Jusque-là, avant que Mbaye Ndiaye n’en porte la responsabilité ouverte et assumée, le combat contre Amadou Bâ se faisait à coups d’accusations presque anonymes. Une intensité dans la bataille contre l’actuel ministre des Affaires étrangères à qui on prête l’ambition de succéder à Macky Sall, qui laisse subodorer le pire pour Amadou Bâ.
POLITIQUE – Est-ce le dernier épisode de l’opération à «Bâ» Amadou lancée depuis presqu’un an par l’armée invisible et invincible du Macky ? Pendant que les pompiers tentent d’éteindre l’incendie allumé par le ministre d’Etat Mbaye Ndiaye qui donne corps et esprit à une accusation jusque-là tenue par des personnes tapies dans l’ombre du Pouvoir, le «pyromane» lui est encore juché sur son mur de convictions, les allumettes à la main. Toujours prêt à faire feu ? «Je ne veux pas trop parler. J’attends de voir…», a donné rendez-vous, ce lundi, le Directeur des structures de l’Apr, quand L’Observateur est venu aux nouvelles d’une nuit d’accusations orageuses et presque outrageuses.
Loin d’abdiquer la bataille engagée contre l’actuel ministre des Affaires étrangères, qu’il aurait délesté de son turban de coordonnateur du parti présidentiel aux Parcelles Assainies, Mbaye Ndiaye tient à ce que l’ancien argentier de l’Etat paie sa supposée «traitrise». Le fonctionnaire qu’il accueillait en politique pour la victorieuse bataille de Dakar se serait vu trop grand, trop beau jusqu’à se mesurer au chef de l’Etat, Macky Sall dont il ambitionnerait de prendre la place au Palais de la République.
Une peccadille, des broutilles ? Un crime de lèse-majesté qui ne pourrait connaître autre sanction différente de l’échafaud. Une «destitution» pour «activités fractionnaires», une litanie de griefs que le «nouveau juriste du Macky», Mbaye Ndiaye, a déjà retenue contre Bâ, qu’il attend forcément à la commission de discipline dont il est membre et où il demande d’envoyer celui qui paraît désormais à ses yeux, politiquement très prétentieux, voire séditieux.
L’amère victoire
Tant que le ministre des Affaires étrangères était dans son coin, doux comme un agneau, il ne risquait pas les foudres des responsables de l’Alliance pour la république (Apr). Le politique était à l’abri. Hélas ! Amadou Bâ est vilipendé aujourd’hui pour avoir eu de l’ambition ou plutôt des ambitions.
Il faut remonter aux élections législatives de 2017 pour situer l’origine de cette montée gênante, à la fois source de satisfaction collective comme origine des misères personnelles de Amadou Ba. Tête de liste de la coalition au Pouvoir, Benno Bokk Yakaar, à Dakar, le ministre des Finances d’alors détrône le solide camp de Khalifa Sall, alors maire de Dakar, en détention à la prison de Rebeuss pour détournement de fonds publics. Mais ce qui devrait être un soulagement politique vire à une sorte de combat inique.
Commencent alors les attaques aux allures de délation. A la veille de l’élection présidentielle 2019, des responsables Apr, sans citer de nom, accusent dans la presse, un ministre de financer la campagne de l’opposant Ousmane Sonko. Tout le monde sait que c’est Amadou Ba qui est visé, mais personne ne cite son nom. L’accusation ira crescendo jusqu’à atteindre les pics du parti présidentiel, dont le chef douterait même de la loyauté de Bâ. En messe basse, on confesse les pires scenarii de rupture, prêche la fin des temps entre Macky Sall et son collaborateur qu’il aurait fait migrer, en guise de sanction, des Finances aux Affaires étrangères. Et tutti quanti…
Collusion avec Sonko
Ce n’est qu’en décembre 2019 que le concerné daigne apporter un démenti à cette accusation aussi fleurie que les milliards de Cfa qui garnissent ses comptes en banque. «La première chose que l’on disait est que Pastef appartient à Amadou Bâ. Dire que j’ai financé la campagne d’Ousmane Sonko m’a fait très mal. Je ne peux pas être dans un parti, avoir la confiance du chef du parti, travailler pour la réélection de Macky Sall, et en même temps mettre en œuvre une politique contraire pour donner des ressources à quelqu’un (Ousmane Sonko) qui veut détruire le système. C’est un non sens», réfute véhément Amadou Bâ dans l’émission «Jury du dimanche» sur Iradio.
L’homme à qui l’on prête des ambitions présidentielles convainc ses irréductibles qui partagent sa sortie médiatique sur tous les réseaux sociaux. Mais les mots de Bâ ne touchent presque pas ses adversaires politiques, loin de le laisser dérouler.
Les affidés du Président Sall, reconnu complice à cause de son silence bruyant, n’ont pas lâché leur coupable. Après moult insinuations, le Mouvement des élèves et étudiants républicains (Meer) est envoyé au charbon. Le 16 février dernier, dans un communiqué incendiaire, le président du Meer Ablaye Diagne réclame la traque des responsables aux «agendas cachés».
