L’ancienne commissaire de police à Dakar Plateau s’est rendue coupable d’enlèvement, de séquestration, de détention arbitraire, de violation d’immunité parlementaire, de – au moins – complicité de torture, de mise en danger de la vie d’autrui…
LETTRE – C’est pourquoi j’ai écrit à Madame Bintou KEITA
Cheffe de la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la Stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO), représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies.
Objet : Dénonciation pour actes de torture et traitements inhumains et dégradants contre le Commissaire Khady FALL pressentie pour diriger un contingent de la MONUSCO
Mme la Représentante et Cheffe de Mission,
Le 10 janvier 2024, la presse sénégalaise a rendu public l’information selon laquelle un contingent de 140 policiers sénégalais seront envoyés au Congo dans le cadre de la MONUSCO, mission de maintien de la paix que vous avez la responsabilité de conduire. Nous avons été informés en même temps que ledit contingent de policiers sénégalais sera dirigé par le Commissaire Khady Fall présentement en service au Groupement Mobile d’Intervention (GMI) et précédemment cheffe de service du commissariat du Plateau (Dakar).
Je vous adresse la présente lettre pour exprimer ma profonde préoccupation concernant la nomination du Commissaire Khady FALL connue pour ses actes répétés de torture et de traitements inhumains et dégradants contre des citoyens sénégalais lorsqu’elle était en service au niveau du Commissariat de police de Dakar Plateau.
Mme la Représentante et Cheffe de mission,
Ces dernières années, le Commissaire Khady FALL, dans l’exercice de ses fonctions, n’a cessé d’agir avec une violence injustifiée et systématique contre des civils, et ce, au mépris de leurs droits fondamentaux garantis par la Constitution et les conventions internationales ratifiées par le Sénégal. Les faits de torture et les traitements inhumains et dégradants dont le Commissaire Khady FALL s’est rendu responsable se sont banalisés ces derniers mois. Notre démarche n’a rien de subjectif. Elle repose sur des faits établis et documentés.
+ Le 07 mars 2023, j’ai officiellement porté plainte devant le Procureur de la République contre le Commissaire Khady FALL pour enlèvement, séquestration, détention arbitraire et violation de mon immunité parlementaire de député en session. Cette plainte fait suite aux évènements suivants :
Le 04 mars 2023, à 10 h PM, en ma qualité de député, écharpe en bandoulière, je me suis rendu à l’ambassade de Tunisie à Dakar pour déposer une lettre de protestation contre le Président tunisien, Kaïs Saïed, qui lors d’un discours télévisé en date du 23 février 2023, s’en était pris, à travers des propos haineux et xénophobes, aux noirs africains vivants sur le territoire tunisien. Arrivé sur les lieux, le commissaire du Plateau, Khady FALL et ses hommes ont barricadé l’accès à l’ambassade. Elle a ensuite ordonné à ses hommes de me lancer des grenades lacrymogènes, puis de m’arrêter. C’est ainsi que j’ai été acheminé dans les locaux du commissariat du plateau avant d’être séquestré au violon en violation flagrante des règles constitutionnelles qui garantissent mon immunité parlementaire. L’abus d’autorité dont s’est rendu coupable le Commissaire FALL est d’autant plus établie qu’il n’existe aucune règle de droit interne ou de droit international qui interdit de transmettre ou de déposer une lettre de protestation dans une ambassade. Alors que je voulais tout au plus apporter une assistance morale à nos concitoyens vivant en Tunisie et alerter sur la violation des droits des migrants africains en Tunisie, le Commissaire Khady FALL qui était sur place a ordonné à ses hommes de m’arrêter sans mandat, de me séquestrer, de me détenir en au commissariat, et ce, en violation totale de mon immunité parlementaire et de ma liberté d’aller et de venir. Au moment où ces lignes sont écrites, et malgré ma plainte, le Commissaire Khady FALL et ses hommes bénéficient d’une impunité totale depuis bientôt un an. Elle et ses hommes n’ont jamais été entendus par un juge.
+ Le 23 mars 2022, près de 20 membres d’associations citoyennes, dont de nombreuses femmes, ont été arrêtés devant le ministère de l’intérieur par le Commissaire Khady FALL et ses hommes pour avoir manifesté pacifiquement contre le système de parrainage à l’élection présidentielle. Après notre arrestation, au lieu de nous mettre en garde à vue ou de nous présenter devant un juge, le Commissaire Khady FALL, vers minuit (00H AM), a donné ordre à ses hommes, de nous mettre dans une fourgonnette obscure avec des hommes encagoulés en tenue civile. Ces hommes encagoulés du Commissaire Khady FALL nous ont violemment tabassé, torturé et fait subir des sévices corporelles et psychologiques dans la fourgonnette avant de nous jeter, sans nos effets personnels, sur différents axes autoroutiers. Beaucoup d’entre nous ont été jetés sur l’autoroute à péage et ce en pleine circulation autoroutière ; d’autres ont été abandonnés dans la forêt de Bargny, tandis que les autres ont été laissés dans le périphérique qui mène à Tivaouane Peulh et sur la route de Thiès après Diamniadio. Des endroits situés à plusieurs kilomètres de Dakar, lieu de notre arrestation.
