Le choix d’une date pour l’élection présidentielle qui ira au-delà du 3 mars prochain actera un décalage avec les dispositions de l’article 31 de la constitution qui fixe la fourchette légale entre quarante-cinq jours francs au plus et trente jours francs au moins avant l’expiration du mandat du Président de la République.
TRIBUNE – Le décret portant fixation de la date de la prochaine élection présidentielle va viser inévitablement la constitution. Dans l’exposé des motifs de celui de 2019 (celui de 2023 a disparu des sites officiels de l’Etat) signé par le ministre Aly Ngouille Ndiaye, il est écrit que « L’article 31 de la constitution fixe la période pendant laquelle l’élection du Président de la République doit se tenir. Pour la prochaine élection, cette période est comprise entre le samedi 16 février 2019 et le lundi 4 mars 2019. »
Il est donc clair qu’une élection présidentielle ne peut être organisée sans que la date choisie ne soit en conformité avec la constitution et notamment avec l’article 31 de ladite constitution.
Ce qui signifie qu’un projet de loi devra impérativement apporter une dérogation à l’article 31 pour rendre conforme l’élection à la disposition constitutionnelle en vigueur.
Or, cet article 31 est déjà couvert du drap de l’intangibilité. Il ne peut être modifié. Le conseil constitutionnel a été clair dans sa décision n 1/c/2024 du 15 février 2024 (considérant 17), en ces termes : « La loi attaquée est contraire aux dispositions des articles 27 et 103 de la Constitution et au principe à valeur constitutionnelle de sécurité juridique et de stabilité des institutions ».
Par conséquent, cette loi ne pourra pas être modifiée. Et si la procédure législative est tentée le Conseil constitutionnel saisi n’aura d’autres choix que de la déclarer non conforme à la constitution.
Il s’y ajoute que le Conseil constitutionnel a rejeté, à travers sa décision le caractère dérogatoire des dispositions temporelles de la loi constitutionnelle. Cette mesure qui semble passer inaperçue a été clairement indiquée par ledit Conseil dans son considérant 15 en ces termes « la loi attaquée introduit dans la constitution des dispositions dont le caractère temporaire et personnel est incompatible avec le caractère permanent et général d’une disposition constitutionnelle ».
Au regard des faits susmentionnés, le scrutin présidentiel initialement prévu le 25 février 2024 est presque dans l’impossibilité de se tenir sans que la loi ne soit violée ou que le Conseil constitutionnel ne revienne sur certaines de ces décisions.
Dans deux articles successifs nous avions alerté d’une part sur l’impasse dans lequel nous avait installé le Président Macky Sall et d’autre part sur le caractère superfétatoire du terme « dans les meilleurs délais » introduit dans la décision du Conseil constitutionnel.
Le président la République en prenant son décret illégal d’interruption du processus électoral a logé notre pays dans une zone de non-droit qui a remis en question les délais du processus électoral.
Le Conseil constitutionnel en utilisant le terme « les meilleurs délais » tout en sachant qu’il n’y a pas de meilleurs délais en ce qui concerne la durée du mandat mais plutôt des délais impartis par les dispositions de l’article 31 de la constitution, a justifié l’attardement du président de la République dans la désignation d’une date pour le scrutin. Il l’a aidé à se cramponner sur ces premiers objectifs : arrêter le processus et aller au dialogue avec des desseins inavoués.
Il s’y ajoute que le Conseil constitutionnel en décidant d’annuler la date du 25 février sans aucune forme d’explication a violé les dispositions de l’article 24 de la loi organique relative au Conseil constitutionnel qui dispose que : « Le Conseil constitutionnel rend, en toute matière, des décisions motivées. »
Le Conseil constitutionnel qui avait la possibilité de maintenir la date de l’élection présidentielle au 25 février après avoir écarté les obstacles légaux, a préféré nous renvoyer « dans les meilleurs délais » en redonnant la main au président de la République principal responsable de cette situation.
À cela s’ajoute un dissensus existant entre les candidats et les recalés sur la question liée au processus électoral qu’aucun dialogue ne pourra en aucune manière transformer en consensus.
Le président Macky Sall et les juges constitutionnels sont solidairement responsables de cette situation inédite, préjudiciable à la sécurité juridique et à la stabilité des institutions.
Le président Macky Sall tente aujourd’hui de se prévaloir de ses propres turpitudes en raison d’une décision superfétatoire et laxiste du Conseil constitutionnel.
Le peuple debout vaincra.
Thierno Bocoum
Juriste-Ancien parlementaire
Président AGIR
Maderpost