L’inspection générale d’Etat (IGE), qui a rapporté nombre de fautes de gestion dans ses derniers rapports, n’est pas, elle-même, exempte de reproches. Le corps de contrôle a commis de nombreuses violations des textes qui la régissent, relève le Coordonnateur du forum civil. Birahim Seck, invité du Grand jury de la Rfm, a listé ces violations. Il a relevé ‘‘l’oubli’’ dont font l’objet certaines structures et autres gros marchés de l’Etat dans le programme d’audit du corps de contrôle.
AUDIT – Les délais malmenés
«Depuis 2015, les rapports de l’Ige n’ont pas été publiés. L’article 9 de la loi 2011-14 du 8 juillet 2011 sur les statuts des Inspecteurs généraux d’Etat dit que chaque année, les vérificateurs généraux d’Etat présentent au président un rapport d’activité avant le 31 mars, suivant l’année d’activité. Quand on a fait une comparaison, nous nous sommes rendus compte que l’IGE est restée 5 ans sans publier de rapport. Au niveau du forum civil nous avons qualifié cela de violation de la loi surtout pour un corps qu’on qualifie d’élite (…)
L’article 9 dit qu’il faut impérativement que l’IGE publie un rapport d’activités. On s’est rendu compte qu’au niveau de la page 4 du rapport 2016, l’IGE dit que ces rapports ne sont ni rapports d’activités, ni rapports de vérification. Mais en réalité c’est un conglomérat de constats tirés, de vérifications, d’audits d’enquêtes de différentes missions de l’IGE. On se rend compte qu’il y a entorse à la réglementation du fait des inspecteurs généraux.»
Le Principe de l’imputabilité
«Il y a une sorte de violation qu’on qualifie de violation du principe de l’imputabilité. Si vous scrutez les pages 27, 28 et 43 du rapport de 2016, les pages 42, 103 du rapport de 2017 et les pages 48 et 57 du rapport 2018-2019, on se rend compte que l’iGE, souvent, pour identifier des errements, des manquements, ne nous dit pas de façon claire de quelle structure il s’agit. Elle dit souvent ‘‘dans un ministère’’, ‘’dans un département ministériel’’, ‘’dans une direction’’, ‘’une autorité’’, ‘’un ministre’’.
Par exemple à la Délégation générale au pèlerinage, à l’Anacim, à l’officie des pupilles de la nation, au ministère de l’Enseignement supérieur, au ministère de l’Environnement, ou parfois au ministère de l’Intérieur, les inspecteurs ont été très précis sur l’identification des acteurs qui ont commis des errements et manquements.
(…) On a l’impression qu’il un a une sorte de deux poids deux mesures par rapport au traitement des différentes vérifications. Quand il s’agit de certaines administrations centrales et quand il s’agit d’autres administrations.
Des structures toujours « oubliées »
«Au Sénégal, on n’a jamais vu l’IGE vérifier ou publier un rapport sur la gestion administrative et financière de l’Assemblée nationale, sur la gestion administrative de la présidence, ne serait-ce que le secrétariat général de la présidence. On n’a jamais vu un rapport sur la gestion administrative et financière du Conseil constitutionnel, des fonds alloués à la Cour d’appel de Dakar, sur la Cour suprême (…). Au Sénégal, c’est comme si on a une caste de super élite, qu’on ne doit pas contrôler et qu’il y a un autre groupe qu’on contrôle tout le temps.
Bourses familiales, Cmu, building… toujours zappés
«La gestion des bourses familiales ce sont des milliards. On n’a aucune information. On n’a aucune information non plus sur la couverture maladie universelle, sur la gestion du Prodac, sur la gestion du Puma, du Pudc, sur les grands marchés qui ont fait débat.
Pour le building administratif, on attendait que l’IGE nous éclaire sur sa réfection, qu’elle donne des informations sur les montants alloués à la réfection. C’est l’argent du contribuable. Jusqu’à présent on ne peut même pas prendre le risque de prononcer un montant tellement on ne connait pas le nombre d’avenants. Même chose pour l’Université Sine Saloum, l’Université Amadou Makhtar Mbow qui avait été confiée à Bictogo. Même chose pour ila Touba. Aucune information sur ces marchés.»
Le mémento sur le «secret»
«Nous sommes étonnés, au niveau du Forum civil, du fait que l’IGE présente un mémento sur les secrets. Dans un contexte où on parle de promotion de la bonne gouvernance de transparence, de déclaration de patrimoine, de cadre harmonisée des finances publiques, il est quand même étonnant de voir l’IGE faire quand même une sorte de culte du secret.»
Rapports estampillés sans suite
«Combien de rapports ont été transmis par la Centif. Est-ce qu’il y a eu une suite ? Et pourtant la loi exige que ces rapports soient transmis au Juge. La présidente de l’Ofnac n’a-telle pas dit qu’elle a transmis des rapports au procureur. Qu’est-ce qui s’en est suivi ? Rien pour le moment. Donc ce n’est pas une question de transmission des rapports au procureur, mais un problème de système, de comportement, de relation entre le gouvernant et les affaires publiques. Tant qu’on n’aura pas réussi à lutter contre l’impunité, la désarticulation des instruments de gouvernance, on n’aura jamais réussi à faire en sorte que les rapports soient transmis au procureur.»
La Crei en Crief
«Nous on prône une proposition qui avait déjà été faite en 2014-2015 par l’IGE sur la transformation de la Crei en Crief (Cour de répression des infractions économiques et financières). Mais en rendant conforme la Crief aux normes internationales tout en respectant les principes du droit de la défense, du principe du contradictoire. Même s’il y a un renversement de la charge de la preuve c’est moins important. Il suffit juste de rendre conforme cette juridiction aux normes internationales. (…) Soit on crée un parquet financier adossé à la Crei, ou cette juridiction aura la compétence de connaitre de pratiquement toutes les infractions économiques et financières et tout ce qui touche à la corruption, à la concussion, au blanchiment, à la prise illégale d’intérêts, au détournements de deniers publics, l’instauration du favoritisme mais aussi de connaître de tous les rapports produits par les corps de contrôle.»
L’Ige et la « formule magique » de l’Armp
«Il faut aller au bout de l’analyse. Si les marchés d’entente directe ont été possibles, au niveau de la délégation générale de la francophonie, c’est grâce à l’autorité de régulation des marchés publiques. Nous avons toujours alerté. Au niveau de l’Armp, ils ont un système pour délivrer une autorisation exceptionnelle à chaque fois qu’il y a un conflit entre la Dcmp et une administration. L’Armp, avec une formule magique, qui est souvent utilisée contre le droit, autorise à titre exceptionnel. Et pour les marchés de la Direction générale de la francophonie, nous avons dénombré au moins 4 autorisations de l’Armp à titre exceptionnelle.
C’est pourquoi on est étonnés de voir que l’Ige n’est pas allée jusqu’au bout de sa logique et nous dire si les autorisations qui ont été accordées par l’Armp sont fondées ou pas (…) L’Armp n’a pas le droit d’autoriser à titre exceptionnel. Quand c’est deux fois, trois fois 4 fois 5 fois 6 fois, ça devient un principe. Donc la responsabilité est partagée entre la Dgf, l’Armp et les autorités politiques qui ont laissé faire.»
Maderpost / Igfm