Le changement de régime intervenu en mars dernier semble dessiner une nouvelle trajectoire à la presse sénégalaise. Du monopole exercé par le parti unique, instauré aux premières années des indépendances, à la rupture du monolithisme médiatique ou encore sa contribution dans les alternances politiques survenues au Sénégal (en 2000, 2012 et 2024), la presse a toujours joué un rôle de premier plan dans la consolidation de la démocratie dans les différents régimes qui se sont succédé au pouvoir.
TRIBUNE – Des premières heures de l’indépendance à nos jours, la presse sénégalaise a joué un rôle central dans le processus démocratique. Du monolithisme médiatique à la solde du parti unique, le Sénégal s’est rapidement ouvert à la presse plurielle.
Avec la mise en place d’une nouvelle loi sur la presse en 1979, permettant à tout citoyen jouissant de ses droits civiques le désirant de créer son journal ou son organe de presse, l’Etat Senghorien avait ouvert une nouvelle ère politico-médiatique au Sénégal.
Mais, le tournant a été la deuxième moitié des années 1980 où la presse va émerger, avec les journaux indépendants. L’année 1986 inaugure le début de ce qu’on peut qualifier «presse privée indépendante». L’innovation majeure apportée par le nouveau texte de 1986 est le remaniement de l’article 13 du Code de 1979 qui permet désormais la création et la publication d’un journal sans «autorisation préalable et sans dépôt de cautionnement».
Avec cette mesure, le président Abdou Diouf facilite la création de journaux privés et pose la première pierre. C’est dans ce contexte économique contraignant que l’Etat du Sénégal a institué une «aide publique à la presse» qui sera une des innovations majeures du gouvernement d’Abdou Diouf. Cela, en réponse à la difficile situation économique qui était à l’époque liée au renchérissement du prix du papier lié à la dévaluation du franc CFA. Mais aussi suite à une demande formulée par les médias privés concernant la détaxation, une aide étatique directe et indirecte et un accès équitable des médias à la publicité des entreprises publiques.
Il faut noter que cette requête qui était vue comme une sorte de pression, a eu un écho favorable auprès des représentations diplomatiques accréditées au Sénégal, notamment de la France et des Etats-Unis, qui faisaient partie des principaux soutiens de la presse indépendante, perçue à l’époque comme un baromètre des processus de démocratisation en Afrique, et qui ont en partie fait céder l’Etat sénégalais.
C’est ainsi que l’aide de l’Etat à la presse au Sénégal a été instituée. En 1996, la décision était révolutionnaire car les médias dits indépendants en étaient les principaux bénéficiaires. Autrement dit, durant cette période, le Sénégal était l’un des rares Etats africains à accorder une aide à la presse indépendante.
Le Sénégal a ainsi connu sa première alternance politique, le 19 mars 2000, consacrant l’arrivée d’Abdoulaye Wade au pouvoir. A partir de 2000, le nombre de médias a augmenté, avec l’avènement des télévisions privées. Abdoulaye Wade, arrivé en 2000 à la tête de l’Etat du Sénégal, contribuera à transformer le paysage médiatique du pays.
La contribution des médias au changement pacifique et historique de régime au Sénégal est notable. La presse privée va s’ériger comme le porte flambeau et jouera ainsi un rôle de premier plan dans l’avènement de la première alternance politique en 2000.
Ce qui n’est sans doute pas étrangère à la nouvelle dynamique insufflée par le régime libéral. Même s’il faut souligner que, près de trois ans après l’alternance, le président Wade n’était plus d’humeur à supporter la liberté de ton d’une presse qui dénonçait sa gestion «autoritaire» du pouvoir et le non-respect des promesses électorales. D’où une fin heurtée des rapports avec le pouvoir politique et le régime du président Wade.
Si le rôle de la presse est perçu comme un outil central dans le processus démocratique, lors des élections présidentielles notamment en 2000 et en 2012, avec l’avènement de Macky Sall, des médias privés sénégalais ont drastiquement souffert. La situation s’est progressivement dégradée dans le pays longtemps considéré comme un «bastion de la liberté de la presse en Afrique».
En trois ans, le Sénégal n’a de cesse reculé dans le Classement mondial de la liberté de la presse de Reporter sans frontières (RSF). Même si cette année, notre pays est classé à la 49e place, gagnant ainsi 10 places par rapport à sa position de 2023 où il était 104e mondial. Question à mille balles : la presse sénégalaise qui est presque aujourd’hui en état de mort clinique, du fait de la pression multiforme exercée sur elle par le nouveau pouvoir, sera-t-elle apte à continuer de jouer son rôle avant-gardiste de veille et de vigie dans la préservation et l’approfondissement de la démocratie ?
Omar Diaw
Maderpost / Sud quotidien