Acteur principal de la première alternance politique à la tête de l’Etat sénégalais, le président Abdoulaye Wade suscita un grand espoir de changement de mœurs politiques, de plus de démocratie et de transparence, après 40 ans de règne d’un Parti socialiste devenu impopulaire, malgré le système politique pluraliste. Celui qui s’était opposé pendant 26 ans avant d’accéder à la magistrature suprême géra cependant le pays et son parti comme son patrimoine en étant la « seule constante », s’abandonna dans une présidentialisation accrue du pouvoir, anoblit la transhumance, mit très souvent les institutions en question et s’enferra dans un projet de « dévolution monarchique » du pouvoir avant de passer la main, suite à l’échec d’une troisième candidature à la magistrature suprême. En emportant avec lui l’espoir d’une consolidation du système démocratique par le retrécissement de l’extrême concentration des pouvoirs entre les mains du Chef de l’Etat.
TRIBUNE – Le 19 mars 2000, quand Maître Abdoulaye Wade arrive au pouvoir à 74 ans, il avait atteint toutes les majorités. L’appui massif de l’opposition qui est allée le chercher à Paris à la veille de l’élection, aida à faire basculer le Sénégal dans l’alternance.
Désargenté, il fait sa campagne électorale au rythme de « la marche bleue », au cours de laquelle il culmine dans le port de bretelles (un accessoire vestimentaire que les suiveurs ont copié), les doigts en V de la victoire. Improbable télégénie de la tradition « zazou » et de l’espoir. Contemporain de ces générations de l’après deuxième guerre mondiale, il pensait mordicus que sa génération avait conduit les pays africains à la ruine et qu’il était de son devoir de réparer cette faute.
De Senghor à Diouf, il avait traversé des périodes de complicité avec ses prédécesseurs. Excluant de façon régulière ses principaux lieutenants dans sa marche vers l’Avenue Roume, il a géré son parti comme son patrimoine en étant la « seule constante ». Comme Sisyphe il a toujours remis l’ouvrage sur le métier et a opéré dans le pays, après des absences régulières plus ou moins longues, des retours spectaculaires, refusant ainsi d’être confronté à son propre effacement. Un réflexe chez lui.
Le titre d’opposant qu’il avait porté pendant 26 ans, il le devait à Senghor, pas peu fier d’inaugurer en Afrique, le multipartisme. Dès ce moment, Abdoulaye Wade fait de la rue son bastion et son tréteau, pendant un quart de siècle. Son habilité, sa ruse, très tôt décelées par Senghor, l’ont fait assimilé à « leuk-le-lièvre ».
Son ascension fut longue. Il lui fallut beaucoup d’opiniâtreté, de ténacité pour être élu sur la promesse de ramener le prix du riz à 60 francs le kilo, de régler le problème casamançais en 100 jours, de trouver du travail à tous ces jeunes qui avaient levé la main lorsqu’il avait demandé qui n’en n’avait pas. Pour certains, Abdoulaye Wade était l’évidence même, parce qu’il est un autre homme. Celui qui prendra le Sénégal à pleine main, comme le boulanger travaille sa pâte, la malaxe, la pétrit pour lui redonner une forme humaine après tant d’années perdues dans les calamités socialistes.
L’alternance de 2000 a été un grand espoir, après 40 ans de règne d’un Parti socialiste devenu impopulaire, même s’il avait maintenu le Sénégal dans la paix et organisé un système politique pluraliste, ce qui était une « curiosité », sinon une exception dans cette partie de l’Afrique.
La conquête
De Maître Wade, tout a été étudié : l’espoir incarné par le « sopi », celui d’un espoir de changement de mœurs politiques vers plus de démocratie et de transparence, les détours de la construction du pouvoir politique de l’alternance qu’il a incarnée, les malentendus qui ont balisé la composition de la coalition qui l’a fait élire et qui a été mise au ban, l’exercice du pouvoir et sa confiscation, ses interventions multiples et intempestives, les institutions mises très souvent en question, les nouveaux adhérents, ces transhumants, les féaux, le projet de « dévolution monarchique », son fils Karim, incarnant cette singulière aventure familiale qui a donné la trame d’une tragédie politique unique, le spectre des images de la vieillesse perçue comme un éventail de pertes.
