Fidèle à sa tradition, le “Washington Post”, un grand quotidien de la côte est des Etats-Unis, s’est fendu d’un article établissant un parallèle ahurissant entre l’obligation sanitaire de port du masque dans les lieux publics et… l’interdiction du voile intégral. Le tout pour dénoncer l’intolérance française, cela va sans dire.
Par Hadrien MATHOUX
S’ils n’étaient pas si futiles, les trésors d’imagination déployés par les grands quotidiens américains dans le but de faire passer la France pour l’épicentre mondial du racisme et de l’intolérance forceraient presque l’admiration.
La lecture de la dernière livrée du Washington Post concernant l’Hexagone suscite en premier lieu l’incrédulité. Le journal de la côte Est, considéré comme une référence outre-Atlantique, a-t-il été piraté par un site satirique ? Le 1er avril tombe-t-il un 10 mai aux Etats-Unis ? A-t-on affaire à un concours de Kamoulox de haut niveau ? On se pince, mais l’article, publié ce dimanche, est bel et bien écrit sur un ton sérieux. Son titre : “La France rend les masques obligatoires pour contrôler le coronavirus. Les burqas demeurent interdites“.
https://twitter.com/jameskmcauley/status/1259493475269124098?s=20
L’intitulé d’un papier est souvent caricatural et masque les nuances qu’on peut trouver à la lecture du texte intégral. Le cas échéant, le titre de l’article du “WaPo” réussit l’exploit d’être moins stupide que son contenu.
L’angle choisi par le journal étatsunien consiste à souligner “l’ironie” qui verrait le pays “à l’origine de l’interdiction de la burqa” obliger ses citoyens à porter un masque pour limiter la transmission du coronavirus.
Peu importe si de nombreux pays ont imité la France depuis 2010 en interdisant le voile intégral (Belgique, Danemark, Sénégal, Tchad), peu importe si le port du masque n’est obligatoire que dans les transports ou certains commerces, le Washington Post est bien décidé à inventer de toutes pièces une nouvelle “polémique française” : “De nombreux musulmans, défenseurs de la liberté religieuse et universitaires voient une grande ironie dans le fait qu’une société qui a tant valorisé le fait d’être à visage découvert demande soudain à ce que les visages soient couverts“, écrit le correspondant américain.
Experts plus qu’orientés
Passage incontournable de ce type d’articles, la convocation “d’experts” universitaires issus de la mouvance intersectionnelle et décoloniale vise à légitimer le discours journalistique.
Ici, c’est Fatima Khemilat, doctorante à l’IEP d’Aix-en-Provence, qui s’y colle, avec un raisonnement brillant : “Si vous êtes musulmane et que vous cachez votre visage pour des raisons religieuses, vous pouvez écoper d’une amende et d’un cours où l’on vous apprendra ce qu’est ‘une bonne citoyenne’. Mais si vous êtes un citoyen non-musulman, vous êtes encouragé et forcé en tant que ‘bon citoyen’ à adopter des ‘gestes-barrières pour protéger la communauté nationale“. Ce sophisme affligeant permet à la chercheuse à dénoncer une “lecture asymétrique (…) au mieux arbitraire, au pire discriminatoire“.
Le journaliste du Washington Post a contacté le ministère de l’Intérieur (a-t-on cru à un canular place Beauvau ?) pour savoir si l’interdiction de la burqa serait toujours appliquée pendant la pandémie de Covid-19.
Le quotidien s’amuse qu’une femme vêtue d’un niqab ou d’une burqa puisse être obligée d’enfiler un masque pour se couvrir le visage.
Arrivera-t-on à produire l’effort intellectuel surhumain nécessaire pour être capable de différencier un vêtement porté à des fins sanitaires et un accoutrement d’exhibition religieuse ?
