Bien après que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) eut conclu à une pandémie, le 11 mars dernier, le président Donald Trump a continué de minimiser la menace sanitaire que représentait la propagation du coronavirus. Avec le résultat que l’on sait, entre autres, dans l’État de New York.
Par Guy TAILLEFER
TRIBUNE – Si bien qu’à couper les vivres à l’OMS en dénonçant sa mauvaise gestion de la crise et sa complaisance à l’égard des autorités chinoises, M. Trump fait tout simplement ce qu’il fait depuis son arrivée au pouvoir, à savoir qu’il réécrit l’histoire en se cherchant des boucs émissaires.
Il enfonce, de fait, le clou de sa politique générale de divorce d’avec les institutions multilatérales, reconfirme son indifférence face à la nécessité d’une lutte coordonnée contre la COVID-19 et laisse la Chine, par effet pervers, élargir son influence.
Fin janvier, M. Trump louait son homologue chinois, Xi Jinping, pour ses “efforts et sa transparence” dans la lutte contre le coronavirus, alors qu’il apparaissait déjà que cette transparence laissait à désirer.
Le discours de M. Trump aura depuis “évolué” au regard de l’indéniable propagation du microbe et en fonction de ses intérêts électoraux, débouchant mardi sur l’annonce, dans la roseraie de la Maison-Blanche, du gel de la contribution américaine annuelle de 400 millions de dollars au budget de l’OMS. Non sans qu’au cours de cette conférence de presse quotidienne, le président n’invective à nouveau les journalistes qui l’interrogeaient sur ses contradictions et ses responsabilités.
Non pas que l’OMS ne mérite pas d’être critiquée, loin de là. L’organisation intergouvernementale l’a été ces 20 dernières années pour différentes raisons, du SRAS en 2003 à l’Ebola en 2014 et 2018, en passant par la grippe H1N1 en 2009.
Elle mérite encore de l’être aujourd’hui pour la déférence exagérée avec laquelle, malgré tout ce que l’on sait du comportement de l’opaque dictature chinoise, elle a flatté Pékin pour sa réponse à l’épidémie.
En 2009, l’OMS avait par ailleurs été montrée du doigt après que des informations mises en ligne par WikiLeaks eurent éclairé l’influence financièrement intéressée qu’avait exercée le lobby pharmaceutique dans l’élaboration d’un rapport d’experts qui explorait des moyens d’améliorer la santé publique dans les pays en développement.
Entendu cependant que les enjeux fondamentaux qui sous-tendaient ces révélations n’entrent pas aujourd’hui dans le champ de pensée des récriminations de M. Trump à l’égard de l’OMS.
À geler en pleine pandémie le financement de l’OMS, dont la contribution américaine représente environ le cinquième du budget de 4 milliards $US, M. Trump prend une décision insensée, partout dénoncée, qui aura des retombées funestes dans les pays pauvres.
L’OMS n’a pas grand rôle à jouer dans les pays occidentaux dotés d’amples systèmes de santé publique. Sans pouvoirs coercitifs, l’agence onusienne peut en revanche remplir une fonction plus qu’utile dans les pays où les systèmes de santé, si tant est qu’on puisse dire qu’ils existent, relèvent pour l’essentiel du privé.
L’ONG Oxfam avançait la semaine dernière dans un rapport intitulé « Le prix de la dignité » qu’un demi-milliard de personnes risquaient de basculer dans la pauvreté si des plans de soutien n’étaient pas rapidement mis en œuvre à l’échelle mondiale. À défaut de quoi, la pandémie “pourrait provoquer un recul de dix ans dans la lutte contre la pauvreté”. Or, l’OMS n’est au fond qu’un maillon dans l’entreprise de collaboration internationale qu’il faudrait absolument voir prendre forme.
De concertation, il y a un urgent besoin, certes. Mais de quelle concertation, exactement ? Se tiennent ces jours-ci des réunions au sommet du FMI, de la Banque mondiale et des ministres des Finances du G20, tous censés plancher sur des sorties de crise. Mais quelles solutions “durables” peut-on réalistement espérer qu’il en sorte en matière de lutte contre l’injustice économique et contre les changements climatiques — au-delà des efforts pour remettre au plus vite le grand commerce mondial sur ses pieds ?
Dans l’immédiat, les pays africains, pour ne parler que d’eux, ont moins besoin d’un vaccin — comme si un vaccin libérait de l’exigence d’œuvrer, en amont, à l’amélioration des conditions de vie des gens — que de voir l’Occident les aider à éviter l’effondrement économique en faisant enfin l’effort d’annuler massivement leur dette, ainsi que l’a proposé lundi le président français, Emmanuel Macron. Dans l’immédiat, le monde a surtout besoin d’un antidote au virus du trumpisme.