Silvio Berlusconi s’est éteint ce 12 juin 2023, à l’âge de 86 ans. Homme d’affaires, de médias puis président du Conseil italien, il a obsédé la vie publique de son pays pendant cinq décennies. Les observateurs de la scène politique locale comme ses détracteurs vilipendent son action, mais ce personnage, flamboyant ou outrancier au choix, fascine bien au-delà de son camp.
ITALIE – Les Italiens vont devoir apprendre à vivre sans Silvio Berlusconi, le vieux leader bling bling qui a occupé le devant de la scène politique pendant plus de vingt ans, avant d’en animer les coulisses. Car malgré les défaites politiques, les procès, les maladies, les rides qu’il essayait de gommer à coups de bistouri et de couches de fond de teint qui le faisaient ressembler à une poupée, le milliardaire faisait toujours partie du panorama politique.
Au soir de sa vie, alors qu’il s’affichait au bras de sa dernière compagne, Marta Fascina, un ancien mannequin devenu parlementaire et qui avait cinquante-cinq ans de moins que lui, le magnat de la presse avait essayé de devenir président de la République. C’était en 2022. Mais la chose ne s’est pas faite car Silvio Berlusconi traînait encore beaucoup de casseroles sur le plan judiciaire.
Pourtant, «Il Cavaliere », un titre honorifique que l’ancien président du Conseil italien avait obtenu en 1977 en recevant la médaille de Chevalier de l’ordre national du Mérite du travail, avait l’amitié d’une partie de la classe politique, de droite comme de gauche. Mais ses erreurs ne lui ont pas été pardonnées.
Avec, au premier chef, celle d’avoir conduit le pays au bord de la faillite en 2011. À l’époque, Silvio Berlusconi est poussé vers la sortie par le chef de l’État Giorgio Napolitano qui l’oblige à rendre son tablier. Le milliardaire entame alors une longue traversée du désert.
Son entourage se désagrège. Son ancien dauphin et ex-ministre de la Justice, Angelino Alfano orchestre une scission. Le pouvoir de séduction de Silvio Berlusconi est remis en question. On le rend responsable des difficultés que traverse le pays, de l’effondrement de la droite et du déclin de son parti, Forza Italia, qu’il avait créé en 1993.
Un acte de naissance qui est peut-être aussi paradoxalement le début de la fin. C’est du moins l’avis d’acteurs de la scène politique italienne de l’époque. « Le déclin de Silvio Berlusconi et de son parti a commencé le jour où il est descendu dans l’arène politique en 1993 », estime ainsi l’ancien sénateur démocrate (centre gauche) Luigi Vimercati.
En 1993, la classe politique italienne est décimée par le scandale politico-financier qui a levé le voile sur un vaste système de corruption. C’est l’opération « mani pulite », mains propres. Le Parti socialiste éclate, la démocratie chrétienne aussi. Le Parti communiste n’est pour sa part pas impliqué dans ce scandale. Mais lui-même a perdu beaucoup de sa superbe : il a même abandonné son nom et s’est autodissous après la chute du mur de Berlin.
Silvio Berlusconi décide de troquer son costume trois-pièces d’entrepreneur milanais contre celui d’homme politique et fonde Forza Italia. Pour remporter les élections législatives de 1994, il se lance dans une opération périlleuse et décide de rassembler l’impossible, c’est-à-dire les centristes, les post-fascistes de l’Alliance nationale et les xénophobes et populistes de la Ligue du Nord.
« Cette opération a réussi à donner de la visibilité aux fascistes qui n’étaient pas représentés sur l’échiquier politique mais le mélange a été détonnant », raille Silvio Sircana, ancien porte-parole du gouvernement de centre gauche de Romano Prodi.
D’abord gagnant, le « mélange détonnant » va pourtant échouer. C’est du moins l’avis des anciens adversaires de Silvio Berlusconi. « La révolution libérale prônée en 1993 par le Cavaliere est morte dans l’œuf. Contrairement à Ronald Reagan et Margaret Thatcher, Silvio Berlusconi n’a pas su appliquer une politique néolibérale » analyse Achille Occhetto, le dernier secrétaire du parti communiste italien qui s’est présenté contre Silvio Berlusconi aux législatives de 1994.
Si le projet avorte, c’est que l’attelage censé le porter est bien fragile. Après avoir remporté les élections, Silvio Berlusconi recrute des personnalités importantes pour former un gouvernement présentable. Il promet de transformer le pays sur le plan social et économique. Mais moins d’un an plus tard, Silvio Berlusconi est abandonné par son allié la Ligue du Nord et doit rendre son tablier.