Dans l’opposition, il ne se voyait jamais vaincu des suffrages. En majesté, tous pouvoirs en main, régnant sur un peuple acquis à sa cause et une Assemblée nationale à sa botte, il continue de plonger dans des batailles procédurières face à des juges, surtout ceux du Conseil constitutionnel.
Une fois arrivé au pouvoir, il ne s’étouffa pas de principes et se montra plus politicien qu’homme d’Etat. Comme Appolon, il disperse la nuit et accompagne la course du soleil. « L’homme le plus diplômé du Caire au Cap » apporte la modernité, la force même en faisant fi de toutes les résistances.
L’ascension de Abdoulaye Wade et de son parti, le PDS, s’est faite graduellement. L’homme a bâti sa carrière sur une cuirasse. Increvable. Aux élections présidentielle et législatives de 1978, Senghor est déclaré vainqueur avec 82% des suffrages et Wade est crédité d’un peu plus de 17%. Mais ce qui est d’une toute nouveauté, c’est qu’à l’Assemblée nationale, l’Union Progressiste Sénégalaise (UPS) devenue Parti socialiste pour la première fois dans l’histoire politique du pays, partage désormais les sièges avec un parti d’opposition.
Cinq années plus tard, en 1983, les élections présidentielle et législatives « débrident » Abdou Diouf, qui en en sortant vainqueur, n’est plus « l’homme de Senghor » arrivé à la tête du pays par une technique constitutionnelle. Entre temps, l’Assemblée nationale est passée de 100 à 120 députés. Le Parti socialiste au pouvoir obtient 111 sièges, le PDS 8. A la proclamation des résultats, l’étendue de la victoire du PS fit hurler l’opposition qui accuse le parti au pouvoir de fraudes massives.
Communicateur talentueux, Abdoulaye Wade lance, en février 1988, à quelques jours de la présidentielle, le journal Sopi. Ce n’était pas la première fois qu’il créait un journal. A ses débuts dans l’opposition, il publie en juillet 1974, le « Démocrate » qui cesse de paraitre en 1979. Puis, Takussan voit le jour en 1983, pour dit-il, « équilibrer » le Soleil, le quotidien progouvernemental.
Aux élections présidentielle et législatives du 28 février 1988, la bipolarité PS/PDS se confirme et Abdoulaye Wade continue à creuser sa voie : Abdou Diouf 73,20% et Abdoulaye Wade, 25,80%. A l’Assemblée nationale, le rapport de force est encore inégal : 103 sièges pour le Parti socialiste, 17 au PDS.
Les résultats proclamés sont suivis de manifestations monstres qui firent prendre à Abdou Diouf, la décision d’instaurer l’état d’urgence sur toute l’étendue de la région de Dakar et le couvre-feu à partir de 21 heures. Abdoulaye Wade, quelques-uns de ses proches, ainsi que Amath Dansokho et Abdoulaye Bathily furent arrêtés. La tension était si forte que le 4 avril, jour de l’anniversaire de l’indépendance, la fête fut réduite à une prise d’armes. Abdou Diouf remanie son gouvernement sans tenir compte des manifestations post-électorales.
Le procès de Maître Wade s’ouvre le 21 avril 1988 dans une ambiance d’extrême tension et devant une opposition remobilisée à bloc. Abdoulaye Wade s’était déclaré élu des Sénégalais avec 56% des suffrages et récusait toutes les charges retenues contre lui, contre ses collaborateurs et contre ses alliés.
Au terme du procès, et après des médiations, une libération graduelle de Wade et de ses alliés favorise un rétablissement de l’ordre social et politique, même si l’opposition réunie au sein de la Conapco, continue à contester la régularité de l’élection présidentielle, demande l’organisation de nouvelles élections, la réforme du code électoral, l’accès aux médias d’Etat… Le souci de pacification présageait la cooptation de l’opposition et l’entrée de Wade dans un « gouvernement de majorité présidentielle » en 1991.
