La première visite officielle hors continent du Président Bassirou Diomaye Faye à partir de ce mercredi 19 juin 2024 destinée à la France, ancienne puissance coloniale, sera suivie, aussi bien par ses compatriotes que les Français eux-mêmes, mais aussi l’Alliance des Etats du Sahel, le reste de la CEDEAO et naturellement la Russie.
POLITIQUE EXTERIEURE – Une visite officielle d’un président sénégalais en France n’est jamais anodine et certainement pas celle que le 5e chef d’État du Sénégal, en l’occurrence Bassirou Diomaye Diakhar Faye à la faveur de la présidentielle du 24 mars, effectue à partir de ce mercredi, après être allé d’abord chez les voisins mauritaniens pour sa première sortie, ensuite chez les Gambiens, Guinéens, Maliens, Burkinabe… les putschistes.
Le test de Paris…
La raison de cette visite à Paris relève de sa participation jeudi au Forum mondial pour la souveraineté et l’innovation vaccinales à l’invitation de l’Alliance du vaccin (Gavi) et de l’Union africaine, a déclaré la présidence dans un message envoyé à la presse. Ensuite, parle-t-elle d’un déjeuner avec le chef de l’Exécutif de l’hexagone Emmanuel Macron « à l’issue de cet événement ».
Une rencontre entre les hommes de même génération (44 ans pour Diomaye et 46 pour Macron) à laquelle France 24 et Afp attachent une grande importance au regard du traitement de l’information tartinée par endroit de douceur non sans vinaigre au rappel d’un « certain ancien mentor » Ousmane Sonko. La compréhension que l’on en tire est que la France discute seulement et seulement avec le Président sénégalais et non l’hôte d’un certain Mélanchon, que l’on pourrait trouver ironiquement à la droite de Macron après les législatives provoquées par l’Élysée et redoutées par les siens.
Le président Bassirou Diomaye Faye qui se rend mercredi en France, où il rencontrera « son homologue Emmanuel Macron » est celui qui « a remporté avec éclat la présidentielle de mars (2024) avec un discours souverainiste et la promesse de rupture avec l’ancien système », disent les deux titres français non sans rappeler que le « Sénégal et la France, ancienne puissance coloniale, entretiennent historiquement de fortes relations politiques, économiques et humaines ».
Qui dit France 24 dit Rfi et qui dit Rfi dit Etat français, faut-il préciser pour Afp ! C’est dire que contrairement à quelques mois, sous Macky Sall qui n’était plus en odeur de sainteté dans tous les coins de la planète, France 24 et Rfi se sont ajustés pour ne pas froisser un souverainiste dont Paris aimerait savoir s’il est toujours sous l’emprise de son mentor.
Cette question a toute son importance, ce d’autant que la France en souffrance de leadership en Afrique de l’Ouest « revendique d’être le premier investisseur et le premier bailleur d’aide publique au développement au Sénégal ». Soit la deuxième économie de l’Union derrière la Cote d’Ivoire elle-même deuxième puissance économique de l’Afrique de l’Ouest derrière le Nigeria. Soit deux alliés reconnus pour leur poids diplomatique historique, leurs nouveaux statuts de pays producteurs de pétroles, leurs sous-sols riches, leur penchement français. A cela s’ajoute la nouvelle géopolitique et surtout la géographie militaire et stratégie qu’impose à l’Otan la Russie.
Il n’empêche que le « panafricanisme de gauche » de Diomaye affirmant sa « volonté de partenariats mutuellement bénéfiques à l’international » conforte une certaine liberté de pensée, de mouvement et de prise de décision que Paris voudrait bien mesurer. Le déjeuner entre Macron et Diomaye aura sa saveur. Reste à voir si le Président Sénégalais est dans le sillage de son « ancien mentor et désormais Premier ministre, Ousmane Sonko » dont on sait qu’il « s’est signalé par le passé par ses diatribes contre l’emprise politique et économique que la France continue selon lui d’exercer au Sénégal ».
Diomaye pense-t-il comme Sonko ? Diomaye est-il Sonko et vice-versa ? La trouvaille sénégalaise sera appréciée au dessert. Macron se fera une idée du tandem dont l’un a notamment « accusé en mai l’Elysée d’avoir incité à la ‘persécution’ d’opposants sous l’ancienne présidence sénégalaise ». Méclanchon est passé par là, mais revenons à la géographie militaire et stratégie qu’impose Moscou.
Diomaye Faye pense-t-il comme Sonko que la présence de bases étrangères au Sénégal est « incompatible » avec la souveraineté internationale ? La France qui voit d’un mauvais œil Moscou marcher sur ses plates-bandes au Niger, son uranium et ses terres mesurées au million carré, idem pour le Mali et le Burkina Faso qui roulent en plus sur l’or et pas que, aimerait être édifiée. Ce d’autant que l’hexagone « dispose de plusieurs emprises militaires à Dakar », même s’il a commencé à réduire ses effectifs en 2023, le faisant passer de 350 à « une centaine ».
La Françafrique prend du plomb dans les ailes. En effet, l’avenir du partenariat militaire « figure parmi les nombreux sujets communs à Paris et Dakar, avec la sécurité ou la réforme du franc CFA ». Quand on sait à Paris que le président sénégalais a effectué depuis son investiture en avril dernier á une « dizaine de visites en Afrique de l’Ouest, dont le Mali et le Burkina Faso, deux pays qui ont tourné le dos à la France », on ne voudrait que savoir sur quelle musique danse Dakar.
