Mercredi soir, la France comptait déjà 9134 personnes atteintes de la COVID-19 et au moins 264 morts. Des médecins français s’inquiètent que l’épidémie suive la même courbe qu’en Italie, où l’ont dénombrait au moins 35 713 cas et 2978 morts à la même date.
CORONAVIRUS – Pendant que les rues sont désertes, les attractions touristiques fermées et les parcs abandonnés, les hôpitaux français bouillonnent de vie et se préparent au pire. Dès la semaine prochaine, les hôpitaux de l’Île-de-France pourraient connaître un scénario à l’italienne. À l’hôpital Sainte-Anne, dans le 14e arrondissement de Paris, l’atmosphère ressemble à celle d’un camp militaire retranché à la veille de l’offensive.
“On s’attend à une situation à l’italienne, explique Michel Wolff, spécialiste en réanimation médicale et infectieuse. Déjà, on commence à recevoir des patients infectés. Certains soignants le sont aussi. Mais on sait que, dans une semaine ou deux, on risque d’être submergés.”
Chaque matin, avec Michel Wolff, la cellule de crise de l’hôpital Sainte-Anne se réunit pour évaluer la situation. Pour l’instant, dit-il, rien de catastrophique. Mais ça ne durera pas. “On a déprogrammé en masse, supprimé tout ce qui n’était pas urgent et délimité des zones pour éviter la contamination”.
Afin de dégager les lits et le personnel nécessaire à Paris, 60 % des interventions non urgentes ont été reportées. Une grande partie des ressources chirurgicales, y compris les salles de réveil, sont rendues disponibles pour pouvoir être éventuellement transformées en salles de réanimation pour les patients qui auront des difficultés respiratoires et dont certains pourraient devoir rester hospitalisés jusqu’à trois semaines.
On manque de masques
“C’est cette durée très longue de la phase de réanimation qui rend la situation si difficile, explique Michel Wolff. C’est totalement inédit. On ne sait pas si on pourra tenir le coup.” Les patients atteints de la COVID-19 restent en effet sous ventilation artificielle beaucoup plus longtemps que les autres patients.
Cela peut durer trois semaines, contre quatre jours pour un patient qui n’a pas ce type d’affection. Cette durée multiplie d’autant les risques de complications et de nouvelles infections, dit Wolff.
Pour l’instant, ce qui inquiète le plus le médecin, c’est le manque de masques chirurgicaux pour se protéger. “Les stocks actuels suffisent à peine à nos besoins. Et cela inquiète beaucoup le personnel. Certains ont peur. Ça peut devenir tragique.”
Un exemple parmi des centaines : à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre, dans la salle des scanners, mercredi à 15 heures, il ne restait plus que deux masques pour terminer la journée.
La colère gronde chez plusieurs. “Il y a eu une incompétence ! Je ne sais pas à quel niveau”, s’est insurgé sur Europe 1 le chef de service de l’unité des maladies infectieuses de l’hôpital Tenon, Gilles Pialoux. “On a eu une alerte épidémique sur un virusrespiratoire fin décembre. Le 17 mars, on n’est toujours pas capable d’équiper la France en masques !”
Cela n’a rien pour rassurer les soignants, dit Michel Wolff. “Alors que le nombre de cas double tous les trois jours, à Sainte-Anne comme dans tous les hôpitaux de Paris, on se prépare à encaisser d’un moment à l’autre le choc d’une arrivée massive de patients dans un état grave”, explique-t-il. Les 5000 lits de réanimation que compte le pays pourraient être vite submergés.
Même si le grand patron des hôpitaux de Paris, Martin Hirsch, se dit prêt à affronter le choc, toutes les prévisions ont été revues à la hausse. Si, la semaine dernière encore, on prévoyait consacrer 400 lits aux services de réanimation, on s’attend maintenant à ce qu’il faille en immobiliser 1500, voire plus.
Avec 197 patients en réanimation, mercredi, les hôpitaux Bichat et La Salpêtrière étaient déjà surchargés. À Paris, 4000 soignants retraités depuis moins de cinq ans ont été sollicités pour prêter main-forte à leurs collègues. Plusieurs centaines ont répondu présent. “On n’a jamais connu rien de tel”, dit Wolff.
“Médecine de guerre”
Tous les soignants ont les yeux rivés sur la région du Grand Est (Alsace-Lorraine-Champagne) où le nombre de cas recensés de coronavirus est proche de 2000, dont plus de 60 morts.
Dans les hôpitaux de Mulhouse et de Colmar, les capacités hospitalières sont déjà saturées. Mercredi, six patients dans un état grave ont été transférés par avion militaire de Mulhouse à Toulon. La veille, neuf patients avaient été transférés d’urgence par hélicoptère vers Nancy. Une première en France pour des civils en temps de paix.
Depuis quelques jours, les témoignages abondent de situations d’urgence où il a fallu choisir entre deux patients faute d’un nombre suffisant de respirateurs. “On espère ne pas en arriver là”, dit Michel Wolff. Cette semaine, un hôpital de campagne sera aménagé par l’armée. Il sera équipé de 30 lits de réanimation et de 30 respirateurs.
Dans le reste de la France, le confinement décrété samedi dernier atténuera-t-il la vague ?
“C’est ce qu’on espère tous, dit Wolff. On le saura dans une semaine ou deux.” Le pays mise sur le fait que, contrairement au nord de l’Italie, les premiers cas ont été systématiquement dépistés en Moselle et dans l’Oise, donnant ainsi aux hôpitaux de précieuses semaines pour se préparer.
Nombre de médecins déplorent pourtant le fait que les hôpitaux français ont été soumis à un régime de rigueur depuis plusieurs années. Le pays mise enfin sur son excellent réseau de médecins de famille que fréquentent deux millions de personnes chaque jour. Ce sont eux qui doivent répondre à 80 % des cas qui n’ont pas de symptômes graves. Encore faut-il qu’ils aient des masques.
Maderpost / AFP / Christian RIOUX