Dans une étude menée par le Consortium pour la recherche économique et sociale (Cres) sur la corruption dans le secteur foncier en juin 2022, sur demande de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac), il est fait état de plusieurs « initiatives » dans le sens de résoudre les maux de la sphère foncière mais que « jusqu’à présent, il n’y a aucune réforme en profondeur du système foncier.
FONCIER – Le président de la République Bassirou Diomaye Diakhar Faye s’est rendu mercredi dernier, 1er mai, jour férié, de manière inopinée, à Mbour 4 pour s’enquérir de la situation foncière. « Venu accueillir le chef de l’Etat lors de sa visite inattendue, le maire de Thiès-Est, Me Ousmane Diagne s’est dit très surpris de l’ampleur des dégâts par rapport au partage des terres entre hommes politiques à Mbour 4 », rapporte nos confrères de Dakar actu.
« Le président était juste venu pour faire l’état des lieux parce qu’il a dit que lorsqu’il était en prison, il a eu beaucoup d’informations par rapport à Mbour 4. Mais ce qu’il a découvert et ce que nous avons découvert nous maires de Thiès avec lui, est que l’ampleur des dégâts est beaucoup plus grave que ce que l’on croyait », a regretté le maire selon toujours Dakar actu.
Les problèmes liés au foncier au Sénégal ne cessent de pulluler. Pourtant, de Abdou Diouf à Macky Sall, en passant par Abdoulaye Wade, les initiatives ne manquent pas pour remédier à cela. Mais le problème perdure. Un rapport du Consortium pour la recherche économique et sociale, un centre de recherche créé en 2004 par un groupe d’enseignants-chercheurs de diverses disciplines (Economie, Droit, Techniques quantitatives, Sociologie) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), confirme cela en parlant d’« initiatives de réforme foncière sans lendemain».
L’étude fait constater que l’unanimité s’est faite depuis le début des années 1990, sur la nécessité de doter le Sénégal d’un régime foncier adapté aux exigences d’un développement durable. « Beaucoup d’initiatives sont notées, beaucoup de rapports ont été produits mais jusqu’à présent, il n’y a aucune réforme en profondeur du système foncier », révèle le rapport du Cres.
La sensibilité de la question foncière explique certainement cet état de fait, explique le rapport qui ajoute que cela a pour conséquence l’ancrage de l’idée que tout peut être mis en œuvre pour s’enrichir par le biais du foncier car les risques de remise en cause sont minimes.
Les initiatives de réforme foncière sans lendemain sont nombreuses
En 1996, le Cres souligne que le Plan d’action foncier, élaboré sur 12 mois par une équipe de huit (08) consultants sénégalais accompagnée d’un consultant de la Banque mondiale, est resté sans suites. L’objet de ce plan, explique-t-il, était de « répondre au besoin d’améliorer la législation foncière et de l’adapter aux nouvelles orientations en matière de développement agricole et rural ». Ledit plan proposa trois options et suggéra la création d’une Haute hutorité placée à un niveau élevé de l’État et d’un Observatoire du foncier placé sous l’autorité des universités.
Il s’agit de l’option Statuquo qui consiste à maintenir le système foncier dans sa logique globale par le respect du régime de la domanialité nationale, de l’option libérale qui participe du programme d’ajustement structurel et qui s’inscrit dans une logique technico-financière et enfin, de l’option mixte qui consiste à maintenir la charpente que constitue le domaine national et à lever les anachronismes et autres incertitudes liées au régime d’occupation des terres.
En 2001, les nouvelles autorités manifestent la volonté de procéder à une réforme du système foncier sénégalais. Elles mettent en place un groupe de travail au sein du ministère de l’économie et des finances avec pour mission de produire un projet de réforme foncière. « Les propositions formulées par ce groupe n’ont pas été rendues publiques », relève l’enquête du Cres.
Dans le courant de l’année 2002, le gouvernement engage le processus d’élaboration d’une Loi d’orientation agricole (Loa). Le projet mis en circulation comportait un chapitre portant sur le régime foncier. L’article 21 al. 3 du projet impliquait le Président de la République dans la vente des terres du domaine national.
