Assassiné mercredi dans son pays des Caraïbes englué dans une profonde crise, le président haïtien, Jovenel Moïse, a connu une fructueuse carrière d’entrepreneur avant un mandat à la présidence. Mais le soutien de la population s’est érodé, son pouvoir étant largement critiqué.
HAITI – Élu en 2016 au terme d’un marathon électoral mouvementé, Jovenel Moïse était inconnu du grand public au printemps 2015 lorsqu’il est apparu sur la scène politique.
C’est finalement très isolé, avec un parlement suspendu et gouvernant par décrets, que le président haïtien âgé de 53 ans a terminé, dans la nuit du mardi 6 au mercredi 7 juillet, de façon tragique son mandat unique, cible d’une attaque à son domicile.
Ce père de deux enfants a été incapable d’arrêter la spirale descendante de sa nation, la plus pauvre du continent américain, et notamment les violences qui gangrènent la vie des habitants.
Issu d’une famille modeste – un père mécanicien et agriculteur, une mère couturière et commerçante –, ce natif de Trou du Nord, dans le département du Nord-Est, poursuit des études jusqu’à la Faculté des sciences de l’éducation à l’université haïtienne Quisqueya.
Sa famille s’était installée dans la capitale Port-au-Prince en 1974. En 1996, tout jeune marié avec sa camarade de classe Martine, il retourne dans son département natal avec un rêve : refaire de Haïti une contrée “essentiellement agricole” en développant l’arrière-pays.
Entrepreneur agricole
Selon la biographie disponible sur son site internet, Jovenel Moïse crée, grâce à des fonds de capital-investissement, un commerce de pièces détachées automobiles et une première plantation de bananes de 10 hectares.
Sa dernière bananeraie biologique est la plus vaste du pays (près de 1 000 hectares). D’où son surnom après son entrée en lice dans la course à la présidence : “Nèg Bannan nan”, soit “l’homme-banane” en créole.
Sensibilisé à l’importance de l’eau potable, il noue un partenariat avec le spécialiste Culligan et ouvre en 2001 une usine de distribution dans les régions du Nord-Est et du Nord-Ouest. Puis il s’intéresse à l’électrification régionale, créant en 2008 avec des associés une société ad hoc.
En 2012, il lance la première zone franche agricole d’Haïti, et y installe sa société Agritrans pour laquelle il a décroché un prêt participatif de six millions de dollars auprès du gouvernement de son prédécesseur, Michel Martelly.
D’après le site de Jovenel Moïse, ce dispositif a permis de développer des dizaines de projets agricoles et “de créer près de 3 000 emplois directs et 10 000 emplois indirects”.
Minorité aisée et pays miné par la corruption
Son entrée fracassante en politique, c’est d’ailleurs à Michel Martelly qu’il la doit : le président sortant – qui ne pouvait briguer un second mandat – le choisit au printemps 2015 pour représenter son parti Tet Kale (PHTK), avec l’objectif d’assurer sa succession.
Avait alors débuté une campagne électorale très active centrée sur lui, notamment sur les réseaux sociaux encore sous-exploités par la classe politique traditionnelle, financée par de grands industriels et des membres de l’élite économique, la même minorité aisée qui entourait Michel Martelly.
Une fois élu, Jovenel Moïse s’engage à assainir le pays, miné par la corruption. Mais, assez vite, ce sont certains de ses propres collaborateurs qui se retrouvent soupçonnés de détournements de fonds publics.
Année après année, des enquêtes parlementaires, des enquêtes d’ONG ou des enquêtes de la Cour des comptes confirment que la corruption continue d’imprégner les institutions haïtiennes, malgré la valse des ministres et hauts fonctionnaires.
Controverse sur sa date de fin de mandat
Comme une bonne partie de la classe politique, y compris avant lui, Jovenel Moïse peine notamment à rendre des comptes sur la façon dont a été utilisé l’argent prêté dans le cadre du programme Petrocaribe, initié par l’ancien président vénézuélien Hugo Chavez, qui permet à plusieurs pays d’Amérique latine et des Caraïbes d’acquérir des produits pétroliers à un coût avantageux.
Jovenel Moïse a nommé sept Premiers ministres en quatre ans et a échoué à mener une grande réforme constitutionnelle qu’il appelait de ses vœux, suscitant des critiques et de l’incompréhension jusque dans son propre camp.
Sa fin de présidence a été marquée par une autre vive controverse, lui estimant que son mandat prendrait fin le 7 février 2022, alors que pour l’opposition et une partie de la société civile celui-ci s’était achevé le 7 février 2021. Ce désaccord tenait au fait que Jovenel Moïse avait été élu à l’issue d’un scrutin annulé pour fraudes, puis réélu un an plus tard.
Maderpost / France24