Peut-elle influencer Niamey, Ouagadougou et Bamako, qui se sont retirées de la CEDEAO que l’AES « accuse d’être inféodée à Paris » ? Dakar s’est prononcée à ce sujet, mais son rapprochement avec ces capitales est à apprécier, tout comme la solidité du tandem Diomaye/Sonko. Sans compter les yeux doux que lui fait Moscou.
… l’écoute de Dakar …
L’opposition sénégalaise, toujours dans le cirage après le coup Ko réussi par Diomaye sur invitation personnelle de son mentor de voter pour lui, attend le moindre faux pas du président sénégalais pour ruer dans les brancards. Jusqu’ici épargné par l’opposition, qui fait plus feu de tout bois sur son Premier ministre qui n’en rate pas une pour la ramener à la lumière, Diomaye Faye devra tenir la dragée haute à Macron. Dans la tenue, le discours, le leadership, voire le charisme.
Ce test grandeur nature sera épié. Il le sait ou doit le savoir. De plus, Il ne devra pas tomber dans le piège que Paris pose en parlant de sa relation avec celui qu’elle considère désormais son « ancien mentor ». Il est question de mettre sur la table ou d’enterrer la « Sonkodépendance ». C’est selon. Cependant, les expériences et informations de première main tirées des voyages dans la sous-région devraient servir au président sénégalais pour soutenir la comparaison à l’Elysée et frapper plus qu’un grand coup dans la capitale française. Diomaye a des cartes en main, à lui de dérouler dans une stratégie dont il a idée après avoir échangé avec Goïta et Traoré.
… l’AES et la CEDEAO aussi
A Bamako le 30 mai, Bassirou Diomaye Faye affirmait avoir discuté avec son hôte de la lutte contre le terrorisme et les crimes transfrontaliers. Précisant qu’il n’était pas un « médiateur de la CEDEAO » est encore moins « mandaté par aucune instance de la CEDEAO », même s’il ne désespérait pas de « voir la CEDEAO repartir sur des bases nouvelles qui nous évitent la situation que nous traversons aujourd’hui ». Diomaye avait aussi « espéré » de voir l’organisation « redevenir ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser être » : un outil de développement par l’intégration ! Adroit, Diomaye avait laissé entendre à Bamako que « quoique rigide », la « position malienne n’est pas totalement inflexible. »
« Nous allons travailler à corriger les impairs qui ont valu cette situation regrettable. Nous ne devons pas nous résigner à observer un outil formidable d’intégration se désintégrer sans rien faire », avait-il dit. Il avait coupé la poire en deux. Paris avait entendu et pris note. La CEDEAO aussi.
« La CEDEAO est très malmenée, mais nous ne devons pas nous résigner et dire qu’on ne peut plus rien faire. Il y a des difficultés, il faut parler aux uns et aux autres et les comprendre et, à partir du niveau de compréhension et des écarts de position, voir ce qu’il est possible de bâtir à partir du socle existant (…) Nous devons avoir une fraternité agissante et une solidarité renouvelée avec le peuple malien pour faire en sorte qu’il sorte de cette impasse. Nous voyons déjà des efforts qui sont déployés pour faire face à ces difficultés. Nous avons foi à la résilience du peuple malien pour sortir victorieux de cette impasse qu’il traverse depuis quelque temps ».
Par ailleurs, la visite de Bamako qui avait pour objectif de « renforcer les liens historiques de bon voisinage, d’amitié fraternelle, de solidarité et de coopération multiforme entre les deux nations », était consciente de la place qu’occupe Bamako dans la balance commerciale du Sénégal.
En 2022, les ventes du Sénégal vers l’Afrique s’étaient élevées à 1 404,5 milliards F CFA, dont 50,5 % attribués au Mali. On le sait, le corridor Dakar-Bamako est un axe vital pour les échanges commerciaux entre les deux pays. En 2020, le trafic de marchandises entre les deux capitales élevait à plus de 2,7 millions de tonnes, malgré les défis liés à la pandémie du Covid-19. Une information qu’à Paris, mais aussi Moscou qui fait les yeux doux à Dakar.
Moscou, la nouvelle amie qui dérange
Moscou ne cache pas son intérêt pour Dakar qui est son deuxième partenaire commercial en Afrique subsaharienne après l’Afrique du Sud, selon son ambassadeur Dmitry Kourakov, le 10 mars 2022, lors d’une rencontre avec la presse. Les échanges entre les deux pays étaient multipliés par deux 2,2 entre 2020 et 2021, soit 513,3 milliards F CFA, disait-il.
Si l’on y ajoute le nouveau statut de producteur et de gaz du Sénégal, sa position géostratégique, ses soucis dans la gestion du djihadisme aux frontières, notamment dans le Sud-Est, Moscou, qui est prête à soutenir en vue d’infléchir la Françafrique, est disposée à offrir ses services dans le cadre militaire après la guerre en Ukraine dont la relation avec Dakar dans le secteur n’est un secret pour personne.
Le partenariat stratégique avec l’AES fondé sur le « renforcement des capacités de combat de force de défense et de sécurité » n’est pas loin de faire des yeux doux à Dakar pour une acquisition d’équipements. Ce d’autant que Dakar entend assumer pleinement sa souveraineté sans présence militaire française.
Qui disait que le déjeuner de Diomaye avec Macron ne sera pas épié.
Charles Faye