Un nouveau code électoral est adopté en 1992, mais qui, à terme n’a rien changé aux élections de 1993. Au contraire, elles sont les plus contestées. Tout le monde en prend pour son grade : le pouvoir, l’opposition, les magistrats en charge de l’arbitrage car les fraudes sont manifestement opérées par tous et dans tous les camps.
Le contentieux traine en longueur. Dans la foulée, Kéba Mbaye, le Président du Conseil Constitutionnel démissionne et son Vice-président assassiné le 15 mai, donnant ainsi lieu à de nombreuses polémiques. Plusieurs personnes dans le camp du PDS sont arrêtées suite à ce meurtre dont le mobile semble politique. Diouf sort vainqueur de cette élection et Wade réalise son meilleur score mais reste, avec l’opposition sur l’exigence de la création d’un observatoire des élections.
Malgré le spectre du magistrat assassiné, Wade revient en 1995 jusqu’en 1997, dans le gouvernement de Habib Thiam. Il y occupe le même poste de ministre d’Etat auprès du Président de la République, sans domaine de compétence, occupé à ce qu’il sait faire : la politique. Était-il contraint d’accepter les règles du jeu tout en contestant ceux qui mènent le jeu ?
En 1997, deux généraux de l’Armée sont nommés. Lamine Cissé, ministre de l’Intérieur, chargé d’organiser les élections législatives de mai 1998 (il aura les mêmes charges lors de l’élection présidentielle de 2000) et Mamadou Niang, à qui la présidence de l’ONEL est confiée, qui met un point d’honneur à procéder à la vérification du fichier électoral. Ce casting avait sorti le pays des débats et « arbitrages » de politiciens retors et des violences postélectorales de 1983, 1988 et 1993. Les règles du jeu étaient devenues un peu plus transparentes, les composantes politiques et la gouvernance de l’administration plus rassurantes dans le système démocratique en construction. Sous l’Etat de droit, se profilait une alternance qui naitra de la nécrose puis de l’implosion du Parti socialiste, suite à la mise en orbite de Ousmane Tanor Dieng.
Déséquilibres
Mars 2000. Les premières actions de Me Abdoulaye Wade après la « marche bleue » triomphale, donnent le ton d’une présidentialisation accrue du pouvoir, centrée autour de l’allégeance personnelle au nouveau président.
Le 1er avril, lors de sa prestation de serment, il fait passer l’hymne national officiel par-dessus les murs du stade Léopold Sédar Senghor et fait faire résonner son « hymne à l’Afrique », parce que avait-il soutenu, le « pincez tous vos koras », dont les paroles avaient été écrites par Senghor, était rythmé sur la musique de « Printania », une chaine française de supermarchés, tout en insistant sur la nécessité de se focaliser sur le travail pour développer le pays : « Il n’y a pas de secret. Il faut travailler. Beaucoup travailler. Toujours travailler ».
Or, c’est sans doute dans cette perspective que le rêve de changement a le plus déçu. Le régime de la première alternance s’est inscrit dans une remarquable continuité par rapport aux lignes de force du système politique sénégalais antérieur, en en amplifiant tous les travers.
En janvier 2001, Maître Wade organise un référendum, (le 3ème depuis l’indépendance), qui pose les jalons des législatives anticipées d’avril 2001. Le référendum proposait, dans ses grandes lignes, de réduire le futur mandat présidentiel de 7 à 5 ans, d’élargir les prérogatives du Président de la République qui peut désormais, dissoudre l’Assemblée nationale.
Il ne faut pas oublier que l’une des revendications de l’opposition qui vient d’accéder au pouvoir, a été la mise en place d’un « régime parlementaire ». Le débat institutionnel se trouve ainsi d’emblée placé au cœur du projet politique des nouveaux gouvernants.
La nouvelle Constitution est adoptée, dont on escompte qu’elle évitera les dérives de l’ancienne. Le nombre de députés passe de 140 à 120. Le Sénat est supprimé – il sera rétabli en 2007 –de même que le Conseil économique et social. La présidentialisation poussée passe par la marginalisation du Premier ministre, ramené au poste de super directeur de cabinet. Dans une ferveur primatoriale, il en a nommé six en douze ans.
