à travers une lettre de son ministre des Affaires étrangères, qu’il « regrettait » la manifestation organisée à Dakar par la coalition sénégalaise des défenseurs droits humains (COSEDDH) et Amnesty International, sait à quoi s’en tenir surtout après son retour de voyage en France d’où le contenu du déjeuner avec Macron n’a pas transpiré.
Pour dire les choses, cette demande de ramener les sécessionnistes au bercail est un cadeau empoisonné parce qu’il qu’il expose la diplomatie sénégalaise dont faut-il le rappeler l’axe un de la nomination est l’Intégration africaine. C’est tout son néo-savoir-faire qui est sollicité. Taille patron sur mesure pour Diomaye qui s’expose aussi bien dans son pays, dans la sous-région, qu’à l’international. Un test grandeur nature, s’il en est, digne de ses prédécesseurs Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf parmi les plus illustres en matière diplomatique.
Ainsi, désigné par ses pairs pour sauver les meubles, le président sénégalais devra assurer le « capital confiance » gagné de haute lutte dans son pays et respecté par ailleurs, d’une part, et d’autre part, rassurer les sécessionnistes arrivés au pouvoir par les armes contrairement à lui-même. Une différence sur laquelle nuance et fermeté s’invitent et s’imbriquent mais jusqu’où ? La corde est raide pourrait-on dire.
Mais de ce point de vue, sa légitimité lui donne un atout de plus que nul peuple n’ignore : la crédibilité par les urnes. Soit un autre capital important qui lui permettra de faire face aux chefs de l’États de l’AES, de les rassurer influencer, son dernier capital, sur des victoires possibles par la voie des urnes, notamment, si leurs projets sont souhaités par leurs populations.
Les défis ratés de la CEDEAO
Cela dit, Bassirou Diomaye Faye prend quand même la précaution de marteler à la CEDEAO qu’elle se doit de se donner un nouveau souffle si elle ne veut pas filer droit vers la désintégration. Un message dont la résonance appelle à la déconstruction des clichés accusant l’organisation de rouler pour les puissances étrangères. Sans compter les manipulations de constitution. A ce propos, le souverainiste sénégalais issu des urnes tient les mêmes propos que les Confédérés, voire partage les mêmes avis. Cette convergence de vues vis-à-vis de la CEDEAO est celle qui prévient justement la désintégration. Faut-il croire que le Sénégal du tandem Diomaye/Sonko est-il encore plus près des AES et de la nouvelle Confédération qu’on ne le croirait. La CEDEAO a de quoi retenir son souffle.
Incarnant et portant la nouvelle vision de la jeunesse africaine autocentrée et consciente de son dividende, – la sortie des jeunes Kenyans en attestent – le président sénégalais souverainiste inconditionnel fait bien de rappeler aux 12 que le retour des sécessionnistes dans la Communauté ne pourrait s’envisager qu’avec des gages de changement de paradigme dans la CEDEAO. Mais de quoi est-il possible aujourd’hui dans une CEDEAO dont les faiblesses se sont montrées au grand jour.
S’il est vrai que les 400 et quelques millions d’Ouest-Africains ont bénéficié de liberté de mouvement dans l’espace, ont commencé à percevoir des avantages du marché commun, il n’en reste pas moins que la Communauté réunit les pays parmi les plus pauvres au monde, en dépit de gigantesques richesses minières, d’énormes potentiels agricoles, de grands cours d’eau, etc.
Avec une superficie totale de 5 113 000 km2, la CEDEAO couvrait 16,8% du continent africain. Les deux pays les plus grands sont le Mali et le Niger, plus de 1 240 000 km2, suivis du Nigeria, avec 924 000 km2. Viennent, ensuite, 7 pays, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, la Guinée, le Ghana, le Sénégal, le Bénin et le Togo, dont la superficie est comprise entre 111000 et 322 000 km2.Trois autres Etats, la Sierra Leone, le Togo et la Guinée-Bissau, ont une superficie allant de 36 000 à 72 000 km2. Restent deux autres Etats ayant une superficie beaucoup plus modeste, allant de 11 000km2, la Gambie, à 4000 km2, le Cap-Vert. Désormais, c’est compter sans le Mali, le Niger et le Burkina Faso.
La faiblesse du taux de croissance, en dépit de ressources naturelles, diverses et abondantes, souvent non exploitées ou sous-exploitées, l’absence de valorisation de l’agriculture, le manque d’investissement dans l’énergie, dans les infrastructures routières, ferroviaires, la faiblesse de l’alphabétisation, du développement humain, la corruption, les tripatouillages de constitutions, le terrorisme et autres conflits sont autant de défis revendiqués par les néo-Confédérés et ratés par la CEDEAO.
Maderpost / Charles Faye