Adepte du développement endogène, ancien soixante-huitard reconverti au Mouridisme, Serigne Babacar Mbow est décédé dans la nuit du vendredi au samedi 2 mars. Il a été inhumé à Mbacké Kadior où il s’était retiré avec sa famille et ses disciples pour les besoins d’une mission d’aménagement que lui avait confiée Serigne Cheikh Dieumb Fall, Khalif général des « Baye Fall ».
HOMMAGE – Rendre hommage à Serigne Babacar Mbow est forcément continuer de s’émerveiller pour ce qu’il a pu construire et s’interroger sur ce que le Sénégal aurait pu devenir avec la démultiplication par les autorités politiques de l’expérience initiée à Ndem, un petit village du Baol, sis à quelque 12 kms de Bambey. Loin des gesticulations déclamatoires, il a su avec simplicité, pragmatisme et audace, transformer le foyer ancestral en terre d’opportunités.
On ne pleure pas un tel homme qui épouse l’éternité à travers ses œuvres. Aussi, pour lui rendre hommage, nous proposons aux lecteurs un article désespérant d’actualité, publié en novembre 2012, qui nous rappelle le surplace dans lequel ne cesse de patauger le Sénégal. A force de calcul. A force de ruse. Bien loin de la prise en charge concrète et soutenue des besoins fondamentaux des populations, notamment les plus démunies, dont Serigne Babacar Mbow a été un exemple achevé.
L’esprit de Ndem*
La pire des malédictions qui puisse s’abattre sur la tête d’une communauté humaine est de se voir interdit d’avenir. En somme, être dans l’impossibilité de bénéficier d’un horizon capable de se jouer du présent pour l’installer dans une espérance qui donne sens à la vie en l’actualisant dans un devenir. Et c’est justement de ne pas sentir une telle perspective qui fonde nombre d’esprits à chercher des réponses à leurs interrogations, à savoir : Où va le Sénégal de Macky Sall ? Quel en est le cap ?
C’est parce que la dimension du sens se pose avec acuité, dans sa double acception de signification et de direction que, 7 mois après la gouvernance inaugurée par le nouveau chef de l’Etat, il est loisible de se rendre compte de l’impatience qui sourde de partout. Aucune couche sociale, aucun secteur n’est épargné. Tous désespèrent de n’entrevoir aucun échéancier dans les réponses à apporter aux multiples problèmes qui les assaillent. Et cette attente est d’autant plus difficile qu’elle ne rencontre aucune mesure hardie susceptible de tempérer ses ardeurs. Pourtant, on aurait pu imaginer, dans un pays où l’on a tendance à penser que la richesse est fonction de la proximité entretenue avec le pouvoir politique, que le nouveau président donne le la, en diminuant de façon drastique ses fonds spéciaux. En réduisant son salaire et ceux des ministres, en réduisant de façon drastique le parc automobile et la gamme des voitures. Au lieu de cela, il revient sur une promesse de rupture en faisant passer le gouvernement de 25 à 30 ministres, comme si ce renoncement à la parole donnée pouvait être gage d’« efficience » et d’« efficacité ».
On l’aura compris, Macky Sall, aurait pu frapper un grand coup en délivrant un message fort, du genre : « le pouvoir n’est pas une galette sucrée que l’on distribue aux amis et à la famille mais une mission dont le credo tient en un seul engagement ; servir plutôt que se servir ». Cela est d’autant plus impératif sous nos cieux qu’il y a une foultitude de combats à mener contre le chômage des jeunes, la vie chère. Contre l’insécurité en Casamance, la dépendance alimentaire, etc. Sûr qu’on ne se bousculerait certainement pas aux portillons du pouvoir comme de coutume, avec l’espoir de s’enivrer de ses effluves, si la problématique se posait à l’aune de ces batailles à mener.
Faut-il donc être décalé pour ne pas s’apercevoir que ce pays qui vient de réussir démocratiquement deux alternances politiques, a un fol appétit de vivre et de réussite. Une réussite qu’il sent à sa portée et qu’on ne cesse de lui voler, 52 ans après avoir recouvré sa souveraineté nationale, en favorisant l’émergence d’élites prédatrices et extraverties engluées dans des problématiques corruptogènes. Tout en étalant leur incapacité à s’incruster dans les plis d’une modernité critique susceptible de faire la part des choses et d’en finir avec les invectives faciles consistant notamment à se défausser sur un Occident accusé de tous les péchés.
Recentrage
Le président se rend-t-il compte que ce pays n’en peut plus de se voir voler le désir d’y croire. Qu’il a envie de basculer dans une prise en charge de soi sans laquelle nulle autonomie n’est envisageable. C’est ce recentrage dont il question pour aller à la conquête de l’émergence économique. Il convient par conséquent de matérialiser l’idée des pôles de développement en partant de la gestion des potentialités régionales. A l’image de l’Ong des villageois de Ndem qui a inauguré la semaine dernière à Yoff, « l’Espace Commerce équitable d’artisanat et hébergement solidaire ». Y seront exposées les créations de la coopérative « MAAM SAMBA » du village de Ndem, sis à quelque 12 kms de Bambey, dans le Baol. Grâce à la foi et à la détermination d’un homme, Ababacar Mbow, et de son épouse, Soxna Aïcha, l’exode rural des jeunes n’est plus d’actualité dans cette contrée. Ils travaillent sur place dans la confection artisanale de toiles, de vêtements et de tissus d’ameublement, en coton cultivé par leurs soins. Ils s’adonnent au maraîchage doté d’un système de goutte à goutte, participant à leur autosuffisance alimentaire. Des écoles et postes de santé ont été construits, de même qu’un forage sans compter l’utilisation de l’énergie solaire.
Il faut se rendre sur place pour se rendre compte des multiples initiatives qui ont complètement transformé le quotidien du village de Ndem et ses environs.
En fait, Ndem n’est qu’un exemple, disons… un esprit, et des initiatives similaires ne manquent certainement pas à travers le pays. Pourquoi alors ne pas s’imprégner de cet esprit, le diffuser partout en tenant compte des spécificités et des particularités de chaque localité ? Au lieu de cela, les services publics continuent d’être sourds et aveugles à toutes ces initiatives, préférant aller voir des expériences exogènes pour les besoins de leur Stratégie de croissance accélérée. Et pourtant, non loin de là, réside un exemple endogène sur lequel s’inspirer, comme l’a reconnu un de ses responsables.
En tout état de cause, aucun pays ne peut véritablement se développer en refusant de s’appuyer sur ses propres forces, sur l’esprit de sacrifice et d’inventivité de ses populations tout en exigeant de ses dirigeants qu’ils soient eux-mêmes irréprochables. C’est à cette audace qu’est invité le premier Président du Sénégal né après l’indépendance.
*In Sud quotidien du 5 Novembre 2012
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