En comparaison, Senghor en a eu deux en 20 ans (si Mamadou Dia est considéré comme tel), Abdou Diouf, trois en vingt ans, et Macky Sall, cinq en douze ans). La Constitution de 2001, qualifiée de meilleure que ces devancières, était une illusion.
L’illusion qu’il suffit d’avoir de bons textes pour avoir une bonne pratique des institutions. Comme jamais dans notre histoire, notre Loi Fondamentale n’a paru aussi compromise dans des querelles partisanes, voire personnelles. Entre 2001 et 2012, elle a été modifiée quinze fois (la seizième n’ayant pas abouti). Elle perd de sa solennité, tant les réformes de circonstances en ont tué sa majesté.
Si l’objectivité commande de reconnaître que certaines révisions ont pu procéder d’une vision au service de l’approfondissement de la démocratie, on doit admettre que d’autres changements ont, au contraire affaibli l’Etat de droit dont la stabilité constitutionnelle peut être la marque.
En juin 2007, fait inédit dans une République, il fait jurer le nouveau gouvernement mis en place après sa victoire au 1er tour de la présidentielle ce qui avait amené beaucoup d’observateurs à dénoncer une personnalisation accrue du pouvoir, centrée sur l’allégeance au chef de l’Etat.
Cette décision de faire prêter serment n’était pas seulement anecdotique, ni folklorique. Loin de là. Elle aggravait très sérieusement les déséquilibres d’un système que Wade qualifiait de dangereux, avant lui. Avec lui, il le sera tout autant. Sinon plus.
Un pouvoir économique et financier s’était constitué en dehors des sites légitimes de l’exercice du pouvoir : l’administration et les assemblées représentatives.
Il s’est aussi arrogé le privilège de choisir et de marquer de son empreinte, voire de son nom, un Monument de la Renaissance africaine, révérence et référence aux antiques mégalomanies de tous les tyrans de l’histoire. Sous prétexte qu’il en est l’auteur, il récupère 35% des recettes touristiques générées par le Monument.
A cela, il faut ajouter les opérations foncière et financière opaques ayant permis l’édification du monument. Sa recherche obstinée d’une historicité « restaurait » t-elle la continuité avec le Poète-président ?
Il est important de rappeler que Wade avait, sous les yeux d’un Abdou Diouf présent sur les lieux des funérailles de Senghor qu’on venait enterrer à Dakar, mais qui ne brilla que par son silence, littéralement récupéré, « l’héritage senghoriste ». On peut insérer dans ce même chapitre, le Festival mondial des Arts nègres (le 1er avait été initié par Senghor en 1966) qui n’était pas un projet du peuple sénégalais mais la volonté du président lui-même.
Pour son égo, la relecture de la mémoire coloniale l’amène à une orchestration, une mise en scène autour de lui-même, de son panafricanisme, de sa culture populaire, les valeurs du mouridisme. Il propose une réforme territoriale qui érige les départements en provinces et baptise les collectivités selon les « réalités historiques du pays ». N’ayant trouvé un écho favorable ni dans la presse, ni un accord des populations concernées qui ne se sont pas entendues sur le nom des différentes provinces, le projet fut vite enterré.
La statue de « Demba et Dupont » qui trônait en face de l’Assemblée nationale, puis remisée par Abdou Diouf, a été ressuscitée lors de la commémoration de la « Journée du Tirailleur », lancée en pleine polémique sur la « cristallisation des pensions » tenue par d’anciens combattants de la Deuxième guerre mondiale. Il en profite pour capitaliser les revendications des concernés, et entendait immortaliser et réhabiliter leurs efforts de participation des Tirailleurs à la libération de la France de l’emprise de Hitler.
Si Senghor et Diouf s’étaient laissés aller par opportunisme politique, aux liaisons avec les pouvoirs religieux, ils ne se sont pas moins soucié des équilibres de la République et se sont gardé d’abjurer leur serment de fidélité à l’Etat. On pourrait penser que c’est un élément essentiel de la consolidation des bases de notre Nation. Abdoulaye Wade lui, par populisme a posé des actes attentatoires à la cohésion nationale, tenu des propos qui ont profondément choqué des composantes de la Nation, entretenu une attitude ostentatoirement confrérique et anti-laïque.
