Plus de 400 000 personnes ont « franchi le seuil de la famine » au Tigré, région du nord de l’Éthiopie en guerre depuis huit mois, a prévenu vendredi un haut responsable de l’ONU. L’organisation exhortant par ailleurs les rebelles à appliquer le cessez-le-feu décrété par l’Éthiopie.
ETHIOPIE – La situation au Tigré s’est « considérablement aggravée », a déclaré vendredi 2 juillet le secrétaire général adjoint par intérim aux affaires humanitaires de l’ONU, Ramesh Rajasingham, lors de la première réunion publique du Conseil de sécurité de l’ONU sur le Tigré depuis le déclenchement du conflit en novembre.
Le conflit au Tigré a connu un tournant majeur lundi 28 juin avec la prise de la capitale régionale Mekele par les forces loyales aux autorités régionales dissidentes, issues du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF). Deux ponts cruciaux pour l’acheminement d’aide au Tigré ont par ailleurs été détruits cette semaine par les forces éthiopiennes, selon des ONG et le Programme alimentaire mondial (PAM).
Permettre la fourniture d’une aide alimentaire le plus rapidement possible
« On estime que plus de 400 000 personnes ont franchi le seuil de la famine et que 1,8 million de personnes supplémentaires sont au bord de la famine », a averti Ramesh Rajasingham. « Certains suggèrent que les chiffres sont encore plus élevés et 33 000 enfants souffrent de malnutrition sévère », a-t-il ajouté. « Les vies de bon nombre de ces personnes dépendent de notre capacité à les atteindre avec de la nourriture, des médicaments ». « Nous devons les atteindre maintenant. Pas la semaine prochaine. Maintenant », a-t-il lancé.
Il aura fallu presque huit mois pour que le Conseil de sécurité accepte de discuter formellement du Tigré. Russie et Chine mais aussi Kenya, Niger et Tunisie s’y opposaient, estimant que le conflit relevait d’une affaire interne à l’Éthiopie, rapporte notre correspondante à New York, Carrie Nooten. L’ambassadrice américaine a elle affirmé que c’était une opportunité pour montrer que les vies africaines comptaient autant que les autres vies dans le monde, avant de demander aux troupes érythréennes de rentrer chez elles.
Le gouvernement accusé d’asphyxier le peuple tigréen
Le gouvernement éthiopien a rejeté vendredi les accusations affirmant qu’il prévoyait de bloquer l’aide humanitaire vers le Tigré, dont il a perdu le contrôle cette semaine. « L’insinuation selon laquelle nous prévoyons d’asphyxier le peuple tigréen en refusant l’accès humanitaire et en utilisant la faim comme une arme de guerre est inadmissible », a déclaré le vice-Premier ministre éthiopien Demeke Mekonnen à des diplomates réunis dans un hôtel de la capitale Addis Abeba.
L’ONU exhorte également les forces rebelles, baptisées Forces de défense du Tigré, « à approuver immédiatement et complètement le cessez-le-feu » décrété par le gouvernement éthiopien dans la région, a déclaré la secrétaire générale adjointe de l’ONU pour les Affaires politiques, Rosemary DiCarlo.
« Un cessez-le-feu observé par toutes les parties faciliterait non seulement la fourniture d’une aide humanitaire, mais serait également un point de départ pour les efforts politiques nécessaires pour tracer une voie de sortie de crise », a-t-elle ajouté.
Le Premier ministre Abiy Ahmed, prix Nobel de la paix 2019, avait envoyé l’armée au Tigré début novembre 2020 pour capturer les dirigeants du TPLF, qu’il accusait d’avoir orchestré des attaques contre des bases militaires fédérales.
5,2 millions de personnes nécessitent une aide alimentaire d’urgence
Abiy Ahmed a proclamé la victoire après la prise de Mekele le 28 novembre, mais les combats n’ont jamais cessé entre les forces pro-TPLF et l’armée éthiopienne, épaulée par des troupes des autorités régionales voisines de l’Amhara et l’armée de l’Erythrée.
La guerre a plongé la région dans une situation humanitaire dramatique. Selon le PAM, 5,2 millions de personnes, soit 91% de la population du Tigré, ont besoin d’une aide alimentaire d’urgence. L’agence onusienne a indiqué vendredi avoir repris ses opérations d’aide après une pause de deux jours, espérant atteindre 30 000 personnes « d’ici le week-end ». Mais elle a déploré que deux ponts majeurs menant au Tigré aient été détruits, affirmant que « des vies seront perdues si les routes d’approvisionnement vers le Tigré ne s’ouvrent pas complètement et si les parties prenantes au conflit continuent de perturber ou de mettre en danger la libre circulation » de l’aide.
Plusieurs pays, dont les États-Unis, l’Irlande et le Royaume-Uni, à l’origine de la réunion du Conseil de sécurité dont ne voulaient pas les Africains ont aussi fait valoir que les accès humanitaires devaient être sans entraves.
Dans ses discussions avec les diplomates, Demeke Mekonnen a répété que le cessez-le-feu avait été décrété pour permettre la distribution d’aide humanitaire et le travail des cultures. Mais avec l’électricité et les télécommunications coupées, les vols suspendus et la plupart des routes de la région désormais impraticables, responsables onusiens et diplomates craignent que la situation n’empire.
Le gouvernement prêt à dialoguer pour résoudre la crise ?
« Un cessez-le-feu ne signifie pas couper l’électricité d’une région ou détruire des infrastructures cruciales », a déclaré vendredi le chef de la diplomatie de l’UE, Josep Borrell, sur Twitter. « Un cessez-le-feu crédible signifie faire tout son possible pour que l’aide parvienne aux millions d’enfants, de femmes et d’hommes qui en ont un besoin urgent ».
Face aux diplomates, Demeke Mekonnen a également déclaré qu’après les élections nationales du 21 juin, qui devraient donner à Abiy Ahmed un nouveau mandat, le gouvernement se préparait à un « dialogue inclusif pour résoudre la crise du Tigré ».
« Ce processus devrait impliquer les partis d’opposition légaux, les membres de la base du TPLF qui se montrent prêts à choisir une voie pacifique, le monde des affaires, les organisations de la société civile, les anciens et d’autres personnalités éminentes », a-t-il déclaré. Mais les dirigeants éthiopiens ont toutefois indiqué que des discussions avec les dirigeants du TPLF étaient exclues.
Demeke Mekonnen, ainsi que le porte-parole de la cellule de crise gouvernementale pour le Tigré, Redwan Hussein, ont affirmé qu’Addis Abeba souhaitait voir sanctionner pour leurs « responsabilités » les dirigeants du TPLF. Mais certains membres du TPLF sont « innocents » et pourraient être inclus dans les futures discussions, a estimé le vice-Premier ministre éthiopien, selon ces diplomates.
Maderpost / Rfi