Lorsqu’une personne chargée d’assurer la sécurité publique de citoyens, décide sans motif valable de mettre la vie d’innocents en danger en les jetant en pleine circulation autoroutière et en pleine nuit, il y a lieu de s’interroger sur l’utilité pour les nations unies de collaborer avec le Commissaire Khady FALL.
Ces faits graves ont été relayés par la presse sans interpeller la justice.
C’est pourquoi, aussitôt élu député à l’Assemblée nationale, j’ai adressé au Ministère de l’intérieur une question orale sur ces actes cruels et criminels du Commissaire Khady FALL lesquels sont inédits dans l’histoire de la police sénégalaise. Dans ma question écrite, jointe à la présente, j’avais demandé l’ouverture d’une enquête administrative interne contre les agissements du Commissaire Khady FALL et ses hommes. Un an après, le Ministère de l’intérieur n’est pas venu s’expliquer à l’Assemblée nationale sur les agissements illégaux de son agent, le commissaire Khady FALL. Elle bénéficie donc d’une impunité totale.
Le Commissaire Khady FALL s’est encore illustrée par d’autres actes de violence et de torture contre les manifestants et activistes, notamment contre Abdou Karim Gueye, activiste et leader de Nittu Deug, un mouvement citoyen de lutte contre l’injustice. En effet, le 16 aout 2022, Abdou Karim Gueye, venu manifester sa solidarité envers les travailleurs de l’hôpital public Aristide le Dantec a été arrêté sans motif sur ordre du Commissaire Khady FALL alors présente sur les lieux. Arrivé au commissariat, Abdou Karim Gueye révèle avoir été sauvagement torturé et blessé par les hommes du Commissaire Khady FALL.
Mme la Représentante et Cheffe de mission,
En tant que victime directe du Commissaire Khady FALL, en tant qu’élu du peuple sénégalais, mais aussi en tant que citoyen engagé envers les principes des droits de l’homme et de la justice, je suis profondément préoccupé par les implications graves que la nomination du Commissaire Khady Fall pourrait avoir sur la MONUSCO et sur les populations locales.
La nomination d’une personne ayant des antécédents de torture pour servir dans une mission de maintien de la paix est non seulement contraire aux valeurs fondamentales des Nations Unies, mais elle risque également de compromettre sérieusement la confiance et la coopération des populations locales. La nomination du Commissaire Khady à la MONUSCO voudrait aussi dire que l’exécution d’ordres manifestement illégaux et la violence physique systématique contre des civils est le moyen le plus rapide pour un policier sénégalais avoir une promotion au Nations unies. La MONUSCO doit refuser d’être un moyen promotion et d’ascension professionnelle pour les agents des forces de sécurité qui agressent et torturent des civils.
Nommer le Commissaire Khady FALL pour participer à la MONUSCO sans tenir compte des actes de torture et entre autres traitements inhumains et dégradants dont elle s’est rendue responsable, cela est non seulement contraire aux principes fondamentaux des Nations Unies en matière de droits de l’homme, mais cela compromet également la crédibilité et l’efficacité de la mission elle-même. La torture est une violation grave des droits de l’homme et son utilisation par des agents de maintien de l’ordre est incompatible avec les valeurs et les objectifs de l’ONU.
En envoyant un individu ayant de tels antécédents dans une mission de maintien de la paix, l’ONU envoie un message dangereux qui risque de miner la confiance des populations locales dans la mission et de compromettre la sécurité des civils. Les agents de maintien de la paix doivent être des modèles de respect des droits de l’homme et de l’état de droit, et la nomination d’un individu coupable de torture envoie un signal contraire.
Il est dès lors fondamental que l’ONU prenne des mesures appropriées pour réévaluer cette nomination et pour garantir que seules des personnes respectueuses des droits de l’homme et de l’état de droit soient autorisées à participer aux missions de maintien de la paix. La crédibilité et l’efficacité de ces missions dépendent de la conduite exemplaire de leurs agents et il est de la plus haute importance que ceux-ci incarnent les valeurs de l’ONU.
Je suis à votre entière disposition afin de venir m’entretenir avec vous pour mieux vous expliquer le sens de ma démarche et les faits graves dont il est question Madame la Cheffe de MONUSCO, Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies.
Je vous remercie de votre attention à cette question urgente et vous prie d’agréer Madame la Représentante et Cheffe de mission, les assurances de ma très haute considération.
Guy Marius Sagna
Député à l’Assemblée nationale du Sénégal
Député au parlement de la CEDEAO
Maderpost