C’est un homme plein de contradictions et parfois dans une insondable démagogie marquée d’une forte instabilité par de fréquents changements de gouvernement. Mais quoiqu’on dise, c’est lui, Abdoulaye Wade qui a rompu une règle jusque-là observée par ses prédécesseurs. La nomination d’une femme au poste de Premier ministre. Il brise cette « tradition » jusque-là appliquée : le poste, depuis l’indépendance, avait été occupé par des hommes, de confession musulmane et de culture wolof.
Il a également fait réaliser un progrès notable : la suppression de la peine de mort. On lui doit l’instauration de la parité homme-femme dans les fonctions électives après que des résultats d’un plaidoyer dans ce sens lui a été soumis. Il s’est battu farouchement et son rôle a été décisif dans le débat relatif à la fracture numérique en Afrique.
Le 3 avril 2004, lors du traditionnel message à la Nation de la veille de la fête de l’indépendance, il propose une nouvelle forme non violente de revendication, s’inspirant « du modèle japonais » : arborer un ruban rouge en guise de protestation. Plus tard, il reprocha à ceux qui appliquaient la méthode à son endroit, d’en faire un usage abusif ! Il fait également adopter une loi octroyant le droit de vote des militaires. Si l’intégration des femmes au sein de la Police (1981), de l’administration pénitentiaire (1984) et de l’Armée sénégalaise s’est faite progressivement (intégration à l’Ecole militaire de santé en 1984), la mixité dans les casernes militaires a fait l’objet d’un décret en 2007.
Le Joola et la Casamance
En septembre 2002, la côte maritime sud du pays est devenue le funérarium de 1863 personnes de douze nationalités par le naufrage du bateau « le Joola », surchargé, qui assurait depuis 1991, la liaison maritime Dakar-Ziguinchor et retour. Le rapport d’enquête indiquait que « Le Joola ne disposait d’aucun titre de sécurité depuis 1996 et de navigation depuis 1998 ». En 2001, les avaries de propulsion et les arrêts techniques se multiplient et le bateau est mis en cale sèche pendant un an. Il reprend ses rotations en septembre 2002, malgré les doutes et les avertissements de journalistes-reporters, embarqués. Abdoulaye Wade manœuvre à tel point qu’en fin de compte, en aout 2003, l’Etat sénégalais décide de classer l’affaire sans suites pénales. La responsabilité du naufrage a été « portée » par le commandant du bateau, lui-même disparu au cours de ce même naufrage !
Une des promesses de campagne de Wade a été le « règlement du conflit casamançais en 100 jours ». Au pouvoir, il pose des actes forts : nomination d’un ministre des Forces armées issu du terroir, réception à Dakar de l’Abbé Diamacoune Senghor à qui il a rendu visite (ce que Diouf n’a fait qu’en 1999, soit 17 ans après le début de la rébellion). C’est en comptant sur l’assise déjà ancienne du PDS dans la région qu’il signe en 2001, un cessez-le feu, après trois autres paraphés sous Diouf, sans aucun effet, du fait essentiellement de désaccords internes au MFDC.
La crispation du pouvoir sur ce dossier avait amené le pouvoir d’expulser du pays, une journaliste française qui avait interviewé une faction hostile à Diamacoune.
En 2004, le délai des 100 jours largement dépassé, la signature d’un accord portant sur « la renonciation définitive à la lutte armée » par Diamacoune Senghor est remise en cause par l’aile dure du mouvement qui ne le considère plus que comme « président d’honneur » depuis le mois de septembre de la même année en raison de son « incapacité objective » à occuper des postes de direction opérationnelle.
Le texte, objet de la signature de 2004, avait été interprété par les observateurs comme le pari de Wade qui avait compris que c’est en développant économiquement la Casamance qu’il espérait pacifier cette région instable.