Cet état de fait ne pouvait que soulever l’ire des producteurs ruraux, soutient le Cred. Qui ajoute que le Conseil national de concertation et de coopération des ruraux (Cncr) attira l’attention des pouvoirs publics sur le fait qu’il a engagé un processus, non encore achevé, d’élaboration de propositions paysannes en matière de réforme foncière. Le gouvernement revoit sa copie et décide de retirer du projet de loi, le chapitre consacré au régime foncier.
Une réforme foncière annoncée pour 2006, pas réalisée jusqu’à ce jour
En 2004, la Loi d’Orientation agro-sylvo-pastorale (Loasp) est promulguée. Elle comporte un chapitre 6 intitulé ‘’Réforme foncière’’ qui précise à l’article 22 al. 1 que “la définition d’une politique foncière et la réforme de la loi sur le domaine national constituent des leviers indispensables pour le développement agro-sylvo-pastoral et pour la modernisation de l’agriculture”.
Dans son al. 2, l’article 22 précise que “la politique foncière repose sur des principes tels que la protection des droits d’exploitation des acteurs ruraux et des droits fonciers des communautés rurales, la cessibilité encadrée de la terre pour permettre une mobilité foncière favorisant la création d’exploitation plus viables, la transmissibilité successorale des terres pour encourager l’investissement durable dans l’exploitation familiale, l’utilisation de la terre comme garantie pour l’obtention du crédit”. Elle annonce en son article 23, une réforme foncière pour 2006. Elle est encore attendue, aujourd’hui.
La Direction de l’analyse de la prévision et de la statistique (Daps) est mise à contribution pour la formulation de propositions précises en matière de réforme foncière. Elle met en place un groupe thématique sur la réforme foncière. Alors que le groupe thématique était à l’œuvre, le Président de la République décide finalement de mettre en place une Commission nationale chargée de préparer une réforme du droit de la Terre (Cnrdt).
Celle-ci fut installée le 23 novembre 2005 par le Président de la République. La Commission a, plus tard, produit un document intitulé « Quelques propositions de réforme sur la gestion foncière en milieu rural ». Le document propose l’incorporation des terres des zones urbaines, des zones pionnières et d’une partie de la zone des terroirs dans le domaine privé de l’Etat. « Ces propositions ne connurent aucune suite », dit le rapport.
Par décret n°2012-1419 du 6 décembre 2012, le Président de la République a créé une Commission nationale sur la réforme foncière (Cnrf) avec pour « missions de conduire toutes les études et recherches relatives à l’occupation du domaine de l’État et du domaine national ; d’analyser les textes législatifs et réglementaires en vigueur et de faire des propositions de modification ; d’identifier les contraintes et de mettre en place un cadre juridique et institutionnel attractif, offrant des garanties aux investisseurs et assurant la sécurité et la paix sociale, en vue d’une gestion rationnelle du domaine de l’État et du domaine national ; de proposer des solutions durables aux conflits fonciers résultant de l’occupation des domaines susvisés ; et plus généralement, d’exécuter toutes missions qui lui sont confiées par le Président de la République ».
Le rapport produit par la Cnrf et remis au Président de la République, le 20 avril 2017, n’a pas été validé. La Commission a été dissoute le 26 mai 2017. Ce qui fait au Cres que « ces hésitations et louvoiements des autorités étatiques font naitre chez certains le sentiment que tout peut être tenté s’agissant du foncier car le droit positif semble être mis entre parenthèses ». A l’en croire, le cadre juridique défaillant du foncier combiné à un certain nombre d’externalités négatives rend difficile une gestion saine et vertueuse du sol sénégalais.
« En lieu et place d’une réforme globale du système foncier, des tentatives de réponse à des problèmes sectoriels ont été apportées à travers la création d’entités institutionnelles aux domaines de compétence bien ciblés. Les résultats de cette approche sont pour le moment, mitigés », constate enfin le Cres.
Pourvu que de telles léthargies ne soient pas connues sous le régime de Bassirou Diomaye Diakhar Faye, élu président de la République sénégalaise à l’issue du scrutin du 24 mars 2024.
Maderpost / Lejecos