Le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti a été mis en examen vendredi pour prise illégale d’intérêts par les magistrats de la Cour de la justice de la République chargés d’enquêter sur de possibles conflits d’intérêts avec ses anciennes activités de pénaliste, ont annoncé ses avocats.
FRANCE – Cette mise en examen est inédite pour un ministre de la Justice en exercice. À l’issue d’un interrogatoire de près de six heures, le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti a été mis en examen, vendredi 16 juillet, dans le cadre d’une enquête sur de possibles conflits d’intérêts avec ses anciennes activités d’avocat. “Sans surprise, il a été mis en examen”, a déclaré à la presse l’un des avocats du ministre, Me Christophe Ingrain, à l’issue de cette audition.
Sa convocation lui avait été remise lors d’une rarissime perquisition à la Chancellerie le 1er juillet, menée pendant quinze heures par une vingtaine de gendarmes de la section de recherche de Paris, avec des magistrats de la Cour de justice de la République (CJR), seule juridiction habilitée à poursuivre et juger des ministres pour des infractions commises dans le cadre de leurs fonctions.
Dans cette affaire, Éric Dupond-Moretti est soupçonné d’avoir profité de sa fonction de garde des Sceaux pour régler ses comptes avec des magistrats avec lesquels il avait eu maille à partir quand il était avocat, ce que le ministre réfute.
La CJR a ouvert en janvier une information judiciaire pour “prise illégale d’intérêts” après avoir reçu les plaintes des trois syndicats de magistrats et de l’association Anticor dénonçant des situations de conflits d’intérêts dans deux dossiers.
“Méthodes de barbouzes”
Le premier concerne l’enquête administrative ordonnée en septembre par le garde des Sceaux contre trois magistrats du parquet national financier (PNF) qui ont fait éplucher ses relevés téléphoniques détaillés (“fadettes”) quand il était encore une star des prétoires.
Le PNF cherchait alors à débusquer une “taupe” ayant pu informer Nicolas Sarkozy et son conseil Thierry Herzog – un ami d’Éric Dupond-Moretti – qu’ils étaient sur écoute dans l’affaire de corruption dite “Bismuth”, et qui a valu en mars une condamnation historique à l’ex-chef de l’État.
Vilipendant les “méthodes de barbouzes” du parquet anticorruption, Éric Dupond-Moretti avait déposé une plainte, avant de la retirer au soir de sa nomination comme garde des Sceaux, le 6 juillet 2020.
Dans le second dossier, il est reproché au garde des Sceaux d’avoir diligenté des poursuites administratives contre un ancien juge d’instruction détaché à Monaco, Édouard Levrault, qui avait mis en examen un de ses ex-clients et dont il avait critiqué les méthodes de “cow-boy” après que ce magistrat a pris la parole dans un reportage.
Des interventions problématiques
Les syndicats de magistrats ont par ailleurs signalé à la commission d’instruction de la CJR trois autres interventions du garde des Sceaux qu’ils jugent problématiques, dont une à l’automne auprès de détenus corses alors qu’il avait été l’avocat de l’un d’eux, Yvan Colonna.
Mais la commission des requêtes de la CJR a rendu un avis défavorable, refusant donc d’ordonner un supplément d’information pour ces faits, selon une source judiciaire.
Éric Dupond-Moretti s’est toujours défendu de toute prise illégale d’intérêts, martelant qu’il n’a fait que “suivre les recommandations” de son administration.
Sa défense a demandé, en vain, un report de l’interrogatoire, estimant que le procureur général près la Cour de cassation François Molins – qui a ouvert l’enquête à la CJR – était à la fois juge et partie. Selon les avocats du ministre, François Molins avait recommandé l’ouverture d’une enquête administrative et devrait donc être entendu comme témoin dans cette affaire.
Les potentiels conflits d’intérêts du nouveau garde des Sceaux, soulevés dès son arrivée à la Chancellerie par les syndicats de magistrats, avaient finalement conduit fin octobre à l’écarter du suivi de ses anciennes affaires, désormais sous le contrôle de Matignon.
Éric Dupond-Moretti accuse ces mêmes syndicats de “manœuvres politiques” afin “d’obtenir un nouveau garde des Sceaux”. “On ne fait pas de politique. À aucun moment, d’aucune manière nous n’avons demandé la démission du ministre”, rétorque Céline Parisot, présidente de l’USM, syndicat majoritaire dans la magistrature.
Maderpost / AFP