« Mon plus grand regret ? Avoir fait tomber le gouvernement Berlusconi en 1994 » confie aujourd’hui Umberto Bossi, fondateur du parti séparatiste. Cet échec marque un point de bascule significatif dans la carrière politique de Silvio Berlusconi et le déclin du centre droit malgré deux retours triomphants au timon du pays, d’abord en 2001 puis, en 2008.
L’homme d’affaires qui a comparé l’Italie à une équipe de football, ne sera plus jamais capable de reconstituer une équipe prestigieuse et compétente car il déteste partager le pouvoir.
Alors qu’on lui demande de remodeler la face de l’Italie en réformant le système économique, Silvio Berlusconi songe surtout à sauver ses propres affaires en demandant à ses ministres de lui tailler des dispositifs sur mesure.
Les grands travaux se réduisent à des opérations « bouche-trous ». À Naples par exemple, les ordures qui envahissent la cité parthénopéenne sont simplement déplacées. Du côté de l’Aquila, la cité détruite par un terrible séisme le 6 avril 2009, Silvio Berlusconi fait construire au pas de course des immeubles dortoirs et des maisons mal conçues. Au fil des ans, le carré des fidèles se rétrécit à vue d’œil tandis que la famille Berlusconi se décompose.
En 2009, sa femme le quitte dans un coup d’éclat, après dix-neuf ans de mariage, trente ans de vie commune, trois enfants et une vie de château. L’affaire fait grand bruit car Veronica Lario se répand dans la presse italienne. Elle confie que son mari fricote avec des jeunesses et dresse une liste des « soubrettes » parrainées par son mari qui les a insérées dans la liste des candidats de son parti aux élections européennes de 2009.
C’est le prélude au scandale Rubygate. Le milliardaire est accusé d’avoir eu des relations sexuelles avec une jeune marocaine mineure. En première instance, le vieux chef écope de sept ans de prison pour abus de pouvoir et sollicitation de prostitution mineure avant d’être acquitté en appel et en cassation.
Tandis que les magistrats multiplient les procédures judiciaires, que Forza Italia se délite, la santé de Silvio Berlusconi se détériore. La lente descente dans l’enfer de la maladie commence en 1997 avec un cancer de la prostate. Le cœur donne des signes de faiblesse.
Silvio Berlusconi souffre aussi d’une uvéite, une inflammation de l’uvée qui l’oblige à jouer les colonels grecs en se promenant dans les couloirs du Sénat armé d’une énorme paire de lunettes noires pour protéger ses yeux. Ses médecins détectent aussi un début d’alzheimer. Le coup est rude. Entre deux maladies, Silvio Berlusconi multiplie les liftings, les implants pour lutter contre la calvitie, les blépharoplasties, les traitements selon la rumeur, contre les troubles érectiles.
Cette course contre la montre transforme l’ancien chef du gouvernement italien en une sorte de vieille effigie au visage inexpressif. En 2013, Silvio Berlusconi est condamné à quatre ans de prison pour une affaire de fraude fiscale qui a permis à son empire médiatique, le groupe Mediaset, d’économiser plus de 7 millions d’euros qui auraient dû tomber dans les caisses du fisc italien.
Le vieux renard réussit à transformer cet épisode en une magnifique opération. Condamné à effectuer des travaux d’intérêt général dans un hospice, il fait publier des images vidéo tournées en caméra cachée. « Le Cavaliere était à son aise, il faisait des blagues et interagissait avec les personnes âgées dont certaines se déplaçaient en fauteuil roulant. Il a même offert un collier à une dame », a raconté le journaliste italien Stephen Apuzzo, qui a filmé la scène.
C’était en 2015. Pour tenter de reprendre le pouvoir et de séduire encore une fois les Italiens, Silvio Berlusconi recommence à traîner sa silhouette fatiguée sur les plateaux de télévision. Mais l’homme est devenu vieux, ses proches ne lui font plus totalement confiance et surtout, une nouvelle classe politique s’est installée.
« Lorsque je l’ai vu en train de jouer avec son caniche Dudù comme un vieil homme pendant que son nouvel entourage complotait autour de lui, il m’a renvoyé l’image d’un monsieur très âgé et plutôt cassé, c’était d’une grande tristesse », glisse sous couvert d’anonymat l’une de ses dernières fidèles.
Maderpost / Marianne / Ariel F. Dumont