La cour d’assises spéciale de Paris a rendu son verdict au procès des attentats de janvier 2015 en France. Les peines s’échelonnent de 4 ans de prison à la perpétuité. Hayat Boumeddiene, la veuve en fuite d’Amédy Coulibaly, a notamment été reconnue coupable d’association de malfaiteurs terroriste et condamnée à 30 ans de réclusion.
TERRORISME -Un verdict “pour l’histoire”? Après trois mois d’audiences aussi intenses que chaotiques, la cour d’assises spéciale de Paris a rendu son verdict, mercredi 16 décembre, au procès de 14 soutiens présumés des auteurs des attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher.
Les peines sont globalement inférieures aux réquisitions du parquet national antiterroriste, qui avait réclamé la perpétuité pour deux accusés et de cinq à trente ans de prison pour les 12 autres, estimant qu’ils avaient servi de “cheville ouvrière” aux attaques jihadistes.
La peine la plus lourde, soit la perpétuité, a été prononcée contre Mohamed Belhoucine, présumé mort en Syrie et jugé par défaut. Le mentor présumé du tueur de l’Hyper Cacher Amédy Coulibaly a été reconnu coupable de “complicité” de crimes terroristes.
Hayat Boumeddiene, ex-compagne d’Amédy Coulibaly, introuvable depuis sa fuite en Syrie quelques jours avant les attentats, a été condamnée pour sa part à 30 ans de réclusion assortie d’une période de sûreté des deux tiers.
L’un des accusés va faire appel
Une peine identique a été prononcée à l’encontre d’Ali Riza Polat, présenté comme le “bras droit” du tueur de l’Hyper Cacher. Ce Franco-Turc de 35 ans, coupable de “complicité”, “a eu un rôle essentiel” dans la préparation des attentats, a estimé la cour.
Son avocate Isabelle Coutant-Peyre a tout de suite après l’énoncé du délibéré annoncé son intention de faire appel.
Trois autres accusés, tous proches d’Amédy Coulibaly, ont été reconnus coupables d’association de malfaiteurs terroristes, la cour ayant estimé qu’ils ne pouvaient ignorer la nature du projet du tueur de l’Hyper Cacher, dont ils connaissaient les convictions.
Parmi eux, Amar Ramdani a écopé de la peine la plus lourde : 20 ans de réclusion, assortie d’une période de sûreté des deux tiers. Nezar Mickael Pastor Alwatik, ex-codétenu d’Amédy Coulibaly, a été condamné à 18 ans de réclusion, et Willy Prevost à 13 ans de réclusion.
Les cinq magistrats professionnels ont en revanche abandonné la qualification terroriste pour six accusés, qui ne connaissaient que peu Amédy Coulibaly et pour lesquels “aucune conviction ou idéologie religieuse de type radicale” n’a été établie.
Des peines allant de cinq à dix ans de prison ont ainsi été prononcées contre quatre accusés impliqués dans le volet “belgo-ardennais”, reconnus coupables d’un simple délit “d’association de malfaiteurs” : Metin Karasular, Michel Catino, Abdelaziz Abbad et Miguel Martinez.
Dans le volet “lillois”, 8 ans de prison ont été prononcés contre Saïd Makhlouf et Mohamed Fares, reconnus coupables des mêmes faits. Le seul accusé qui comparaissait libre, Christophe Raumel, a été condamné à quatre ans de prison.
La cour d’assises spéciale a enfin constaté l’extinction de l’action publique à l’encontre du 14e accusé, Mehdi Belhoucine, frère de Mohamed Belhoucine : le jeune homme, présumé mort et lui aussi jugé par défaut, avait déjà condamné en janvier pour association de malfaiteurs terroriste dans le procès dit des “fantômes du jihad”.
Refermer “le cycle de la violence”
À l’audience, les accusés, encadrés de nombreux policiers, sont apparus tendus derrière leurs deux box vitrés.
De nombreuses parties civiles garnissaient les bancs de la salle d’audience pour la lecture de ce verdict historique. Parmi elles des proches des victimes des attaques, l’ex-otage de l’Hyper Cacher Lassana Bathily, des survivants du massacre à Charlie Hebdo, son directeur de la rédaction Riss, Sigolène Vinson et Simon Fieschi.
Dans un éditorial publié mercredi, le responsable du journal satirique a estimé qu’une fois la décision de la justice rendue, “le cycle de la violence (…) se sera enfin refermé, au moins sur le plan pénal car, humainement, les répercussions ne s’effaceront jamais”.
Dans leurs plaidoiries, les avocats de la défense ont exhorté la cour à ne pas chercher “coûte que coûte” des coupables pour pallier l’absence des frères Saïd et Chérif Kouachi et d’Amédy Coulibaly. L’accusation a demandé de son côté des condamnations “à la hauteur de l’extrême gravité des faits”.
Zones d’ombre
Dans leurs derniers mots lundi, avant que la cour ne se retire pour délibérer après 54 jours de débats, ces hommes âgés de 29 à 68 ans, tous déjà condamnés pour des délits mais jamais pour des faits liés au terrorisme, ont à nouveau affirmé n’avoir “rien à voir” avec les attentats.
Un message appuyé par leurs avocats durant leurs plaidoiries. Face à l’onde de choc et au trauma des attaques des 7, 8 et 9 janvier 2015, la réponse doit être celle d’une “justice exemplaire, pas sanguinaire”, a prôné Me Zoé Royaux.
“C’est un dossier qui transpire la peur et la déraison”, a souligné sa consœur Margot Pugliese, d’autres avocats ayant adjuré la cour de “ne pas céder” à ce sentiment de “peur”, dans un contexte de menace terroriste au plus haut.
Trois attentats ont frappé la France depuis l’ouverture du procès le 2 septembre, dont l’un près des anciens locaux de l’hebdomadaire satirique.
Durant les trois mois d’audience, marqués par les témoignages puissants des survivants et des proches des victimes, la cour a tenté de reconstituer le puzzle de l’enquête ayant conduit les accusés devant les assises, essentiellement sur la base de relevés téléphoniques et de quelques traces ADN.
Mais les débats n’ont pas permis de lever toutes les zones d’ombre, du circuit des armes aux commanditaires.
Les enquêteurs ont identifié deux “filières” d’approvisionnement pour les armes retrouvées en possession d’Amédy Coulibaly : l’une “lilloise” et l’autre “belgo-ardennaise”. Mais rien n’a été établi concernant les armes de guerre utilisées par les frères Kouachi. Et la façon dont l’arsenal a transité puis atterri entre les mains des terroristes reste peu claire.
Des zones d’ombre “assumées” par le parquet, qui en a rejeté la responsabilité sur l’attitude et les revirements des accusés.
Quelque 200 personnes se sont constituées parties civiles au procès, premier en matière de terrorisme à être intégralement filmé. Initialement prévu pour s’achever le 10 novembre, il a été suspendu plus d’un mois après que le principal accusé, Ali Riza Polat, a été testé positif au Covid-19 puis victime de complications médicales.
Maderpost/ France 24