Dans la lutte contre la corruption, le Sénégal est au-dessus de la moyenne africaine. Mais, il lui reste énormément d’efforts à faire pour juguler cette pratique qui est toujours très présente, selon le rapport d’Amnesty International sur la corruption et les droits humains.
CORRUPTION – Amnesty International a publié hier son premier rapport sur la répression à l’encontre de défenseurs anti-corruption en Afrique de l’Ouest et du Centre. Basé sur 19 pays dont le Sénégal dans la période 2018-2022, ce rapport montre que le score de l’Afrique est le plus bas de toutes les régions. Il est estimé entre 32 et 33%. Mais cette baisse ne concerne pas le Sénégal, qui a fait un score de 41 à 43%. « C’est l’un des pays qui vont au-delà de la norme. C’est l’un des pays qui ont plus de la moyenne, comparé aux 18 autres », a dit Liliane Mouan.
Cependant, la chercheuse-sénior sur la corruption et les droits humains pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre à Amnesty International précise que le Sénégal n’a pas encore atteint le seuil de performance en matière de lutte contre la corruption. « Le Sénégal n’est toujours pas 50 sur 100 », a-t-elle dit.
D’après Liliane Mouan, « cette perception de la corruption est faite dans un contexte de restriction des libertés et droits humains et de restriction de l’espace public ». Ainsi, dans le rapport qui fait état de 31 cas de répression des défenseurs anti- corruption dans la période 2018-2022, deux cas sont notés au Sénégal. « C’est le cas de Boubacar Sèye, président de l’Ong Horizon sans Frontières, qui a été détenu pour diffusion de fausses nouvelles parce qu’il a demandé où se trouvaient les fonds de l’Union européenne qui devaient aller pour la lutte contre l’émigration illégale. Il y a aussi le cas de Didy Diallo, un leader communautaire dans la région de Kédougou qui, depuis qu’il a créé une Ong qui essaie de promouvoir l’environnement menacé par les industries extractives dans la région, reçoit des menaces. Dernièrement, il a été accusé également de diffusion de fausses nouvelles. » « Ce sont des cas de menace et d’intimidation pour diffusion de fausses nouvelles au Sénégal », a souligné la chercheuse-sénior sur la corruption et les droits humains pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre à Amnesty International.
Renforcement du cadre juridique et institutionnel
Mais, qu’est-ce qui est à l’origine de cette situation qui continue dans un contexte où règne l’impunité ? « C’est parce qu’il y a un cadre juridique et institutionnel qui demande d’être renforcé », pense Liliane Mouan. Car, selon elle, «il y a des institutions qui sont créées par des lois, mais qui ne sont pas mises en place ou si elles sont mises en place, elles ne sont pas effectives et manquent d’autorité légale ». Elle en veut pour preuve le cas de l’Ofnac qui peut collecter des informations, mais qui n’a pas l’autorisation de faire des investigations sur des allégations de corruption. Ce qui l’amène à dire que « les défenseurs anti-corruption font face à un système judiciaire biaisé qui ne punit ni les actes présumés de corruption ni les répressions contre les défenseurs qui dénoncent ces actes présumés de corruption ». Abondant dans le même sens, Samira Daoud, la directrice d’Amnesty International Afrique de l’Ouest et du Centre, rappelle : « Certains mécanismes ont été mis en place au niveau national pour prévenir les cas de corruption et lutter efficacement contre la corruption. » « Malheureusement, en dépit de ces différents dispositifs, mécanismes et les différentes législations qui ont été mis en place, la corruption continue à prospérer et les personnes qui dénoncent ces faits de corruption sont aujourd’hui menacées. »
Dans le rapport, les raisons pour lesquelles la corruption persiste sont relatives aux attaques dont sont victimes aujourd’hui les défenseurs anti-corruption, le non-respect des mécanismes mis en place et leur manque d’efficacité. « Certains mécanismes ne sont pas indépendants totalement et ne peuvent pas véritablement jouer leur rôle. Certains manquent de moyens et des pressions importantes peuvent être exercées sur un certain nombre d’institutions qui rendent leur efficacité réduite. Il y a aussi un certain nombre de dispositifs, de lois qui devraient permettre de mieux protéger les défenseurs. Exemple : les lois spécifiquement dédiées à la protection des défenseurs », a listé la directrice.
Adoption de la loi sur la protection des droits humains
Et c’est sur cette contradiction essentiellement qu’Amnesty International a voulu attirer l’attention des citoyens africains, des Etats et des institutions africaines, car parmi les 19 pays, il n’y a que trois qui ont adopté des lois de protection des défenseurs des droits humains. « Il s’agit de la Côte d’Ivoire, du Mali et du Niger, il n’y a qu’un seul, le Ghana, qui a une loi spécifique pour la protection des lanceurs et lanceuses d’alerte. On mentionne dix pays qui ont des lois sur l’accès à l’information, parmi lesquels un seul en Afrique centrale dans les 9 en Afrique de l’Ouest », a indiqué en outre le rapport. D’après lui, « le Sénégal ne s’est doté ni de loi sur la protection des défenseurs des droits humains, y compris des défenseurs anti-corruption, ni de loi sur l’accès à l’information ». Et pour pallier ces insuffisances, Amnesty International invite les Etats qui ont adopté ces lois, comme la Côte d’Ivoire, le Mali et le Niger, à les respecter. Car il y a des restrictions des lois qui obligent les défenseurs à envoyer des rapports aux autorités administratives incluant d’où viennent les fonds qu’ils reçoivent. Amnesty demande aussi à ces Etats qui ont fait le premier pas de se conformer aux normes internationales et aux autres de mettre en place des lois pour la protection des défenseurs des droits humains. Amnesty demande aussi aux Etats de promouvoir le travail des défenseurs, qui jouent un rôle légitime et important dans la lutte contre la corruption, de mettre également fin à l’impunité, de renforcer le cadre institutionnel légal de lutte contre la corruption en s’assurant de l’indépendance, de l’impartialité des institutions judiciaires.
Il demande en outre l’adoption de la législation, qui permettra une grande protection des défenseurs, que ce soit des voies spécifiques sur la protection des défenseurs, que ce soit une loi sur l’accès à l’information, que ce soit une loi sur la protection des lanceurs d’alerte, de renforcer des mécanismes de lutte contre la corruption, d’accroître leur indépendance et leur autonomie. De permettre de donner des moyens aux défenseurs pour enquêter et lutter efficacement contre les faits de corruption, et de garantir une indépendance judiciaire pour que des faits de corruption soient traduits devant les tribunaux.
Maderpost / lequotidien.sn