Avec à la clef, la menace de divulguer les noms des «traitres» s’ils persistent. Ils n’ont pas eu le temps de le faire. C’est le Directeur de la Maison de la presse Bara Ndiaye qui se charge de porter l’estocade. Le 26 février 2020, il «interpelle» Amadou Bâ et Aminata Touré en ces termes : «Cette bataille est-elle la vôtre ? Seriez-vous ces détenteurs d’agendas cachés pour que vos entourages respectifs s’approprient de mes interpellations ?» Les masques tombent et le processus d’accusation ou de liquidation, c’est selon, prend forme. Le début de la fin pour Bâ, de qui le Président orchestre la mise à mort politique ?
Macky Sall qui tire les ficelles
Selon Moustapha Diakhaté, ancien chef de cabinet du président de la République et frais trucidé de l’Apr, il n’y a pas l’ombre d’un doute que c’est le Président Sall qui commande toute cette mise en scène politique. «C’est lui (Macky Sall) qui est derrière ces attaques contre Amadou Bâ et Mimi Touré. On ne peut pas recevoir des gosses le soir, et ensuite ils sortent le lendemain pour insulter deux personnalités politiques. C’est très flagrant. Macky doit arrêter ça. S’il ne veut plus d’eux qu’il assume ses responsabilités mais ce n’est pas la peine de les livrer à des enfants mal éduqués», assène le leader du mouvement «Mankoo Aar sunu Apr».
Si certains sont tentés de mettre les propos de Moustapha Diakhaté sous le coup de la colère du fait de son éviction de l’Apr, le silence de Macky Sall face à ces attaques renforce (encore) les suspicions. «Si Macky Sall ne suscite pas ces attaques, il les cautionne. S’il observe le silence pendant très longtemps, cela voudrait dire qu’il est derrière toutes ces attaques et c’est lui qui les suscite», assure Momar Diongue analyste politique et chroniqueur à SenTV.
Il ajoute : «Macky Sall n’aime pas les têtes qui dépassent. L’Apr est un parti qui n’est pas structurée, sans numéro 2 depuis la destitution d’Alioune Badara Cissé qui était le coordonnateur national de l’Apr. Et il l’a fait à dessein. Macky Sall est un astre qui ne veut pas qu’une étoile scintille à son côté.» Le chercheur en Sciences politiques à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, Moussa Diaw, y perçoit une «ambigüité entretenue par le président de la République, qui ne dit pas clairement ses intentions». S’il va oui ou non briguer un 3e mandat.
Jeu de dupes
C’est là tout le sens du Mortal Kombat déclaré à Amadou Bâ qui, lui aussi, joue de la tactique de l’évitement pour ne pas se prononcer concrètement sur ce «Sall» quiproquo qui tient en haleine le pays. Et divise l’Apr non pas en deux, mais en quatre. «L’agenda de Macky Sall pourrait être de postuler pour un 3e mandat ou de se préparer un dauphin qui n’est pas ces personnes-là. Et comme Amadou Bâ ou Mimi Touré pourraient gêner, il faut les casser dès maintenant. Tous les autres leaders se trouvent dans la même situation. Et aujourd’hui, dans la perspective d’une succession de Macky Sall, Amadou Bâ est en pôle position et Mimi Touré aussi.», avertit Momar Diongue.
En écho, Moussa Diaw présente le ministre Amadou Bâ comme le meilleur profil pour remplacer Macky Sall dans les rangs de l’Apr. Un atout qui peut vite être un grand danger, selon l’angle de vue. «Amadou Bâ a montré une capacité de mobilisation dans l’ombre pendant la campagne électorale (présidentielle). Et si jamais Macky Sall ne se présente pas, il y aura une ruée vers lui. Il est craint parce qu’il a fait un travail de base. Il est écouté. Il y a beaucoup de mécontents dans l’Apr qui pourraient soutenir Amadou Bâ», analyse le professeur à l’Université de Saint-Louis.
Stratégie du silence
Et pour beaucoup, si le chef de l’Etat Macky Sall cache aussi son plan de liquidation, c’est que Amadou Bâ n’a pas encore, non plus, déclaré ouvertement sa volonté d’occuper le moelleux fauteuil présidentiel. «Il aurait eu tort de sortir dans la position de mutisme dans laquelle il est aujourd’hui. C’est une posture très responsable. Il considère que ceux qui l’attaquent ne sont pas ses interlocuteurs, et que son seul interlocuteur, c’est Macky Sall. Je le vois mal répondre à quelqu’un comme Bara Ndiaye ou quelque autre responsable qui l’attaquerait», magnifie Momar Diongue.
Cette posture est due, selon le chroniqueur de la SENTV, au parcours du ministre des Affaires étrangères. «Ensuite, l’homme n’a pas l’habitude de polémiquer. Et il est venu en politique à son corps défendant parce que c’est le Président Macky Sall qui aime que tous ceux qui l’accompagnent dans le gouvernement plongent dans le marigot politique. C’est un technocrate. Un homme comme ça n’est pas prompt à polémiquer, et c’est un trait de caractère lié à son profil», précise-t-il.
Le chercheur en Sciences politiques conforte aussi Amadou Bâ dans son attitude. «Il a raison de ne pas se déclarer trop tôt. Tant que ce n’est pas clarifié, il ne faut pas se déterminer. Il faut un bon timing pour plonger. Mais il n’est pas expressif, il continue ses activités sans aucun bruit. Il ne communique pas sur ses activités ou sur ses ambitions. Et c’est ce qui gêne.»
Maderpost / IGFM / Chimère Jr LOPY