En effet le texte prévoyait l’engagement de 19 bailleurs de fonds internationaux à débloquer 94 millions d’euros pour financer la reconstruction des villages, la démobilisation des combattants et le déminage du territoire, la construction du quai du port de Ziguinchor…
« Le plus diplômé du Caire au Cap »
Pressé de mettre en œuvre ses innombrables projets, il se méfie des services de l’Etat, contourne les ministères en multipliant les agences ad hoc – 27 dans le gouvernement de novembre 2006 – et assouplit le fonctionnement de l’administration en l’informalisant. Au plan politique et institutionnel, il fait preuve d’un zèle dévastateur au point de nourrir des controverses quant à sa participation à la présidentielle de 2012, pour un 3ème mandat, légitimée par les juges du Conseil constitutionnel, tous nommés par lui.
Il investit aussi des chantiers géostratégiques en délogeant les bases françaises installées sur la presqu’ile du Cap Vert. Plus tard, on comprendra que ce n’était que pour des calculs fonciers.
Au plan sous-régional, et africain, il regarde de haut les chefs d’Etat ouest-africains avec qui pourtant il faut travailler pour continuer à construire la sécurité et l’espace économique de la CEDEAO et de l’UMOA.
Vexé de n’avoir été invité à la conception du Millenium African Plan (Map) aux côtés de l’Algérien Bouteflika, du Nigérian Obasanjo et du Sud Africain Mbeki, lui, « l’Africain le plus diplômé du Caire au Cap » propose un plan Omega. Plus tard, les deux plans sont fusionnés pour donner naissance au NEPAD. Au plan local, la GOANA est lancée en grandes pompes. Mais les improvisations sur des spéculations hasardeuses ont fait qu’elle a fait long feu.
La famille
Le premier mandat d’Abdoulaye Wade a vu l’émergence progressive de son fils Karim qui devient peu à peu, la figure incontournable de la gestion patrimoniale du pouvoir, ce qui préfigurait, pour quelques observateurs une succession héréditaire biologique. La préférence s’est faite à la faveur d’un double processus dans deux familles distinctes. Dans la famille nucléaire d’abord.
Sindjély, la fille est nommée conseillère de son père dans le domaine des arts, des sports et de la culture. Elle est très active dans la participation de son père au Sommet de Davos en 2001, et dans la Tanière des Lions du football lors de la Coupe du Monde en 2002. Pour la 3ème édition du Festival mondial des Arts Nègres, elle nommée déléguée adjointe. En 2013, elle est citée dans le rapport de l’Inspection Générale d’Etat et les 400 millions de francs injustifiés ont été miraculeusement remboursés à l’Etat du Sénégal.
Il y a ensuite la mère. Madame Wade, devenue, Madame la Présidente en 2000, dispose d’un cabinet faisant partie de la Présidence de la République. Elle s’investit dans l’éducation et la santé et fait construire un hôpital inauguré en 2003, à Ninéfécha à plus de 700 km de Dakar. En 2013, l’hôpital ferme ses portes. Aujourd’hui, c’est un poste de santé intégré dans le système sanitaire de la région de Kédougou. Il est essentiel de rappeler que jusque-là Mesdames Senghor et Diouf ont toujours été et encore aujourd’hui, appelées Madame Colette Senghor et Madame Elisabeth Diouf.
Le fils Karim est en miroir, sur le plan politique et administratif, de l’implication de la mère et de la fille. Sur ce plan politique, la lutte pour la succession l’opposera, selon différentes configurations au cours des deux mandats de Wade à Idrissa Seck, puis à Macky Sall, qui, en réaction à la destitution de leur filiation politique, créeront chacun leur parti politique, en vue de l’élection présidentielle de 2012.
Dès la prise de fonction de son père, il est nommé conseiller personnel dans l’ombre. Mais il est très vite sous les feux des projecteurs lorsqu’il est nommé à la tête de l’Agence nationale de l’Organisation de la Conférence islamique, chargée de la 11ème tenue de l’OCI en 2008. Les rideaux tombés sur le sommet, des accusations de gestion opaque des fonds et d’affairisme se font jour.
Il entre au PDS par le biais d’un mouvement appelé « la génération du concret » qui devient le cœur d’une stratégie politique, qu’il co-anime avec celui qui a été son directeur exécutif à l’Anoci. Aux élections locales de 2009, la Génération du Concret présente Karim Wade à un mandat électif mais il est battu. La Gc explose en 2012 et c’est le début des poursuites judiciaires contre Karim Wade.
