Le candidat de la gauche progressiste a été officiellement proclamé président élu du Chili, a annoncé ce dimanche 19 décembre l’autorité électorale. Gabriel Boric recueille 56% des voix, contre 44% à son concurrent d’extrême droite, José Antonio Kast.
PRESIDENT – Des concerts de klaxons retentissent dans le quartier général de Gabriel Boric, dans le centre de Santiago, la capitale du Chili. Le candidat de la gauche est le nouveau président. C’est lui qui a remporté l’élection présidentielle et le second tour qui s’est joué ce dimanche. « Le peuple uni ne sera jamais vaincu » : un chant emblématique de la gauche latino-américaine, est entonné.
Gabriel Boric, encore à l’université il y a dix ans, était l’un des leaders de manifestations pour la gratuité de l’éducation. C’est une victoire écrasante qu’enregistre la coalition de gauche dont est membre le Parti communiste dans ce duel inédit depuis le retour à la démocratie en 1990. Après 99% des bureaux de vote où les bulletins ont été dépouillés, Gabriel Boric dispose de 11 points d’avance (56%) sur José Antonio Kast, un admirateur de la dictature d’Augusto Pinochet soutenu par l’ensemble de la droite chilienne.
La fête pour les supporters de Boric
À 22h passées, ce dimanche soir, Gabriel Boric a dû enjamber les barrières au milieu de la foule pour rejoindre la scène installée en centre-ville, avant de saluer le public. Au micro, il confirme ses promesses de réformes sociales, dans la santé, de l’éducation ou des retraites, des domaines entièrement ou partiellement privatisés sous la dictature : « Nous ne voulons pas qu’ils continuent de faire de nos retraites un business. Et nous allons défendre un système public, autonome, à but non lucratif et sans fonds de pensions privés ». « Il y aura plus de droits sociaux mais nous le ferons en restant fiscalement responsables », a encore promis le nouveau président devant une foule de partisans. Gabriel Boric veut passer d’un système de retraites par capitalisation à un système mixte, et plus généralement avancer du néolibéralisme vers un État providence.
Rosa Ahumada, 65 ans, est venue fêter la victoire de son candidat : « C’est l’opportunité d’aller vers la nouvelle Constitution, et de changer notre pays, car le Chili est beaucoup trop inégalitaire, les injustices sont trop grande. »
José Antonio Kast a vite reconnu sa défaite
L’écart – un million de voix – est tel que le candidat d’extrême droite a déjà reconnu sa défaite. « Je viens de parler à Gabriel Boric et l’ai félicité pour son grand triomphe. Il est aujourd’hui le président élu du Chili et mérite tout notre respect et notre collaboration constructive. Le Chili passe toujours en premier », a écrit sur Twitter José Antonio Kast.
Peu après l’annonce des résultats officiels, quelques dizaines de militants se trouvent encore à l’extérieur du siège de campagne de José Antonio Kast dans cette commune riche de Santiago. En attendant leur candidat, ils ont chanté l’hymne national chilien et crier des slogans comme : « Le Chili est et restera un pays de liberté », ou encore « le Chili ne sera jamais communiste ». Parmi eux, Carolina, la soixantaine, craint que Gabriel Boric ne serve de « marionnette au parti communiste » avec qui le nouveau président a créé une alliance pour gouverner.
Puis, dans son discours de défaite, José Antonio Kast a « félicité » Gabriel Boric et déclaré qu’il méritait « leur respect » puisqu’il a été élu démocratiquement.
« Il a gagné très nettement. Beaucoup de Chiliens lui ont accordé leur confiance et nous espérons qu’il conduira un très bon gouvernement. En ce qui nous concerne, malgré ce qui nous oppose, nous voulons continuer d’apporter notre contribution à la patrie. Nous tous, Chiliens, devons nous rassembler. Nous devons récupérer notre foi en ce pays extraordinaire. Parce que le Chili est un pays extraordinaire et il mérite le meilleur de chacun de nous pour continuer à aller de l’avant. Et cela passe par l’unité. Aujourd’hui, la majorité s’est exprimée et de nouveaux équilibres vont maintenant apparaître à l’Assemblée. Des équilibres, qui, je le pense, seront aussi utiles à Gabriel Boric pour gouverner. »
Il précise qu’il n’abandonnera pas sa lutte contre le narcotrafic et le « terrorisme » qui sévit selon lui dans le sud du pays, là où vivent des communautés de peuples indigènes.
Il a également remercié Dieu, sa femme ainsi que ses neuf enfants pour l’avoir soutenu lors de sa campagne. Puis il a terminé en rappelant que la valeur de la famille est primordiale et que le Chili est une « grande famille ».
Tâche difficile
Le président sortant, Sebastian Piñera, a, lui aussi, félicité dans une discussion vidéo le nouveau chef de l’État élu. « Gabriel Boric sera le président de toutes les Chiliennes et de tous les Chiliens, de ceux qui ont voté pour lui, de ceux qui ont soutenu Kast, et aussi de ceux qui ne sont pas allé voter. Aujourd’hui, plus de huit millions de Chiliens se sont rendus aux urnes. C’est l’une des participations les plus élevées des dernières élections et c’est à l’image de notre pays qui a une fois encore été un exemple de démocratie. La mission principale du président est de contribuer à rassembler le Chili et les Chiliens, à semer la paix entre tous les concitoyens, parce qu’on ne doit jamais oublier que quelles que soient nos différences, nous sommes tous Chiliens, et nous voulons tous ce qu’il y a de meilleur pour notre pays. »
Faire passer le Chili d’un modèle néolibéral, hérité de la dictature, à un système plus proche de l’Etat providence, voici en substance ce que propose Gabriel Boric dans son programme. Il reprend les demandes du mouvement social d’octobre 2019 contre les inégalités. Il promet ainsi une profonde réforme de la santé, des retraites et de l’éducation, qui ont été entièrement ou partiellement privatisés sous la dictature. Il prévoit aussi d’augmenter les minimas vieillesse et le salaire minimum, qui sont très faibles aujourd’hui par rapport au coût de la vie.
Pour autant ce programme ne sera pas forcément facile à appliquer. Le parlement est très fragmenté, et Gabriel Boric va devoir négocier avec l’opposition de droite pour faire passer les réformes qu’il veut mener. Et puis, l’année prochaine s’annonce compliquée d’un point de vue économique, avec une croissance attendue autour de 2,5% selon Fonds Monétaire International, c’est très faible pour le Chili. Enfin le budget de l’État sera en baisse de 22% par rapport à cette année.
Gabriel Boric prendra officiellement ses fonctions le 11 mars. « Nous sommes unis. Nous sommes l’espoir. Nous sommes plus quand nous sommes ensemble. Continuons ! », a écrit le nouveau président sur Twitter.
Gabriel Boric défend l’Assemblée constituante et la rédaction d’une nouvelle Constitution en cours en ce moment pour remplacer le texte actuel hérité de la dictature. Mais le nouveau président élu n’aura pas la tâche facile, car le Parlement chilien est très fragmenté et la situation économique en 2022 s’annonce morose.
Maderpost / Rfi