Les paris sont ouverts, mais on doit avouer notre pessimisme : le Washington Post n’a visiblement pas pris la peine de lire la fameuse loi de 2010, dont le deuxième article dispose que l’interdiction d’une tenue dissimulant le visage “ne s’applique pas si elle est justifiée par des raisons de santé ou des motifs professionnels“. Il est vrai qu’une lecture préliminaire du texte aurait eu le désavantage de réduire à néant “l’ironie” sur laquelle repose l’article de notre confrère américain.
En attendant, un autre témoignage est mobilisé : celui de Karima Mondon, une professeur qui soutient activement l’installation d’écoles privées musulmanes, visiblement très appréciée de nos confrères américains : en 2016, elle avait affirmé au New York Times qu’être musulmane en France équivalait à vivre “dans un régime d’apartheid“.
La voici qui estime auprès du Washington Post que “les musulmans voient clairement l’ironie” de la situation en France. “Toutes les choses qu’ils nous décrivaient comme des signes de ‘radicalisation’ – comme le fait de ne pas s’embrasser – sont aujourd’hui devenus des bonnes pratiques sanitaires“, se réjouit l’activiste.
En France, ce type de discours est étranger à l’écrasante majorité des personnes pratiquant l’islam, et seuls des salafistes tels qu’Idriss Sihamedi le tiennent publiquement.
Leçons d’humanisme
Mais il faut croire que les belles âmes de la presse US considèrent tous les musulmans comme des islamistes radicaux : “Si une musulmane pratiquante voulait aller dans le métro parisien, elle devrait retirer sa burqa et la remplacer par un masque“, écrit le “WaPo”, qui semble juger que le port du voile intégral est une pratique totalement banale chez les femmes musulmanes.
Deux autres universitaires, en connivence idéologique avec le journaliste, enfoncent le clou : le politologue Olivier Roy voit “non pas de l’hypocrisie, mais de la schizophrénie” dans la situation qu’il résume à gros traits : “Si vous couvrez votre visage au nom de l’islam, ce n’est pas la République. Si vous couvrez votre visage pour une raison sans rapport avec l’islam, c’est acceptable“.
Rien de tel, pour remporter un débat, que de faire affirmer n’importe quoi à un adversaire absent pour se défendre. Pour Joan W. Scott, une historienne américaine, spécialiste du “genre” et très hostile au républicanisme français, les masques représentent “pour une communauté séculière comme la République française” un “rite de participation communautaire, de ‘vivre-ensemble’“, de la même manière que le voile représente pour celles qui le portent “un engagement envers les principes de la solidarité communautaire“.
L’utilité sanitaire du masque semble s’être perdue en route. Un petit tour de passe-passe qui permet à Fatima Khemilat d’opérer un parallèle renversant : “Si cette situation temporaire est douloureuse et difficile à vivre pour nous, car elle entrave notre liberté d’aller et venir, alors imaginez ce que les femmes françaises qui portent le foulard ont ressenti depuis 10 ans“.
N’en jetez plus, la coupe est pleine. Mais si certains ont pu voir dans cet article un tissu de thèses abracadabrantesques et de malhonnêteté intellectuelle, d’autres l’ont grandement apprécié : ainsi Kenneth Roth, le directeur exécutif de Human Rights Watch (une organisation censée lutter pour le respect des droits de l’homme dans le monde), a relayé le papier du Washington Post en commentant : “L’islamophobie peut-elle être plus transparente ?“
Can the Islamophobia be any more transparent? The French government mandates masks but still bans the burqua. https://t.co/U0HZa7vjdo pic.twitter.com/sY9AbphEic
— Kenneth Roth (@KenRoth) May 11, 2020
Prenons-en bonne note : le nec plus ultra du progressisme, au pays de l’oncle Sam et dans certaines grandes institutions mondiales, semble être de remuer ciel et terre pour permettre l’épanouissement public du voile intégral, signe abject d’asservissement des femmes et marque de fabrique des talibans et autres islamistes totalitaires.
Un constat qu’il faudra garder en mémoire, lorsque les redresseurs de torts professionnels décideront une énième fois de donner des leçons d’humanisme aux Français.
Maderpost / Marianne