Malgré la défaite du fils le père n’hésite pas à le porter à des postes nominatifs : ministre de la coopération internationale, du développement régional, des transports aériens et des infrastructures, ce qui le fait qualifier de « ministre du ciel et de la terre ».
Le baroud d’honneur
Réélu au premier tour en 2007, Wade ressuscite le Sénat. Pour d’aucuns, la conjugaison de quatre éléments principaux explique, l’ampleur de la victoire d’Abdoulaye Wade : le temps, le vide offert par l’opposition qui s’était présentée en ordre dispersé, l’« achat de conscience » dès la proclamation provisoire des résultats, le rêve et … quelques réalités. Parmi elles, le meilleur positionnement du pays, suite à la désaffection des investisseurs étrangers vis-à-vis de la Côte d’Ivoire, qui traversait une crise profonde. Dans le domaine fiscal, des réformes ont concouru à une meilleure maîtrise de la Tva, ce qui a permis l’octroi de bourses à tous les étudiants, puis quelques mois avant la présidentielle la gratuité des soins aux personnes âgées.
L’Etat a également considérablement investit dans la construction de collèges et de lycées et les grands travaux répondant aux besoins de fluidité urbaine ont été opportunément inaugurés.
Le succès en 2007 s’explique aussi par une meilleure situation économique. Des économistes annoncent un taux de croissance supérieur à 5% de 2000 à 2005, avant de connaitre un fléchissement en fin 2006. Si le transfert des émigrés contribue pour beaucoup à huiler les rouages du système social, l’origine de la circulation monétaire est alimentée également par l’aide extérieure très diversifiée que le régime a su capter, mais aussi celles des monarchies du monde arabe et de la Chine, ces dernières se caractérisant par une certaine opacité de nature à élargir les marges de manœuvre politiques du régime.
Une contestation majeure nait, confirmée par la tenue des Assises nationales dont l’objectif premier était de dresser un état des lieux de la crise politique et institutionnelle par une « refonte de l’Etat et de la Nation ». En juin 2011, un projet de double réforme institutionnelle est lancé : ticket présidentiel et élection à 25% des voix. Une vive opposition dénonce une tentative de « dévolution monarchique du pouvoir », la contestation craignant que Wade puisse démissionner en cours de mandat pour faire la place à son fils.
Portait également sur la production des cartes nationales d’identité et d’électeur. La réponse politique, face au « manque de crédibilité de Ousmane Ngom » est la nomination d’un ministre chargé des élections
Ses talents de communicateur ont fait la différence de Abdoulaye Wade d’avec ses prédécesseurs. Dans la rhétorique du pouvoir jusque-là confinée au « Sénégal émergent », et les mises en scène qu’il écrit lui-même, il en fut en tantôt l’acteur, tantôt le réalisateur qui renouvelait ses hommes afin d’assurer la représentation de sa pièce, confiant le récit à Abdoulaye Mbaye Pekh.
Le pouvoir de Wade a trouvé en cet homme, le chantre de sa propagande, « le griot de l’alternance ». Ce passionné de chevaux et de courses hippiques, n’a rencontré Wade qu’au second tour de l’élection présidentielle de 2000. N’étant allé ni au daara, ni à l’école française, Abdoulaye Mbaye Pekh, n’a également ni la culture, ni l’expérience de El Hadj Mansour Mbaye dont le parcours a permis de connaitre les hommes qui ont participé à l’exercice du pouvoir. Mbaye Pekh lui, sans séduction, sans technique oratoire, ne tient que des propos laudatifs très souvent qualifiés de dérapages et de bavardages.
Wade méritait-il quelques années de plus, malgré son grand âge ne serait-ce que pour terminer les nombreux chantiers entamés ? L’homme avait capitalisé sur son endurance et son énergie. Pour tenter un ultime assaut, un mélange d’incantation et de bricolage ne donneront pas au président la maîtrise de l’élection de 2012, qui a été au mieux pour lui, l’année du baroud d’honneur.
Maderpost / Sud quotidien